Anna Mouglalis, la sublime

Forte, paisible, sombre et douce, énigmatique mais passionnante, Anna Mouglalis nous parle de ses aspirations et de son dernier film, PHOTO, un drame de Carlos Saboga aussi beau que fascinant.

Anna Mouglalis, la sublime

A l'angle de la rue de Maubeuge et de la rue de Rochechouart, le café Odette et Aimé ne paye pas de mine. Seuls ses clients lui prodiguent ce charme parisien à la fois cultivé et négligé. Parmi les couples, les solitaires, les journaux déployés, je reconnais celle que je dois rencontrer. Elle est vêtue d'une chemise blanc cassé ornée d'une lavallière noire qui laisse deviner la finesse de la silhouette. Anna Mouglalis est définitivement une femme d'une beauté aussi mystérieuse qu'élégante.
Dans PHOTO de Carlos Saboga, elle interprète le rôle d'Elisa, trentenaire énigmatique à la recherche du temps, entre Paris et Lisbonne. A l'aide des photographies retrouvées dans le bureau de sa mère décédée, elle parcoure son histoire, fait défiler les souvenirs des générations passées. "C'est un film tout en fragilité", avoue-t-elle. "Aujourd'hui, faire partie d'une génération ayant pris part à un conflit politique n'est plus le fruit d'un choix individuel mais une responsabilité à porter. Mes parents ont fait 1968, et on les accule de cette partie de l'histoire. De toutes façons tout acte est politique". Ces quelques mots révèlent la culture d'Anna, pour se construire, elle emprunte à la philosophie, au féminisme, un peu au shiatsu que lui a inculqué sa mère. "Je n'ai jamais eu peur d'être malade... Mais j'ai peur d'avoir peur". Par chance, son métier d'actrice l'a depuis longtemps convertie à la combativité et au goût de la transgression. 

Mère d'une petite Saül (6 ans), Anna s'inquiète de la folie du monde. "Ce jeunisme incontrôlé m'effraie". Quand elle a appris qu'elle allait accoucher d'une fille, elle a été accablée. "La vie des femmes est compliquée. Elles doivent accéder à l'autonomie, ne pas céder à la tyrannie". Inspirée par Simone de Beauvoir dont elle a étudié l'œuvre pour son rôle dans Les Amants du Flore, Anna mentionne une scène du film de Patrick Jean La Domination Féminine : "lorsqu'une jeune fille est à la fenêtre, on suppose qu'elle rêve. Lorsqu'un garçon est dans cette posture, on suggère qu'il est puni. La détermination des genres est une véritable barrière pour l'expression", lâche-t-elle dans un soupir.

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Image du film PHOTO, en salles le 10 avril 2013 © Alfama Films

Dans ses yeux noirs et sa voix rauque circulent les reflets et les notes d'une vie menée sous le signe de la liberté et de l'authenticité. Cette insoumission lui a permis de nouer avec les metteurs en scène une relation précieuse. Dans les fictions, elle s'épanouit, se retrouve. "Une belle rencontre, c'est un partage. Un regard et une parole sont toujours le commencement d'une aventure humaine". 

Parmi ces rencontres, celle de Karl Lagerfeld. Egérie de la maison Chanel depuis 10 ans, l'actrice s'est découverte à travers le regard du Kaiser. "Il s'inspirait de sa superbe collection d'art pour recréer une image vivante, érudite et accessible". "A un tel niveau de technicité voilée, la mode n'est plus un simple habillement, c'est une sensualité". Anna Mouglalis, qui a interprété Coco Chanel, la cite : "On porte la robe, on n'est pas porté par la robe". C'est la raison pour laquelle elle demeure attachée à cette maison de couture "ils n'ont jamais interféré dans ma carrière d'actrice, ni opposé quelque exigence que ce soit dans le choix de mes films".
Confidentiels, mélancolique, les films qui ont rythmé sa carrière témoignent tous d'une facette de sa personnalité. "J'ai appris à me connaître grâce aux rôles que j'ai préparé et composé". "On s'offre sa propre estime", affirme-t-elle avec assurance et profondeur. 

Cette confiance, elle l'a construite et a dû la prouver dès ses 16 ans, lorsqu'elle est arrivée dans la capitale. Originaire de Nantes, sa relation trop fusionnelle avec sa mère la pousse à la conquête de Paris. "Je ne pourrais vivre dans aucune autre ville. J'ai cru longtemps que je ne pourrais pas vivre à la campagne non plus. Aujourd'hui cette possibilité m'apparaît comme une promesse de tranquillité et un rapprochement avec la nature". Qu'emporterait-elle sur une île déserte ? Deux livres : "Don Quichotte, pour ne pas perdre le sens de l'imagination". Et "Vendredi ou Les Limbes du Pacifique" . Deux films : "La Strada de Fellini", et "A Bout de Souffle" de Godard. Deux albums : "Les Variations de Goldberg par Glenn Gould", "Desire" de Bob Dylan... Et pourquoi pas "Kind of Blue de Miles Davis". Le blues, Anna ne l'a pas. "La bêtise qu'on trouve au coin de la rue" la déprime, la phrase "il ne m'a même pas dit bonjour", aussi. Ce qui l'afflige ? "La violence et la misogynie".

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Image du film PHOTO, en salles le 10 avril 2013 © Alfama Films

Malgré tout, lorsqu'on lui pose la question de savoir si elle est heureuse, c'est un immense "Oui", qui sort de sa bouche. Mariée à l'homme d'affaires australien Vincent Raes depuis le 22 mars 2013, elle demeure discrète sur sa vie privée. "J'évite les plateaux TV, c'est le meilleur moyen pour qu'on vous laisse tranquille". L'intimité est un luxe qu'elle s'offre tous les matins, en se laissant cinq petites minutes pour rêver. Carlos Saboga, le réalisateur de Photo dit d'elle qu'elle ressemble à Ava Gardner. A ce nom, elle raconte l'histoire d'une femme hors du commun : "Ava Gardner était une femme exceptionnelle. A la fin de sa carrière, elle a quitté et Hollywood et est tombée amoureuse d'un toréador. Elle a elle-même exercé la tauromachie, puis elle s'est enfermée dans une maison à Londres. On dit même qu'elle donnait des interviews via son interphone!" confie-t-elle, émerveillée. Cette combativité se retrouve chez Anna. Elle s'est toujours dressée contre les injustices quotidiennes, aux côtés des opprimés, des humains dans la recherche d'eux-mêmes, comme Elisa, la belle brune de Photo.
La facilité n'a jamais été son fort. "J'étais très mauvaise mannequin, j'avais l'impression d'être une arnaque". Elle n'a jamais couru après le confort ou l'accessible. Même lorsqu'elle parle de Lisbonne, lieu de tournage du film, elle évoque d'abord un "dédale de collines". Anna Mouglalis incarne une soif de connaissance et d'aventure aussi virile qui délicate. Insaisissable et charmante, elle s'observe avec bienveillance et sagesse. Si elle devait choisir une image pour représenter le chemin parcouru, elle choisirait une photo de l'océan, serein, profond et animé d'une énergie naturelle et imprévisible.