Thierry Wasser, portrait d’un parfumeur talentueux et sensible, un brin trublion

Le nez de la maison Guerlain depuis 2008, à l’origine notamment de La Petite Robe Noire et de L’Homme Idéal, nous a parlé de son parcours extraordinaire jalonné de rencontres passionnantes et inspirantes. Rencontre.

Thierry Wasser, portrait d’un parfumeur talentueux et sensible, un brin trublion
© S de P / Guerlain

"Un parfum naît d’une incidence, provient d’une anecdote. Ce n’est pas quelque chose qu’on prémédite ". En évoquant cela, Thierry Wasser pèse ses mots.
Toute sa vie de parfumeur est le fruit de hasards et de rencontres dont la plus importante est celle avec Jean-Paul Guerlain qu’il considère comme un père, un mentor, un guide spirituel.

Dandy des temps modernes, il s’exprime sans langue de bois et raconte avec l’œil rieur ses ruses de gamin pour reformuler sans les dénaturer les grands classiques de la maison. Le jeu est le leitmotiv de ce génie de la parfumerie, tombé dans le parfum complètement par hasard. " Un ami de ma mère portait Habit Rouge. J’avais 13 ans. Ce parfum m’a donné de l’assurance et a fait naître ma vocation ", explique-t-il. Depuis, il fait un parcours sans faute.  Ce personnage haut en couleur fait ses gammes chez Givaudan et Firmenich où il se fait remarquer en 2007 par la maison Guerlain après une collaboration réussie pour l’édition d’Iris Ganache et Quand vient la pluie.

Thierry Wasser et Jean-Paul Guerlain, une relation père-fils

" J’ai une photo de Jean-Paul et moi posée sur mon bureau qui date de 2008. J’adore ce cliché car on y voit ce qu’il y a toujours  entre nous aujourd’hui : de la connivence ".  Thierry Wasser parle de l’homme qui l’a nommé directeur de la Création en juin 2008 avec beaucoup de tendresse et d’affection : " Notre relation relève de l ‘ordre du sensible et de l’irrationnel. Ce qui est tout à fait dans les cordes d’un parfumeur " explique-t-il. Si les deux hommes ne sont pas liés par le sang, ils le sont par la passion du parfum et par leurs similitudes. En effet, ils sont tous les deux des travailleurs acharnés, ont le même langage fleuri et la même sensibilité.  Thierry Wasser s’intègre dans la lignée familiale tout naturellement, ce qui ne l’empêche pas d’ironiser : " Comme souvent dans les familles, les pièces rapportées sont souvent les plus chiantes. Je ne déroge pas à la règle. Je suis extrêmement exigeant –Je connais sur le bout des doigts les formules des parfums Guerlain. J’ai épluché le livre des formules, questionné Jean-Paul sur les créations de Jacques, son grand père, et je suis présent à toutes les étapes de la fabrication de chaque parfum ", souligne-t-il.

Gardien du pré carré des formules Guerlain

" Je passe 25 % de mon temps à voyager à travers le monde à la recherche de matières premières et, comme Jean-Paul et Jacques avant lui le faisait, je suis à l’usine tous les mercredis pour veiller au contrôle qualité des formules ".  Thierry Wasser a une vision holistique de ce qui se passe dans l’usine, la condition sine qua non pour être le garant des formules des jus de la maison. " Etre au cœur de la fabrication influence ma vision de créateur – Du fait de mon vécu,  aujourd’hui il y a des matières premières que j’affectionne particulièrement. Elles sont toutes issues de la Guerlinade : la signature olfactive de Guerlain (fève tonka, iris, jasmin, rose, bergamote et vanille), mais elles sont utilisées peu ou proue dans mes créations. Les parfums Guerlain sont créés en fonction de l’individualité du parfumeur. Mais il y a toujours des liens avec les autres : le soin apporté au choix des matières premières et la façon de les composer ensemble à l’usine ", souligne-t-il.

Parfumeur philanthropique

" J’aime les gens, partager, échanger ", Thierry Wasser est loquace quand il s’agit d’évoquer son goût pour le voyage. Une passion inexorablement liée à l’achat des matières premières qu’il chéries tant. " Mon amour pour les gens, c’est à la fois une force et un défaut ". Ses partenaires, ou plus exactement " ses potes " comme ils les nomment, le nez de la maison Guerlain en a dans les quatre coins du monde. En Bulgarie pour la rose, En Tunisie pour l’essence de Néroli, au Venezuela pour la fève tonka ou encore en Inde pour le vétiver.  Tous, il les a convaincus de dealer avec lui, toujours avec la mise en place d’un programme de développement durable bénéfique pour les populations, le dernier en date étant un projet d’irrigation d’une vallée en Inde : "Chez Guerlain, nous sommes engagés, c’est un état d’esprit ", explique-t-il.

Fervent défenseur du patrimoine olfactif

Etre fidèle à l’état d’esprit de la maison, faire vivre le patrimoine, transmettre cette richesse olfactive, Thierry Wasser y dépense toute son énergie avec intelligence et amusement. Quand L’union Européenne pointe du doigt la rose de Bulgarie dans la composition de Nahema  pour son potentiel allergisant, d’abord il constate avec ironie : " A ma connaissance, personne n’est mort d’avoir porté Nahema. L’extrait de rose qu’on utilise par an pour ce parfum  - et cela pour le monde entier- représente 30 litres… ", puis il explique : " Selon moi c’est un patrimoine culturel olfactif de la France et de l’Europe que nous produisons. Toutes ces questions sur la santé sont louables, mais il faut s’y pencher en toutes proportions gardées ", souligne-t-il. 

Un magicien  des formules

"J’aime le jeu des reformulations tout autant que la création. Ca m’amuse ". Véritable défenseur des grands parfums de la maison, Thierry Wasser arrive à les faire vivre avec ruse, humour et talent. Il raconte avec malice comment il continue à faire vivre Mitsouko  pourtant visé par la Commission Européenne pour sa mousse de chêne considérée comme un potentiel allergène.  " En mélangeant plusieurs ingrédients, nous avons réussi à reproduire le côté mousseux et terreux de la mousse de chêne et nous y avons ajouté un solvant assez lourd pour la fixer. Au final, nous avons une formule semblable à l’originale tout en respectant la loi. Quand une cliente me dit : J’ai le Mitsouko d’il y a vingt ans, je me dis que j’ai gagné". L’envie de se marrer, Thierry Wasser l’utilise aussi pour ses créations originales pour lesquelles l’inspiration vient de ses souvenirs, des surprises de la vie ; Ainsi Cologne est né d’une fragrance à la mandarine qui l’avait marqué lorsqu’il était enfant. Plus cocasse, la singularité olfactive des parfums orientaux comme Désert d’Orient ou Encens mythique est née d’une discussion avec des émirats à Dubaï : " Ils m’ont dit qu’ils voulaient un big perfume qui reste sur leurs vêtements en coton. J’ai alors travaillé mes formules que je testais sur mes vieux tee-shirts en coton jusqu’à obtenir le résultat attendu ". Si chaque parfum naît d’une incidence, Thierry Wasser n’hésite pas à dire que certaines étaient parfois mal engagées. "Quand Ann-Caroline, directrice du marketing m’a évoqué l’idée d’un parfum qui s’appellerait La Petite Robe Noire. Je suis resté dubitatif, mais  après ça m’a fait tilt : faire un hold-up d’une pièce iconique de la mode dans une grande maison de parfum, c’est du génie. Et l’inspiration m’est venue. J’ai combiné réglisse, cerise noire, patchouli… De vrais jeux de mots avec les odeurs. " Avec son talent, son audace et son originalité, Thierry Wasser s’inscrit brillamment dans la lignée des créateurs Guerlain. Une maison mythique qui fête ses 186 ans et qui, à l’évidence, a encore de beaux jours parfumés devant elle.

  • Thierry Wasser en quelques dates

1961 : naissance à Montreux en Suisse

1993 : intègre Firmenich

2008 : devient le créateur exclusif de Guerlain

2011 : Shalimar parfum initial

2012 : Le Petite Robe Noire

2014 : L'Homme Idéal