Lisa Lovatt-Smith, de la jet-set à la brousse

Lisa Lovatt-Smith est une vraie pasionaria. Il y a 10 ans, cette Anglaise née à Barcelone, rédactrice en chef du magazine Vogue, a plaqué faste et paillettes pour se consacrer aux orphelins du Ghana, leur offrir une vraie famille et leur épargner l'indigence des orphelinats.

Lisa Lovatt-Smith, de la jet-set à la brousse
© Lisa Lovatt-Smith

Pour les 15 ans du Prix de la Femme Dynamisante, qui récompense et soutient chaque année des femmes engagées auprès des enfants en souffrance, Clarins a choisi de récompenser une figure emblématique de ce généreux combat : Lisa Lovatt-Smith, qui sera l'invitée de Marielle Fournier, dans les Dossiers de Téva, samedi 10 novembre, à 20h40.
Femme de coeur, femme du monde, femme d'exception, cette guerrière de l'amour lutte contre l'injustice, sème l'espoir et récolte le bonheur des enfants abandonnés. Ex-fashionista devenue mamma en boubou, Lisa Lovatt-Smith a quitté sa vie dorée de star de la mode pour créer l'association "Orphan Aid Africa". Nous l'avons rencontrée dans un hôtel cinq étoiles du XVIe arrondissement, juste avant qu'elle ne reparte pour l'Afrique...

Comment vous sentez-vous dans un palace ?
Lisa Lovatt-Smith : J'honore une invitation. Je suis ravie de voir des jolies choses, mais c'est très éloigné de ce que je suis aujourd'hui. Je vis dans une cahute en paille et en terre cuite.

Vous savez encore profiter du luxe ?
L. L.-S. : Cela ravive des souvenirs. C'est riche en émotions car j'ai brillé sous les ors de Paris. Maintenant, j'habite au Ghana et je n'ai plus les mêmes repères...

Clarins dit avoir récompensé "une héroïne des temps modernes", c'est ainsi que vous vous voyez ?
L. L.-S. : C'est gentil, flatteur, mais disons plutôt que je m'investis, pour mon bonheur, auprès des plus vulnérables.

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Lisa Lovatt-Smith © .

Quelle enfant étiez-vous ?
L. L.-S. : J'ai grandi dans une famille d'accueil à Barcelone avec laquelle j'ai eu la chance de pouvoir voyager. Toute petite déjà, j'étais passionnée par l'écriture, le journalisme. J'étais boursière donc j'étais obligée de bien travailler à l'école. Je n'étais pas du tout dans la rébellion. Je ne voulais pas passer à côté de ma chance. J'ai remporté un concours et suis rentrée au sein du groupe de presse Conde Nast à 17 ans, sans faire d'études. J'ai évolué au poste de rédactrice photos du Vogue anglais puis rédactrice en chef mode du Vogue Espagne.

Puis vous êtes devenue "maman"...
L. L.-S. : A l'époque, j'assistais à tous les défilés, je vivais dans un château et menais grand train... Les gens m'ont dit que m'occuper d'enfants allait ralentir ma carrière, je m'en fichais. Quand j'ai eu 22 ans, j'ai accueilli des enfants de la DDASS. Puis, j'ai adopté une petite Marocaine, Sabrina, sept ans après l'avoir accueillie en placement.

Qu'est-ce qui a motivé votre premier séjour au Ghana ?
L. L.-S. : En 2002, j'ai voulu emmener Sabrina à l'étranger pour qu'elle prenne conscience d'une autre réalité... Nous avions pensé à l'Inde, nous nous sommes finalement envolées pour le Ghana.

Quel a été votre ressenti lors de votre arrivée sur le territoire ?
L. L.-S. : Le choc a été terrible. Nous avons découvert le triste sort d'enfants affamés, battus, malades... Nous sommes tombées dans un endroit qui nous a été présenté comme un endroit formidable où les parents laissaient leur progéniture pour qu'elle bénéficie d'une éducation religieuse. Nous avons été manipulées. Le personnel était très habile, mais il s'agissait de trafiquants. Au Ghana, sur 148 orphelinats, seulement 15 sont légaux.

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Lisa Lovatt-Smith © .

Quel a été le déclic qui vous a fait tout plaquer ?
L. L.-S. : C'est l'abandon du petit Kosy, sous mes yeux. Cela a été très frappant, déchirant. Une voiture est arrivée à vive allure. Ses passagers ont poussé un petit garçon dehors, lui ont lancé ses sacs, puis ont redémarré, laissant le bambin, démuni, au bord de la route, devant l'orphelinat.

C'est alors que vous avez vendu tous vos biens pour créer une fondation, OrphanAid Africa ?
L. L.-S. : En quelques mois sur place, j'ai pris conscience de la situation. Je suis une femme d'action. J'ai voulu arranger les choses. Les enfants ont moins besoin du confort matériel d'une institution que d'un lien d'amour à vie. Il ne faut pas les placer dans des structures avec une porte fermée. J'ai donc entrepris de retrouver leurs familles. Face à un abandon, il faut chercher le parent qui, moyennant un soutien financier, pourra prendre le petit et établir avec lui une relation intense et privilégiée. Avec les services sociaux, nous faisons un travail de détective. Notre aide est très personnalisée. Il ne faut pas créer de dépendance, mais respecter les règles tribales.

Vous n'avez pas manqué, "physiquement" à vos proches ?
L. L.-S. : Sabrina est venue avec moi pendant deux ans. Tout mon entourage m'a soutenue. J'ai toujours été une aventurière, eu un esprit cosmopolite. J'ai toujours été en transit, entre Milan, Londres, New York et l'Espagne. Ce départ, c'était une nouvelle étape de mon parcours international.

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Lisa Lovatt-Smith © .

Vous ne parlez pas de relations amoureuses...
L. L.-S. : J'ai épousé un homme au Ghana, nous avons deux enfants, puis nous nous sommes séparés après sept ans de mariage. Il ne m'a pas épaulée financièrement parce qu'il n'avait pas beaucoup de moyens, mais c'est quelqu'un qui m'a appris beaucoup de choses, m'a éclairée sur le fonctionnement de la société ghanéenne.

Quel est votre quotidien ?
L. L.-S. : Je vis avec 30 enfants laissés pour compte. Ils vont à l'école pendant que je suis au bureau. Je m'occupe de lever des fonds. L'après-midi, on se retrouve pour jouer, chanter, peindre. Je prends en charge aussi l'aspect médical. Deux jours par semaine, je vais dans la capitale, Accra, où je travaille avec le gouvernement.

Que pensez-vous de la démarche de Madonna au Malawi ?
L. L.-S. : Je mets en garde contre l'adoption internationale, qui doit être envisagée en dernier recours. La petite Mercy James avait une famille, elle aurait dû rester dans son pays. Les enfants malades (mentaux, ou atteints du Sida), les jeunes handicapés ont besoin d'être adoptés, très rarement les bébés "parfaits".

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Lisa Lovatt-Smith © .

Qu'est-ce que le prix de la Femme Dynamisante va changer pour vous ?
L. L.-S. : Je suis très reconnaissante à Clarins qui est une philanthropie bien organisée. Une ONG a besoin de pérennité pour assurer ses missions. Avec Clarins, le soutien financier revient chaque année. C'est une donation intelligente.

Quelle est la spécificité d'OrphanAid Africa ?
L. L.-S. : Lorsque les Européens voyagent, ils ont des doubles standards : ils ne demandent pas les mêmes droits pour les enfants africains. Ils acceptent l'intolérable au nom de la coutume locale. Or, la violence envers des enfants est universelle, sans frontières, sans différences. Une mère, qu'elle soit en France ou en Afrique, reste une mère. Ce n'est pas pour rien que dans les pays latins ou anglo-saxons les orphelinats ont été fermés au 19e siècle. Ces établissements ne répondent pas aux besoins des enfants. Les pays occidentaux donnent trop de ressources aux institutions, pas assez à "l'humain". L'organisation a un budget d'un million de dollars par an. Nous aidons les enfants de façon structurée et formelle, avec un personnel qualifié. L'association a deux employés en Europe et 70 au Ghana. Et beaucoup de parrains et marraines : Victoria Abril, Inès de la Fressange, Blanca Li, Marcel Desailly, Rossy de Palma, Margherita Missoni, Éric Don-Arthur...

Est-ce que vous avez déjà failli baisser les bras ?
L. L.-S. : Oui, cela m'est arrivé. Je tombe tout le temps malade, je suis épuisée physiquement. Le contexte, aussi, est éprouvant... (Lisa préfère taire les épisodes de violence, le danger permanent et l'enlèvement qu'elle a subi).

Y a-t-il un luxe qui vous manque ?
L. L.-S. : J'ai beaucoup regretté l'accès aux livres, mais depuis que j'ai une tablette tactile, c'est plus facile. Je suis une esthète, j'aime la beauté, les tissus et je repense avec nostalgie à une forme de culture, aux musées, à l'architecture. Heureusement, en Afrique, la nature est spectaculaire, l'enrichissement personnel, impressionnant. On peut facilement se dépenser physiquement (lorsqu'on n'a pas le genou cassé comme moi).

Et si c'était à refaire ?
L. L.-S. : Je signerais tout de suite.

Vous changeriez quelque chose ?
L. L.-S. : Rien, je pense que l'on apprend de ses erreurs...

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