La première gorgée d'essence & autres plaisirs minuscules

Parlons de tous ces petits plaisirs que chaque automobiliste rencontre au fil de sa route comme des bulles de savon bienvenues qui éclatent quelques kilomètres plus tard. Et qu'il faut saisir avant qu'il ne soit trop tard.

Ce sont de toutes petites joies. Des perles enfilées sur le fil de la vie, et qui la transforment en un collier supportable. La joie d'une première gorgée de bière chère à Philippe Delerm (lequel s'apprête à publier "La beauté du geste"), et tous ces petits plaisirs de la vie quotidienne dont l'automobile fait partie intégrante. Sans que l'on gagne les 24h du Mans pour autant. Sans que l'on s'offre une Ferrari 250 GTO à 38 millions d'euros dans l'instant. Je veux parler de tous ces petits plaisirs que chaque automobiliste rencontre au fil de sa route comme des bulles de savon bienvenues qui éclatent quelques kilomètres plus tard. Et qu'il faut saisir avant qu'il ne soit trop tard.

Le chiffre du diable

On le guette parfois, on s'en aperçoit par hasard souvent. Le compteur de la voiture qui affiche un chiffre rond provoque cette petite satisfaction des choses bien ordonnées, comme une maison bien rangée. Il y a des chiffres ronds qui font bien sûr basculer une auto (presque) neuve dans le monde des (presque) ringardes, c'est la cas de la barre fatidique, celle des 100 000 où l'on s'inquiète de la valeur de sa voiture, alors que l'on s'en fichait lorsqu'elle n'atteignait que le score de 99 978 km. Alors que c'était il y a une demi-heure à peine. Mais il y a aussi des chiffres moins ronds, qui prennent des allures cocasses ou superstitieux. C'est le cas d'une auto qui affiche 66 666 km. Le chiffre du diable, quand il se niche dans le compteur d'une voiture et qui nous flanque le frisson. 

 

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Que celle qui n'a jamais hurlé " I will survive " au volant nous jette le premier boulon.  © Fotolia

La bande originale du momentL'autoradio est la plus grande invention de l'homme après le moteur à explosion. Et pas seulement parce que, coincé dans un bouchon, il peut entendre un journaliste en direct de Rosny-Sous-Bois lui rappeler qu'il est coincé dans un bouchon. La radio, c'est aussi de la musique, de grands morceaux mélomaniaques ou des chansons idiotes. Et ce sont précisément ces dernières, attrapées au vol et au hasard qui ponctuent un parcours routier. Comme une bande originale du moment. Celui où l'on est tout seul et qu'au petit bonheur de la bande FM on tombe sur ce vieux tube oublié, ou cette scie si souvent entendue. Et que l'on se met à la fredonner, puis à la chanter à tue-tête. Que celui ou celle qui n'a jamais hurlé " I will survive " au volant nous jette le premier boulon. Et puis il y a cette chanson fétiche que l'on passe en boucle dans notre vaisseau sidéral qui devient notre petite maison, notre bout de canapé. On se sent chez soi. Rassuré et habité. On pourrait rouler ainsi jusqu'au bout du monde. 

La toute première

On n'oubliera jamais la toute première voiture qu'on a pris dans ses bras. Cette auto, c'est celle que notre grand-père nous avait promise pour le jour de nos 18 ans. Ou bien celle que nous avons mis plusieurs années à nous payer en enchaînant les petits boulots d'été. Lorsqu'elle s'est avancée vers nous, belle et rutilante, on avait les larmes au bord des yeux. Elle était à nous. On allait passer derrière son volant. Des vies nous seraient confiés. On partirait où bon nous semble. On rentrerait tard la nuit. On apprendrait la vie avec elle. On ne s'en séparerait jamais. 

L'odeur de l'essence

L'odeur de l'essence est un savoureux souvenir d'enfance. Souvent ça sentait bon les vacances. On aimait secrètement ouvrir nos fenêtres pendant que notre père remplissait le réservoir. On se shootait au diesel le nez tendu vers l'effluve hautement inflammable, jusqu'à être enivré, grisé, écoeuré. Quand on reprenait la route, des hauts le coeur venaient nous titiller. Et on était malade jusqu'à l'arrivée. 

Embrassade

Très hollywoodien de s'embrasser dans une voiture. Le tout premier sur quatre roues est inoubliable. On se sent acteur ou actrice d'un film américain des années 60, lorsque les stars échangeaient  un intense baiser dans un drive-in. Bonheur de se sentir invincible et invisible ainsi enfermés entre des morceaux de tôle. On cueille le printemps de nos vies derrière une épaisse buée sur laquelle se gravent des je t'aime à jamais.