Mercedes Erra, Ibère libérée

A 6 ans, Mercedes Erra quitte Barcelone pour la France. Enfance ballottée d'une banlieue à l'autre, Mercedes veut s'intégrer. La Catalane apprend le français en écoutant France Inter. Bourreau de travail, amoureuse des mots, elle devient prof' de Lettres, mais l'enseignement lui permet davantage de se conformer que de se surpasser. Alors elle oblique : elle intègre HEC, se tourne vers la publicité. Une campagne sur le rasage féminin créé le déclic. Le statut de victime, elle met un trait (de rouge à lèvre) dessus. Ce qu'elle préfère : suivre son chemin, donner du sens et combattre les préjugés. Stagiaire chez Saatchi & Saatchi Advertising, elle en est, huit ans après, directrice générale. Saatchi, c'est là aussi qu'elle rencontre son compagnon, Jean-Paul, en charge de la documentation. Un couple détonant. Lui s'arrête de travailler pour s'occuper de leur progéniture. Mercedes fonde BETC et redore le blason de marques comme Evian, Danone, Lu, Carrefour, Orange, Wonderbra, Air France...  Consécration : cette femme entière, fantasque, sincère, un poil autoritaire, mais surtout exigeante et déterminée, décroche la médaille du Mérite et la Légion d'Honneur.

Respect sans idolâtrie

"J'admire ce qu'ont fait Gisèle Halimi, Elisabeth Badinter et Simone Veil, j'ai aussi beaucoup de respect pour Valérie Pécresse et Nathalie Kosciusko-Morizet , mais je n'ai pas d'héroïne. Ma maman était à la maison mais je pense qu'elle se serait davantage épanouie à l'extérieur et que la vie qui lui était faite n'était pas exactement pour elle."

Sa féminité a parfois été un handicap

"J'ai assez vite perçu que mon salaire était inférieur à celui de mes associés masculins. Les filles surveillent moins les fiches de paie, paraît-il... C'est très choquant cette différence de rémunération. Les femmes doivent vraiment se défendre*. Il faut qu'elles se mettent en situation de prendre la tête des entreprises. C'est important pour nous tous."

Active et rebelle

"Alors qu'elles exercent un métier en dehors de la maison, les femmes continuent de prendre en charge leur foyer. On nous parle de "concilier vie privée et vie professionnelle", on nous culpabilise, sans imposer la même chose aux hommes. Culturellement, des clichés ressurgissent, comme celui des joies de l'allaitement. J'ai élevé mes cinq enfants au biberon. Et ils se portent à merveille ! Oui, les femmes peuvent se donner les moyens d'accéder à des postes à responsabilité et essayer de prendre avec moins d'inquiétude leur vie familiale.
Exiger la parité, ce n'est pas un aveu de faiblesse, c'est une nécessité. Je me suis battue en faveur de quotas de femmes dans les conseils d'administration. Nous ne sommes toujours pas parvenus à l'égalité. Il est nécessaire que le président de la République considère la condition de la femme comme un  enjeu prioritaire. Je suis 100 % pour la création d'un Ministère des Droits des femmes et de la parentalité."

Bonheur et sourire en étendard

"Travailler me rend heureuse. On ne dit pas assez que l'on a de la chance. Je fais des choses qui me plaisent, et j'ai un mari qui apprécie que son épouse s'épanouisse au boulot. Par ailleurs, je pense qu'il faut toujours participer au concret. J'aime ranger les courses, bouger les meubles, faire le ménage, cela me permet de canaliser mon énergie et de prendre du recul, de ne pas me considérer comme trop importante. Humainement, c'est un plus de régir son intérieur, de pouvoir s'occuper d'enfants, ou pour certaines, de faire la cuisine, la déco. Mais c'est parce que je fais les tâches ménagères quand j'en ai envie et que j'ai un soutien au quotidien en la personne de mon conjoint que cela ne me dérange pas. Les filles ne sont pas nées pour faire les lits. Nous n'avons pas de "gène" de la vaisselle ou de la lessive. Tout cela se doit d'être partagé. Quand Marie-Claire m'a proposé de me déguiser en garçon pour un dossier de leur magazine, j'ai hurlé.. avant de me travestir. Ce sont les hommes qu'il faut changer, pas les femmes. Les filles doivent penser que tout est possible."

Working-girl, elle joue aussi de son image "Le féminisme que je prône ne doit pas empêcher la séduction. Il m'autorise à m'amuser, à accroître les différences entre les sexes, à être provocante, un peu vamp. J'assume les artifices de la mode, les accessoires, les cheveux platine. Je suis une partisane des talons aiguilles, des mini-jupes en cuir, des couleurs flashy qui ne sont pas contradictoires avec l'expression de l'intelligence. Je dis "oui" (d'une voix rauque, ndlr), aux stéréotypes de genre s'ils valorisent les femmes et plaisent aux hommes."

Une féline devenue louve

"J'ai 5 garçons : Jean, 16 ans, les jumeaux Louis et Adrien, 18 ans, Benjamin, 19 ans et Pierre, 24 ans. C'est magnifique, indescriptible le bonheur d'être mère. Mes fils ne sont pas admiratifs, mais bienveillants à mon égard. Ai-je trop voulu les sensibiliser à la cause des femmes ? Ils ont énormément de distance et de recul par rapport à ce combat. Ils me charrient et font de l'humour au 40e degré sur le sexe dit "faible". Souvent, je n'agis pas dans le bon sens avec eux car je trouve plus simple de faire que de leur "faire faire". C'est la personne avec laquelle ils vivront qui sera la clef..."

Attributs féminins à souhait, tempérament viril, Mercedes Erra est contre les hommes, tout contre, dirait Sacha Guitry...

Portrait chinois :

Si vous étiez...

un mot : la fougue
un végétal : un olivier
un film : Jules et Jim
une recette : du pain à la tomate
un animal : un chat
une drogue : la cocaïne
une chanson : L'Estaca de Lluís Llach
un parfum : Lolita Lempicka ou Stella Cadente
Si vous étiez un homme : Je ne serai jamais un homme, je ne le veux pas

-* : Cette lutte, Mercedes Erra la mène sur tous les fronts. Elle est engagée dans le Women's Forum for the Economy and Society, dans l'UNICEF, dans la Fondation ELLE. Mercedes Erra est également membre actif du Comité français de Human Rights Watch, membre permanent de la Commission sur l'image des femmes dans les médias, de Force Femmes, du Laboratoire de l'Egalité et soutien de l'association Ni Putes ni Soumises. Mercedes Erra est aussi Présidente de la Cité Nationale de l'histoire de l'immigration.