Au Cameroun, scolarisons les petites filles !

Dans le quartier populaire de la Briqueterie, au cœur de Yaoundé, à peine un tiers des petites filles fréquente l'école. Un fléau que PLAN avec le soutien financier de Bourjois, tente de combattre. Le Journal des Femmes s'est rendu sur le terrain. Reportage.

Quartier de la Briqueterie, Yaoundé, mai 2011

6h30. Aïcha, 8 ans, n'est pas à la maison. ''Elle est partie chercher du bois'', annonce sa mère. A cette heure-ci, les filles d'Adama sont déjà bien occupées. Accroupies au sol, Salamatou et Patou, 12 et 14 ans, dépoussièrent le sol avec une balayette de fortune. Chaque matin, c'est le même rituel. A 5h, Aïcha et Salamatou se lèvent, prient et s'attaquent aux tâches domestiques. Vaisselle, balai, marché ou bois... Les corvées sont routinières. 6h45. C'est la pause. Elles avalent un petit déjeuner frugal composé de beignets de maïs et de têtes de poisson fumé. Pas de table ni de chaise. Ici, on mange à même le sol. Le repas à peine avalé, les petites filles enfilent leur sac à dos. 7h00. C'est l'heure d'aller à l'école. Patou, elle, reste à la maison. Sa mère a besoin de son aide. Ses sœurs quittent la maison à pied. Après quinze minutes de marche dans les rues rouges et sales de la Briqueterie, les fillettes franchissent la grille de l'école Ekoudou. 7h30. La cloche sonne. Elles resteront en classe jusqu'à 14h.

Le poids de la religion

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Un plateau sur la tête, les petites filles déambulent dans les rues pour vendre œufs, beignets, tomates... © Stéphanie Mundubeltz-Gendron/Journal des Femmes
Pourtant, Aïcha et Salamatou ont de la chance. Celle d'aller à l'école. Car à la Briqueterie, quartier populaire de Yaoundé majoritairement représenté par l'ethnie haoussa, seuls 42 % des enfants sont scolarisés... contre 79 % au niveau national. Parmi eux, 37 % de filles contre 47 % de garçons. ''Les filles sont davantage victimes des us et coutumes musulmans'', explique Alice Ndo, directrice de l'Ecole Ekoudou francophone groupe II. Mariages forcés, grossesses précoces, travail domestique... Les jeunes filles haoussas ne sont pas épargnées. Sans compter la pauvreté des familles. Vente de beignets, de fruits, d'œufs... La plupart déambule dans la rue pour subvenir aux moyens du foyer. ''Les mœurs et la tradition ne veulent pas que la jeune fille fréquente l'école. Elle va peut-être commencer, aller jusqu'au CE1 ou CE2, et puis s'arrêter'', ajoute Bernard Betchem à Mbassa, son homologue du Groupe III. Pour les familles, rien d'anormal. ''C'est comme ça'', répond une maman, fataliste.

Toutes à l'école !

Face à cette désertification des écoles, l'Afhadev (Association des femmes haoussas pour le développement) mène un combat quotidien. A sa tête : Hawaou, 36 ans, elle-même déscolarisée à 8 ans, mariée à 16 ans, puis exploitée par sa belle-famille. Sa cause : lutter contre la déperdition scolaire de la femme ou de la jeune fille haoussa. ''J'aimerais que les jeunes filles ne vivent plus ce que moi j'ai vécu'', explique-t-elle. ''Nous ne sommes pas des machines à procréer''. Un enjeu d'autant plus important lorsqu'on sait que l'allongement de la scolarisation des filles participe à l'abaissement du seuil de pauvreté. Selon la Banque mondiale, une année d'étude supplémentaire des filles permettrait d'augmenter leurs revenus futurs de 10 à 20 %. Autres bénéfices : le report de l'âge du mariage, la baisse de la natalité, de la mortalité infantile et de la malnutrition.

Main dans la main

Grand Imam, chef du quartier, cheftaine, enfants, mamans, pères... Hawaou est allée convaincre une à une les autorités et les familles de l'importance de l'éducation des enfants. Petit à petit, elle a su gagner la confiance de la communauté. Toujours dans le respect des traditions. ''Les hommes, c'est comme les chats, il faut les caresser dans le sens du poil'', plaisante Hawaou. Avant d'ajouter : ''Pour se faire accepter, il faut être soumise, il faut savoir parler aux hommes. Si vous les combattez ou changez la mentalité, ça ne passe pas. C'est l'homme qui commande. Vous lui demandez son consentement pour changer la communauté.'' Pari réussi pour la présidente de l'Afhadev. Réunions de sensibilisation auprès des familles, cours de soutien scolaire, microcrédit pour les femmes, gouvernements d'enfants, délivrance d'actes de naissance... Avec le soutien de PLAN, l'Afhadev a mis en place une mécanique vertueuse auprès de 3 500 filles de quartier en âge d'être scolarisées. Au programme également : la création et la réhabilitation de nouvelles salles de classes et l'amélioration des conditions d'hygiène au sein des écoles.

Vers un avenir meilleur

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Hawaou, 36 ans lutte pour l'éducation des jeunes filles : "Je ne veux plus qu'elles vivent ce que moi j'ai vécu". © Stéphanie Mundubeltz-Gendron/Journal des Femmes
De retour à la maison, pas de place au jeu ni à la détente. Aïcha et Salamatou déjeunent, prient et s'activent de nouveau aux tâches ménagères. Un peu de maquillage, un plateau sur la tête, Salamatou ressort vendre les beignets faits par leur mère. Aïcha part acheter du lait. Le père ? Parti ! Depuis que son mari l'a délaissée pour aller vivre avec sa deuxième femme au Gabon, Adama élève seule ses six filles. Alors, il faut bien se débrouiller pour nourrir la famille... A 16h, Aïcha et Salamatou repartent pour l'école coranique puis la "répétition" (cours de soutien scolaire, ndlr). A leur retour, elles aideront leur mère, mangeront, puis reprendront leur cahier d'exercices... s'il leur reste un peu de temps. Le rêve d'Aïcha ? Devenir avocate : ''Je veux aider les femmes car elles ont plein de problèmes. J'ai des copines qui ne vont pas à l'école car leurs parents ne veulent pas. Il faut leur dire que c'est important. Ça permet de travailler, de compter l'argent...''. Le message est passé. La dynamique est enclenchée !



Découvrez le reportage en vidéo sur le projet de scolarisation des jeunes filles à Yaoundé

"Projet de scolarisation des filles au Cameroun"

Stéphanie Mundubeltz-Gendron