Danielle Arbid n'a Peur de rien

"Peur de Rien" est le troisième long métrage de Danielle Arbid. Elle y filme Lina, une jeune Libanaise projetée dans le Paris des années 90. A mi-chemin entre le film autobiographique et le récit initiatique, "Peur de Rien" est une pépite cinématographique lumineuse et électrisante portée par un casting de choix. Rencontre avec sa réalisatrice.

Danielle Arbid n'a Peur de rien
© Peur de rien
Lina (Manal Issa) et Julien (Damien Chapelle) dans Peur de rien en salles le 10 février 2016 © Ad Vitam 

Le JournalDesFemmes.com : Il y a une part autobiographique dans Peur de rien
Danielle Arbid : Comme dans mes deux précédents longs métrages, il y a une part d'autobiographie. Dans Les champs de bataille, il y avait déjà le personnage de Lina, âgée de 10 ans. Il était question de son enfance. On la retrouve dans Peur de rien, âgée de 18 ans, à la recherche d'un idéal. Comme beaucoup de jeunes. C'est pour cela que Peur de rien va au-delà de l'autobiographie. Il est sensé parler à tout le monde.

Surtout aux jeunes…
Je l'espère. Je crois qu'on est jeune partout de la même manière, avec des nuances bien sûr. A 18 ans, on se cherche, on a des rêves d'avenir. On se demande ce que l'on va faire, ce que l'on va devenir, le métier qu'on exercera, combien d'enfants on pourrait avoir. C'est ce qui fait la beauté de cette période à mi-chemin entre l'adolescence et l'âge adulte. On rêve plus que d'ordinaire, toutes les possibilités sont ouvertes.

Est-ce un Paris rêvé que vous avez filmé ?  
Je ne voulais pas d'un film misérabiliste comme ce que l'on peut voir sur l'immigration. Je voulais d'une histoire qui va à l'encontre des clichés. Peur de rien, c'est le bilan positif de mes 25 années passées en France. J'y ai trouvé mon idéal et j'avais envie que mon film soit heureux et qu'il s'en ressente. C'est un film empreint de reconnaissance, d'optimisme et de gratitude.

Chez Lina, le bonheur passe par la rencontre avec trois hommes. Chacun la "nourrit"…
Le premier, Jean-Marc (Paul Hamy), lui ôte son carcan, il la décomplexe car il la regarde. Il lui dit qu'elle est belle. C'est un cadeau pour cette jeune femme. Il l'aide à se construire. Julien (Damien Chapelle) le second, lui fait comprendre l'importance de ses émotions. C'est un poète qui vit d'amour et d'eau fraîche. Raphaël (Vincent Lacoste), le troisème est plus dans le "concret", il a les pieds sur terre. Il veut construire un avenir meilleur et il veut le faire avec Lina. Chacun lui donne quelque chose. Peur de rien fait écho au film de Renoir, le Fleuve noir dans lequel l'idée est qu'à chaque personne que l'on rencontre, chaque chose que l'on vit, on gagne ou on perd quelque chose.

Qu'est-ce qui chez Lina attire chacun de ces trois hommes  ?
Jean-Marc est attiré par son physique, Julien par son envie d'être libre et Raphaël par son envie de se projeter dans l'avenir. Mais plus qu'elle ne les attire, ce sont eux qui l'attirent dans leur monde respectif. La caméra, ce sont les yeux de Lina, or ses yeux sont tournés vers l'autre. Ils ressentent la disponibilité de cette jeune femme. Elle est ouverte à la rencontre.

Et pour vous, comment s'est fait la rencontre avec Manal Issa ?
Je l'ai choisie pour son envie d'être libre. Elle avait envie de s'affranchir de son carcan familial, conservateur. J'ai ressenti son envie. Ce n'était pas simple au début, surtout les scènes de sexe. Elle craignait la réaction de son père. Mais elle était prête à le faire. Manal s'est trouvée dans le rôle. 

On a le sentiment d'assister à la naissance d'une femme autant qu'une actrice…
Dans Peur de rien, je l'ai "façonnée". Elle avait le "modèle" devant les yeux. La suite confirmera si elle est actrice ou pas, si elle est capable de composer quelque chose. Et surtout, si elle en a envie. Pour avancer dans le monde du cinéma, il faut aussi en avoir envie.

Elle était aussi portée par un incroyable casting…
Ce sont des jeunes cools, sympathiques qui ont un immense talent. Damien Chapelle - avec lequel on a beaucoup travaillé la gestuelle -, Paul Hamy, Bastien Bouillon, Vicent Lacoste – qui derrière ses airs de dilettante est un grand bosseur -, ils étaient tous fantastiques. C'est grâce à eux que j'ai pu tourner en 30 jours. C'est un film porté par son équipe technique et ses acteurs.

Et la très charismatique Dominique Blanc ?
C'est la première que j'ai choisie en écrivant le scénario. J'avais envie de la rencontrer car je sentais qu'elle m'apporterait beaucoup humainement, à l'image de son personnage qui est inspiré d'une professeure - Madame Gagnebin - que j'ai eue à l'université. Ses cours m'ont bouleversée. Derrière son chignon tiré à quatre épingles, c'était une femme profondément humaine. Elle donnait beaucoup, avait confiance en vous, sans vous juger.

La musique aussi, vous l'aviez choisie avant ?
Absolument. Il était impensable de faire sans. Elle représente et fait écho à des souvenirs. Les Pixies, Noir Désir, Daho, Nougaro, Frank Black : je voulais leurs morceaux dans le film et j'étais prête à enlever 10 % du temps de tournage pour l'obtenir.

Enfant, quelle était votre peur ?
C'est une peur assez intime… Petite, j'avais une amie syrienne de 5 ans de plus que moi, qui était la bonne d'une voisine. Elle est partie à 15 ans pour être mariée et je l'ai jamais revue. C'était mon amie la plus chère et j'avais peur de ne plus jamais la revoir. Je ne l'ai jamais revue.

Avez-vous déjà renoncé à quelque chose par peur ?
Non, jamais. 

Peur de rien, en salles le 10 février 2016 © Ad Vitam