La phobie administrative, ça vous parle ?

Thomas Thévenoud, éphémère secrétaire d'État français au Commerce extérieur, ne payait ni impôts ni loyers ni amendes... Négligence ? Non, l'homme serait atteint d'une extraordinaire pathologie : "la phobie administrative". Vraiment ?

Débarqué du gouvernement pour ses errements fiscaux et ses retards de paiement, Thomas Thévenoud a invoqué une prétendue "phobie administrative". Une maladie particulièrement invalidante puisqu'en plus de conduire l'élu socialiste à ne pas régler ses impôts et les loyers de son cossu appartement du Ve arrondissement de Paris pendant trois années, elle l'aurait empêché de solder ses PV et les honoraires de son kiné (qui a dû s'adjoindre les services d'un huissier pour obtenir son dû).
"Je crois que je me suis laissé déborder par mon engagement public, a déclaré le politicien au Journal de Saône et Loire. Ma vie s'est accélérée et, à mesure que j'assumais de nouvelles responsabilités publiques, les problèmes s'accumulaient dans ma gestion privée."

Que les plus hauts dignitaires de l'Etat transgressent leurs devoirs civiques, juridiques et moraux, cela est déjà arrivé et deviendrait (malheureusement) presque banal dans une période de crise sociale où les affaires se multiplient. Ce qui ici fait scandale, c'est l'argument choisi. Pour se protéger, Thomas Thévenoud s'est placé en victime d'une maladie mentale.
D'où tient-il ce diagnostic ? Aucun professionnel du secteur médical ne cautionne cette excuse. Ce mal n'existe pas. Le Docteur Pierrick Hordé, directeur de la rédaction du site Santé-Médecine, a fouillé dans ses fiches. Il est formel : ce syndrome n'est répertorié dans aucun ouvrage de référence. Christophe André, psychiatre à l'hôpital Saint-Anne, à Paris, a vigoureusement réagi au micro de France Info. "Je suis médecin, alors je n'aime pas tirer sur les ambulances, mais là, il y a un vrai souci avec cette ligne de défense qui consiste à psychiatriser ses dissimulations, ses turpitudes (...). Soit c'est un problème de narcissisme exacerbé. Thévenoud se pense au-dessus des lois et il a joué et il a perdu. Soit il y a une incapacité réelle", examine le spécialiste des phobies.

Absurde, dites-vous ? Ma collègue Alice, journaliste culinaire, adore nous mijoter de délicieux petits plats, mais elle fuit les fourneaux dès la recette confectionnée car elle avoue une phobie des éponges. Impossible pour elle de faire la vaisselle et de récurer les fonds de casserole. Notre chef Armelle, la directrice du Journal des Femmes, n'assiste plus aux conférences de rédaction car elle est angrophobe (elle a peur de se mettre en colère). Jessica, qui s'occupe de la chaîne Minceur, ne teste plus aucun sport : elle est anhidrophobe (elle redoute de ne pas transpirer). De mon côté, je refuse chaque matin de me lever car je ne supporte pas la sonnerie du réveil, puis j'hésite à sortir du métro car je panique à l'idée d'aller travailler. Pire, je ne mange plus que des pruneaux car mon souci de la constipation tourne à l'obsession (c'est l'apopathodiaphulatophobie, pas évident à replacer dans les dîners mondains, j'en conviens).

Y a-t-il parmi les lectrices, des mamans qui n'envoient pas leurs enfants à l'école parce qu'elles souffrent d'une phobie des relations parents-profs ? D'autres qui ne payent pas la cantine parce que les frites y sont trop cuites ? Dénombre-t-on des citoyennes qui ne votent pas parce qu'elles sont claustrophobes et craignent l'isoloir ? Des maniaques de la propreté qui n'achètent aucun ticket et passent au dessus des tourniquets parce qu'elles ne supportent pas la vision de tous ces petits papiers ?
Y a-t-il des hommes qui bousculent femmes enceintes et personnes âgées pour prendre leurs places assises et griller les files d'attente ? Compte-t-on des folles du volant qui grillent les feux, les stops et saccagent les panneaux de signalétique parce qu'elles ne peuvent se résoudre à respecter le code de la route ? Certaines fashionistas sont-elles prêtes à brûler notre drapeau tricolore sous prétexte que "bleu-blanc-rouge", c'est vraiment trop démodé ? Ridicule, en effet.

 

Absent de la littérature scientifique, le terme de "phobie administrative" pourrait faire écho à un problème de procrastination, c'est-à-dire une tendance à remettre toujours au lendemain des actions... ou à des difficultés liées à l'argent. Thomas Thévenoud serait incapable de s'acquitter de la moindre facture. "Signer un chèque, débourser des billets tournerait pour lui à la souffrance et plutôt que de se confronter à cette (dure) réalité, l'ex-ministre serait dans l'évitement", analyse Stéphany Orain-Pelissolo, psychologue clinicienne et psychothérapeute interrogée par Europe 1.

Cette pathologie qui ronge le député socialiste ne serait donc pas la crainte incurable de la paperasse, mais une forme de radinerie. Du Malade Imaginaire à L'Avare, Thévenoud n'a peur de rien : il nous rejoue tout Molière !