Amos Gitaï : Ana Arabia, son arme pour la paix

En plein conflit israélo-palestinien, "Ana Arabia" sort dans les salles, le 6 août. "Je suis Arabe" d'Amos Gitaï parle de la relation entre Arabes et Juifs en Israël. Il prouve que l'art cinématographique est une arme pour la paix.

Rencontrer un grand réalisateur, dont la carrière s'étend sur 41 ans et comprend plus de 80 films, est toujours un honneur. Amos Gitaï, d'origine israélienne, est assis à la terrasse d'un café parisien, le regard sur le canal d'en face. Son expérience de soldat lors de la guerre du Kippour, sa vie entre Haïfa et Paris... Tout ça force le respect. Un café pour se réchauffer les idées et l'échange peut commencer.

Le Journal des Femmes : Vous êtes-vous inspiré d'une histoire vraie pour Ana Arabia ?
Amos Gitaï : Depuis 1981, je fais des documentaires dans des communautés pauvres, près d'Haïfa. Les habitants sont des Palestiniens qui ont fui leur maison depuis la création de l'Etat d'Israël [le 14 mai 1948] et des immigrés juifs d'Europe et du Maghreb. Je me suis inspiré d'une de leurs histoires pour Ana Arabia. Une femme voilée d'Umm el Fahm, dans le nord d'Israël, était partie voir son médecin. Il lui avait diagnostiqué une malnutrition quand elle était plus jeune... Elle avait alors craqué et lui avait confié qu'elle était rescapée d'Auschwitz, désormais mariée à un Arabe avec qui elle avait eu 5 enfants. Les conséquences de son choix étaient riches à analyser.

Quels stéréotypes avez-vous voulu casser sur la situation israélo-palestinienne ?
Amos Gitaï : Le vrai problème, c'est que tout le monde intoxique l'image du Moyen-Orient. Pire : chaque côté croit qu'il a raison. Alors Ana Arabia - un titre que j'ai choisi pour montrer que la femme juive assume son amour pour un Arabe - veut briser ce stéréotype qui colle à la peau du conflit. L'amitié et l'amour entre Juifs et Arabes sont des liens possibles et courants en Israël ! Sauf que, pour les établir, ce n'est pas si simple : il faut être ouvert à l'autre pour obtenir la paix et trouver une coexistence malgré les différences. 

Comment l'idée d'un tel film a-t-elle été reçue parmi les habitants du quartier ? 
Amos Gitaï : Le tournage, entre Tel Aviv et Jaffa, s'est très bien passé et les gens étaient très sympa. On a offert une sortie au Luna Park à tous les enfants du quartier pour qu'il n'y ait aucun bruit. Vous imaginez leur bonheur ! Les gens nous ont accueillis les bras ouverts et nous ont donné accès à des lieux uniques...

Vous qui êtes né à Haïfa, quel est votre regard sur la situation actuelle dans votre pays et dans les Territoires palestiniens ?
Amos Gitaï : Je le répète : mon parti pris est pour la paix. C'est dommage, malgré plusieurs efforts des deux côtés, il y a un blocage, des centaines de morts... ll faut absolument arrêter la guerre pour trouver un modus vivendi pacifique. Parler les deux langues, c'est le cas de beaucoup de personnes. Pourquoi donc ne s'acceptent-ils pas ? Comme le cinéma, c'est la mémoire, je me sers surtout de mes films pour dénoncer ce carnage, pour laisser une trace de cette épopée de mon pays. Je n'ai pas de haine et je comprends la souffrance des deux côtés. J'espère qu'un jour, on arrivera à changer les choses. Ce n'est pas en cultivant la haine de l'autre que tout s'arrangera. Je n'oublie aucune partie du Moyen-Orient : la Syrie, l'Irak... La connerie humaine arrive à faire des choses désastrueuses. Pour moi, il faut prôner le dialogue et rester ouvert : mes films essaient de répéter ça, comme une musique en boucle pour marquer au fer rouge ces idées pacifiques dans les esprits. 

Portrait chinois : si vous étiez ...

Un pays : La Lune qui regarde la Terre en disant : "Arrêtez les conneries, la guerre inutile et le désastre économique !"
Une femme : ma grand-mère, qui me disait toujours que la force d'une société était le respect des femmes. Pour moi, c'est une des forces d'Israël. 
Une saison : le printemps, car c'est la fin de l'hiver
Une odeur : l'eucalyptus
Un métier : architecte, c'était mon métier initial
Une recette de cuisine : un plat italien ou japonais
Un sentiment : l'amour... 
Une chanson : Frère Jacques, qu'on peut entendre à la fin du film... C'est aussi le troisième mouvement de la première symphonie de Gustav Malher !

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Amos Gitaï © Océan Films