Interview : Giulia Foïs, une journaliste à l'écoute Giulia et son métier

Comment en êtes-vous arrivée à vous spécialiser dans la sexo ?

J'ai toujours fait beaucoup de journalisme société. En sortant de l'école, je n'ai fait que du journalisme société et j'ai fait beaucoup de papiers sexo et couple pour Psychologie Magazine, mais aussi pour Libé. J'ai fait pas mal d'enquêtes dans Marianne, des enquêtes longues, de société tournées autour de la sexualité, par exemple, la sexualité des jeunes, la sexualité des femmes, sur les tabous, sur les difficultés à dire non. 

Il y en a qui font ce métier là pour faire des analyses politique, il y en a qui l'ont choisi pour faire des compte-rendus de match, moi, ce qui m'intéressait vraiment, c'était moins ce qui se passait du côté du cerveau que de la chair et de l'humain. C'était les gens. En fait, c'est par cercle concentrique que je suis arrivée à la sexualité, parce que quand même, on finit toujours par y revenir. En sachant que, pour moi, la sexualité ce n'est pas que génital, ça ne situe pas qu'en dessous de la ceinture. Mais, si on prend la sexualité au sens à la fois sociétal, psy, médical, historique, là, ça devient plutôt infini dans le genre et assez passionnant. 

Dans Point G, la sexualité c'est autant des questions de mécanique des corps, que de désir, d'envie, de fantasme, mais aussi d'amour, de couple, d'individu et de son rapport au corps, mais aussi le contexte sociétal qui permet ou qui entrave la sexualité. C'est la sexualité au sens très large. 

Et donc, le Mouv', ça a été une opportunité ?
Ca faisait trois ans que je ne faisais plus uniquement de radio. Je venais de faire dix ans de piges où je m'étais éclatée, je faisais de la télé, de la radio et de la presse. Le Mouv m'a appelée parce qu'ils cherchaient un profil un peu compliqué, quelqu'un qui soit journaliste, et en même temps quelqu'un qui soit un peu déconnant, un peu chaleureux dans la forme. Ils ne savaient pas encore bien pour quel créneau. Ils refaisaient leurs grilles donc ils hésitaient. 

À ce moment-là, j'ai croisé la route de Daniel Morin, qui préparait une émission de rentrée pour Le Mouv', La Morinade, et pour laquelle il cherchait une co-animatrice. Du coup, c'est là-dessus que je suis partie, parce que je me suis très bien entendu avec lui. Mais, dès le premier jour où Patrice Blanc-Francard, m'a reçue dans son bureau, je lui ai dit : "Oui c'est super tout ça, mais j'aimerais bien faire une émission sur la sexualité", ce à quoi il m'a répondu : "Oui, c'est super, mais non". 

Tous les 6 mois, je retournais le voir pour lui dire que j'adorais co-animer, que j'adorais Daniel, mais que j'aurais bien aimé avoir mon créneau à moi et mon émission sur la sexualité. Il me répondait toujours qu'il n'avait pas de place. L'année dernière, Frédéric Bonneau est parti prendre la direction des Inrocks en plein milieu de l'année, ça a libéré une heure d'antenne et j'ai proposé un sujet sur la sexualité. J'avais déjà commencé à proposer pas mal de choses en télé, mais quelque chose me disait qu'il n'y aurait qu'en radio que je pourrais le faire. La radio donne cet anonymat qui permet une vraie sincérité dans les témoignages alors que je trouve que la caméra biaise tout. Donc, je propose une énième émission, sauf que cette fois-ci ça marche, et que Blanc-Francard m'appelle. Et comme je le dis dans le livre : je lui ai dit non. Finalement, je ne pensais pas être prête. J'ai pleuré pendant deux jours en me disant que j'allais me tôler, que ça allait être la honte professionnelle de ma vie... Et puis, en fait, je n'avais pas trop le choix, donc j'y suis allée !

Et comment ce choix est perçu par votre entourage, la profession, les gens que vous rencontrez ?
Mes proches me connaissaient, connaissaient mon parcours, et donc, ils y voyaient vraiment une étape. C'était extrêmement cohérent pour eux. Pour les gens que je rencontre, il y a toujours un petit blanc. 

En fait, la profession se pince un peu le nez, c'est-à-dire que, pour eux, ça ne peut pas être du journalisme, ce n'est pas possible. La sexualité ne peut pas être un sujet. Comment je peux oser, alors que j'ai une carte de presse, faire une émission "à la Brigitte Lahaie", avec tout le mépris que vous pouvez imaginer dans cette phrase-là. 

En fait, j'ai fini par comprendre. Même pour mes confrères, ceux qui affichent un petit snobisme comme ça, ou une petite réticence, je pense qu'avant tout, ce sont des êtres humains et que la sexualité réveille toujours des choses très intimes, profondes, archaïques, sans même sans rendre compte... Et je me rends vraiment compte à quel point il y a du boulot. Par exemple, j'ai croisé un collègue de travail qui avait appris que je faisais un livre et qui m'a dit : "Mais tu ne vas pas faire de la sexualité ton fond de commerce toute ta vie ?". Je lui ai demandé si il me poserait la même question si je faisais de la politique. Il a eu l'honnêteté de reconnaître qu'effectivement, il ne m'aurait pas posé la question, et puis il s'est arrêté trois minutes, et ma dit "Non, mais on peut ne pas faire l'amour pendant quatre mois et être normal". Donc, en fait, on en est là. Ça va chercher au fond des gens. Ça réveille des trucs, et comme personne n'a jamais vraiment tout réglé de ce côté-là...

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