Viol, maltraitance et statut ambigu de la femme au Soudan

Le cas de la chrétienne Meriam Ishag, condamnée à mort pour apostasie, a mis en lumière la condition catastrophique des femmes au Soudan. Violées, humiliées, apeurées, elles n'ont souvent pas la force de porter plainte. Geneviève Garrigos, présidente d'Amnesty International France et spécialiste du Darfour, nous apporte son éclairage sur cette réalité, insoutenable.

Comment la femme est-elle traitée au Soudan et quels sont ses droits ?
Geneviève Garrigos : La condition de la femme n'y est pas très enviable. Les dispositions dans la loi sont très contraignantes, surtout celles relatives à l'ordre public. Les mesures discriminatoires contenues dans le code pénal de 1991 limitent leur place dans l'espace public. Le cadre des lois est très vague ce qui laisse une libre interprétation de la part du gouvernement. Selon leur tenue, elles sont soumises à des peines de flagellation. Ce traitement inhumain est douloureux et très humiliant pour les Soudanaises. Une épée de Damoclès est toujours au dessus de leur tête et les violences sexuelles impossibles à poursuivre. Si une femme violée porte plainte, elle sera toujours accusée de "Zina " -de prostitution- et le violeur ne sera pas condamné. Si une femme mariée est violée, elle sera condamnée pour adultère et sera lapidée.

Peut-on parler de "viol systématique" des femmes au Soudan ?
Geneviève Garrigos : Non. Les zones de conflit sont des zones de "non droit" comme au Darfour où les femmes sont victimes en quantité de viol. Toutes les femmes et les filles déclaraient avoir été victimes de viol dans cette région. De ce fait, dans ces zones, les femmes et les filles – car cette barbarie arrive aussi aux plus jeunes-, ne sortaient plus chercher de l'eau et du bois de peur de se faire agresser. Cela montre à quel point les violences sexuelles sont aujourd'hui présentes dans toutes les sociétés.

Quel est le poids de la Charia sur les épaules des femmes ?
Geneviève Garrigos : La société musulmane soudanaise est régie par la Charia. Cette constitution islamique contrôle tous les aspects de la société et le statut qui est donné aux femmes est très vague. Avec le terme de "Zina", qui désigne la prostitution, présent dans ces lois islamiques, on voit que la femme est décrite comme à l'origine de la perversion de l'homme. C'est elle qui l'incitera toujours à la violer. C'est une vision où la femme est responsable et coupable à tous les coups. Ce système religieux est ultraconservateur. Au lieu de protéger les femmes, en légitimant le voile obligatoire par exemple, il favorise au contraire l'impunité et le silence de la communauté féminine face à l'augmentation des violences à leur encontre.
Tout prétexte est bon pour détourner les lois de l'ordre et de la moralité publique afin de les harceler, les persécuter et les bannir de l'espace public. Je me souviens du cas d'une femme avocate soudanaise en voiture avec un homme pour aller dans un village. La femme a été arrêtée car elle n'était pas mariée avec ce monsieur. Une fois encore, les règles ambigües de la Charia sont instrumentalisées par les tenants du pouvoir. 

Le cas de Meriam, qui a suscité une grande émotion dans le monde, changera-t-il les choses ?
Geneviève Garrigos : Malheureusement, le combat des femmes au Soudan est ancien. Le cas de Meriam est très sensible et l'intense mobilisation pour sa défense nous a été d'un grand enseignement : même le gouvernement soudanais a été sensible à l'opinion internationale. Il a quand même libéré cette jeune femme, âgée de 27 ans, condamnée à mort pour apostasie. Cela montre que même les pays les " plus fermés " peuvent entendre si l'on se mobilise ! En quelques jours, quand Amnesty International a médiatisé l'affaire de Meriam, nous avons récolté 1 million soixante-dix mille signatures partout dans le monde. La preuve que lorsqu'on se mobilise, ça marche !

Lubna Hussein, flagellée pour avoir porté un pantalon dans un restaurant, a aussi été largement médiatisée. Les autres cas de femmes violentées se soldent-ils par des fins plus tragiques ?
Geneviève Garrigos : Malheureusement, nous ne sommes pas au courant de tous les faits similaires et inhumains à l'encontre des femmes soudanaises. Si le cas de la jeune Chrétienne a été connu et pris en charge par Amnesty International, c'est parce que son avocat nous a immédiatement contactés. Nous avons alors lancé un appel d'urgence. Pour qu'on puisse les protéger, il faut qu'un proche de la victime soit en mesure de nous solliciter. L'éducation et l'information sont les clés pour avoir recours à une association qui puisse se mobiliser. Un autre fait joue aussi pour que la mobilisation soit massive : la sensibilité du public pour une cause précise. C'est triste à dire, mais une jeune femme chrétienne, enceinte et condamnée à mort pour apostasie et pour adultère entraîne de fait une forte mobilisation... mais les femmes doivent se mobiliser systématiquement ! Il n'y a pas de cas plus noble ou plus emblématique que d'autres. Il faut se mobiliser pour toutes les femmes. Il y a des cas qui disparaissent, qui ne passent pas sur les écrans et c'est dramatique. Malgré tout, avec les cas emblématiques, on gagne des points.

Que devrait faire la communauté internationale ?
Geneviève Garrigos : Ce sont les états africains qui doivent intervenir et faire pression sur le président soudanais Omar El Béchir... comme ils l'ont fait sur Goodluck Johnatan après l'enlèvement des 200 lycéennes dans l'Etat de Borno, au Nigéria. Pour qu'une résolution s'établisse dans un pays, il faut que les pays autour fassent pression. Les pays tiers ont aussi leur rôle à jouer ! D'où l'importance de développer des sociétés civiles dans les pays aux alentours. Par exemple, l'Union Africaine, dirigée par le Mauritanien Mohamed Ould Abdel Aziz, devrait faire en sorte que les choses bougent.

Quelles sont les régions où les femmes sont le plus maltraitées, en danger ? Geneviève Garrigos : Dans toutes les régions où il y a des conflits, les femmes sont dans une situation de très grande vulnérabilité. Par exemple, les milices armées du Darfour, la région est du Soudan, se livrent à des violences à leur encontre... En plus, elles connaissent de grandes difficultés dans cette zone pour avoir accès à l'alimentation, aux soins. Ce sont les civils qui souffrent avant tout. Nous venons de publier la semaine dernière un rapport sur le Kordofan : les forces armées soudanaises ont intensifié les attaques depuis le mois d'avril. Ils balanceraient des barils d'explosifs depuis des avions sur les écoles, hôpitaux, marchés... Les habitants ne sortent même plus dans les champs. Ils ratent la saison des récoltes, entre mai et août, ce qui est très préoccupant pour une communauté paysanne qui se voit même interdire l'aide humanitaire. Même si le pays a fait scission en 2011, les choses restent aussi à faire au Soudan du sud. Ce pays fait partie des Nations-Unies, a déclaré avoir adopté la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen mais ne l'a pas encore signée. Je crois même qu'ils ont adopté la peine de mort... Il n'y a donc pas de différence majeure entre le Soudan du sud et le Soudan. 

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Geneviève Garrigos, présidente d'Amnesty International France © Christophe Meiris