Lost River: hypnotique, fascinant, incandescent

Une rivière de perdue, un génie de trouvé… Avec Lost River, Ryan Gosling se révèle cinéaste virtuose. Il nous embarque dans un voyage sensoriel, convoque les références aux plus grands, joue avec les éléments (le feu, l'eau, le sang) et offre une expérience hallucinogène à la fois esthétique, morbide et sublime. Un torrent d'émotions.

Une cité engloutie, un décor apocalyptique, et au milieu coule la mélancolie sulfureuse de Christina Hendricks, rousse incendiaire et mère célibataire d'un bébé solaire et d'un grand gaillard. Bones (c'est le nom de son fils aîné) vole du cuivre, se consume pour Saoirse Ronan et risque sa peau à chaque instant. Cet écorché vif incarné par le charismatique Iain de Casestecker est aux prises avec Mad Matt (Smith), prédateur rebelle avide de chair et de terreur. Entre réalité crasseuse et scènes macabres, au détour des rues désertes et des mutilations gratuites, surgit une poésie inédite.
Tourné à Détroit, mais grandiose, Lost River est un "Blue Velvet" undergroud, un opus arty à la frontière des genres. Fantastique, dramatique, angoissant, le film navigue entre les registres et scotche le spectateur par sa violence, sa noirceur, sa tension. On suffoque, on frissonne, on s'épouvante… jusqu'à l'asphyxie. Souffrance pour certains, jouissance pour d'autres, pas le temps de trancher. Eva Mendes, princesse gore ou Reda Kateb, chauffeur de taxi (tout droit sorti du Holy Motors de Leos Carax), nous repêchent. Sans nous apporter d'éclairage, sans nous donner les clés de l'analyse, les néons clignotent et des lueurs d'espoir  apparaissent. Une photographie à couper le souffle, des acteurs lumineux et une bande-son erratique: la symphonie onirique composée par Ryan Gosling confine au chef d'œuvre.
Délit de belle gueule ? Ryan Gosling a une tête bien faite, bien pleine et un esprit très tourmenté. Avec Lost River, qu'il a écrit et réalisé, l'ex-gamin star du Mickey Mouse Club démontre qu'il a construit son imaginaire loin de l'imagerie Disney. Cinéphile, Ryan Gosling s'est inspiré de Winding Refn, Cianfrance, Malick, Lynch, Argento, Del Toro... des maîtres qu'il revendique.
Son premier long-métrage est un bijou visuel, un opus personnel, perturbant, dérangeant parfois. Maisons en ruines, paysages désenchantés, familles détruites... Beaucoup de flammes et de larmes. Peu d'air. A  contre-courant, ce conte inclassable est complexe à décrypter, mais fulgurant.

Laissez-vous brûler les ailes et glacer les veines, en salles  le 8 avril 2015