2017, année de la libération de la parole des femmes ?

Tantôt remises en cause, tantôt discréditées, voire pas entendues, les femmes voient leur parole sans cesse entravée, que ce soit dans la sphère privée, professionnelle, ou médiatique. Marlène Coulomb-Gully, enseignante-chercheuse à l'université de Toulouse II spécialisée dans les rapports entre médias, genre et politique, nous éclaire sur le sujet.

2017, année de la libération de la parole des femmes ?
© CHAMUSSY/SIPA

"Tout individu a droit à la liberté d'opinion et d'expression, est-il inscrit dans la Déclaration universelle des droits de l'Homme de 1948. Près de 70 ans après son adoption, ces valeurs ne sont toujours pas respectées. Car les femmes, dont la parole est sans cesse entravée, ne sont ni entendues ni écoutées et se voient muselées, sinon décrédibilisées. Et ce, qu'elles soient salariées, dirigeantes, politiciennes, actrices, ou victimes.

De l'écho sur les réseaux sociaux

Après la révélation de l'affaire Weinstein, de nombreuses victimes de harcèlement ou agression sexuels, majoritairement des femmes, sont sorties du silence sur les réseaux sociaux en utilisant les hashtags #BalanceTonPorc ou #MeToo. Rien qu'en France, les plaintes pour violences sexuelles déposées en gendarmerie ont augmenté de 30 % depuis octobre par rapport à l'année précédente. Les femmes semblent donc avoir été entendues. "Tous les hommes n'ont pas non plus accès à la parole : les racisés, les hommes de milieux modestes en sont souvent interdits eux aussi. C'est la raison pour laquelle la question de l'accès à la parole est au cœur des problématiques d'égalité. Parce que la parole est un pouvoir", explique Marlène Coulomb-Gully, enseignante-chercheuse à l'université de Toulouse II, spécialisée dans les rapports entre médias, genre et politique

Mais pourquoi a-t-il fallu attendre tout ce temps pour que les victimes dénoncent leurs bourreaux ? "La facilité technologique offerte par les réseaux sociaux, l'engagement de personnalités victimes au même titre que n'importe quelle femme et la protection de l'anonymat ont joué dans la prise de parole actuelle", suppose Marlène Coulomb-Gully. Selon elle, c'est surtout le résultat des combats menés par les femmes pour leur autonomie, depuis la moitié du XXème siècle. Femmes qui sont descendues faire du bruit dans les rues pour se faire entendre. Et elles ont (à peu près) eu gain de cause.

Manque de considération

Ce militantisme féministe et cette solidarité sont aussi décriés. Pendant que le phénomène #BalanceTonPorc prenait de l'ampleur, nombreux sont ceux (et celles) qui ont remis en cause la parole des victimes, qui criaient à la délation ou qui y voyaient un comportement hystérique, ce "mal" étymologiquement féminin. Comment expliquer que les femmes ne soient pas prises au sérieux ? "Tout le monde connaît le fameux adage "Sois belle et tais-toi". Celui-ci en dit long sur la disqualification de la parole des femmes, organisée dans un monde fait par et pour les hommes."

Depuis toujours, les femmes sont cantonnées au domestique, quand les hommes occupent l'espace public. "Bien que cela ne corresponde plus à la réalité d'aujourd'hui, ça perdure dans la tête des hommes, qui ne voient pas les femmes comme des options possibles, sinon comme objets du désir."  Et les femmes ne sont pas épargnées : elles se sentent souvent illégitimes lorsqu'il s'agit de prendre la parole, d'apporter leur expertise, ou dans des postes à responsabilités. Et Marlène Coulomb-Gully de préciser : "La construction par les hommes des femmes comme objets du désir fait souvent obstacle et conduit nombre d'entre elles à adopter des codes masculins pour éviter ce genre de problème en 'neutralisant' leur féminité." Le serpent qui se mord la queue, en somme.

La parole, l'apanage des dominants

"Les femmes ont la réputation d'être bavardes : une réputation qui leur est faite par les hommes... pour mieux les réduire au silence ?", plaisante encore la professeure et membre du Haut Conseil à l'égalité femmes-hommes. "Monopoliser la parole, les postes de pouvoir, les emplois lucratifs (voire, dans les pires des cas, abuser des femmes), c'est pour beaucoup d'hommes dans l'ordre des choses. Et voir cet ordre dénoncé et contesté leur pose problème. Discréditer la parole des féministes fait partie des stratégies de résistance." Et ce n'est pas Alain Finkielkraut qui dira le contraire. Celui-ci a déclaré au Figaro que l'un des objectifs de la campagne #BalanceTonPorc "était de noyer le poisson de l'islam" et que "la révolution féministe a déjà eu lieu et elle a porté de merveilleux fruits". Vraiment ?

N'en déplaise au philosophe et Académicien, les femmes continuent de mener leur révolution et de merveilleux fruits ne cessent de tomber. Flavie Flament peut en témoigner : après avoir relaté dans le livre La Consolation son viol commis par le photographe David Hamilton lorsqu'elle avait 13 ans, l'animatrice a été nommée à la tête d'une mission ministérielle sur le délai de prescription des violences sexuelles. Résultat ? Le gouvernement s'est engagé à allonger les délais de prescription à 30 ans pour les mineurs et un projet de loi devrait prochainement être présenté. La preuve que les femmes commencent à être entendues et que leur voix fait désormais autorité ?

Marlène Coulomb-Gully est l'auteure de Femmes en politique, en finir avec les seconds rôles, publié aux éditions Belin.