Bruktawit Tigabu, l'institutrice qui sauve des vies

Lauréate de la 34e édition des Rolex Awards en 2010, Bruktawit Tigabu s'est lancée dans la lutte en faveur de la bonne santé des enfants. De son Ethiopie natale à Paris, cette businesswoman d'exception mène un combat ludique, d'une importance incontestable avec un objectif immense et simple : rendre le monde meilleur.

Bruktawit Tigabu, l'institutrice qui sauve des vies
© Rolex Awards/Thierry Grobet

Rayonnante, pétillante et chaleureuse, Bruktawit Tigabu se présente comme la "cofondatrice de Whizkids Workshop", une entreprise consacrée à l'éducation qu'elle a créée avec son mari en 2005. En 2010, cette courageuse Ethiopienne est devenue la lauréate des Rolex Awards pour son travail remarquable auprès des jeunes démunis. Institutrice de formation, elle croit dur comme fer que chaque enfant mérite une éducation de qualité. De passage dans la capitale en vue des prochains Rolex Awards, elle tente aujourd'hui d'éduquer des millions de jeunes à travers son programme d'animation télévisé, Tsehai Loves Learning (Teshai Aime Apprendre, ndlr). Une émission qui suit les aventures d'une girafe nommée Tsehai et de ses amis animaux et dans laquelle Bruktawit Tigabu tente de véhiculer une image favorable de la femme, "pour que les enfants puissent enfin croire qu'une fille est capable de beaucoup de choses". Engagée auprès de la jeunesse, elle s'affirme en tant que féministe et prône l'égalité homme-femme, un principe fondamental selon elle.  Aujourd'hui, cette femme au grand cœur qui s'inspire du monde qui l'entoure pour son travail souhaiterait créer une application sur mobile pour que son projet puisse être répandu à grande échelle et aimerait plus que tout voir le potentiel des enfants grandir, sans être limité. Passionnée par sa cause, Bruktawit Tigabu promet que "tant qu'il y aura des choses qui sont nocives à la vie des gens […] [elle sera] toujours présente pour les aider à lutter.

Vous enseignez l'hygiène à travers un programme télévisé destiné à la jeunesse. Pourquoi ?

Un enfant sur 16 meurt d'une maladie qui aurait pu facilement être évitée. C'est inacceptable. Il faut transmettre nos connaissances pour changer les habitudes des enfants. Je communique avec eux grâce à mon émission en m'assurant que les objectifs d'apprentissage sont basés sur des faits précis pour qu'ils puissent être en meilleure santé et être plus forts : ce qui a des répercussions sur toute la société. On a besoin d'éduquer les enfants mais aussi les parents et même le gouvernement sur ce que c'est que d'être en bonne santé, physiquement, mentalement et émotionnellement.

"Un enfant sur 16 meurt d'une maladie qui aurait pu facilement être évitée"

Vous avez imaginé le personnage de Tsehai. Pourquoi avoir choisi une girafe ?

Parce que j'adore cet animal gracieux et paisible. Quand je fabriquais mes marionnettes, avant de lancer l'émission, je m'entraînais à créer plusieurs animaux différents et c'était ma préférée. Elle me correspond, jusqu'à la couleur de sa robe. Elle est colorée et calme à la fois. Ça correspondait parfaitement au personnage que j'avais en tête pour Tsehai, qui veut dire "ensoleillé" en amharique. 

Une autre série télévisée que vous avez lancée s'appelle Tibeb Girls. Comment pourriez-vous la présenter ?

Les aventures de Tsehai sont destinées aux enfants de 3 à 8 ans. Il me fallait un autre modèle pour les enfants plus âgés, surtout pour les adolescents qui traversent une période de grands changements. C'est pour cette raison que j'ai créé l'émission Tibeb Girls. Les filles en Ethiopie et dans d'autres pays ont la vie dure. Très peu d'entre elles savent lire et écrire, elles sont offertes en mariage et exposées à la violence. Je veux changer ça en affirmant que chaque enfant a une force en lui. Je parle aussi de violences conjugales, de mariages forcés et même de menstruation grâce à la série Tibeb Girls. On évoque ces tabous de manière la plus amusante possible, ce qui n'est pas simple.

"Chaque enfant a une force en lui"

Est-ce pour cette raison qu'il était important de mettre en scène des filles et non des garçons  dans cette série ?

Nous n'avons pas besoin d'un super héros masculin. Les filles peuvent très bien l'être toutes seules. Malheureusement, les personnages féminins deviennent rapidement des objets, l'accent n'est pas mis sur leur force. Dans Tibeb Girls, elles sont obligées de se servir de leurs pouvoirs ensemble : ça ne fonctionne pas si elles sont seules. Elles s'en servent pour aider les autres. Plus on donne, plus on est heureux et il était important pour moi de répandre ce message aux plus jeunes pour rendre le monde plus juste, sans se limiter au sexe.

Auriez-vous d'autres projets pour votre cause ?

Je vais continuer ce que j'ai commencé. Tsehai va être traduite en plusieurs autres langues. On s'assure que l'émission est traduite en langage des signes, pour que tout le monde puise la comprendre. J'aimerais me diriger vers d'autres pays africains qui luttent contre le même genre de problèmes. On traduit la série Tibeb Girls en d'autres langues comme l'anglais et le français et c'est excitant parce que l'on travaille avec plusieurs artistes africains. C'est ce genre de collaboration que je cherche pour hisser mes projets à un autre niveau.  

Vous essayez d'apprendre la lecture et le civisme aux enfants. Pourquoi est-ce important pour vous ?

Je veux que les enfants puissent devenir une meilleure version d'eux-mêmes. Ils doivent savoir comme l'on peut rendre service à l'humanité, de quelles valeurs ils ont besoin pour survivre dans ce monde. Je veux les aider à comprendre qui ils sont et comment ils peuvent contribuer au bien-être du monde en leur apprenant l'honnêteté, l'effort et la motivation dans le travail.

"Je veux que les enfants puissent devenir une meilleure version d'eux-mêmes"

Vous avez été exposée en  2010, lorsque vous avez été nommée Jeune Lauréate. Quel impact a eu la victoire sur votre travail ?

Ça l'a beaucoup aidé. Cela faisait 5 ans que je travaillais sur ce projet et c'était dur. Personne n'y accordait beaucoup d'importance. Quand je suis devenue lauréate, j'ai connu la médiatisation. J'étais à la télévision, sur toutes les couvertures de magazine et les gens ont pris mon projet au sérieux. Ça a contribué à une prise de conscience.   

Enfant, rêviez-vous de vous consacrer à la cause que vous défendez aujourd'hui ?

Ma mère me disait souvent que j'avais un don pour enseigner. J'éprouve énormément de joie lorsque je travaille avec des enfants. Cette joie a toujours été en moi. Je me suis toujours demandée comment je pouvais atteindre les autres et j'ai appris comment le faire seule, à travers des vidéos, par exemple. Je pense être née pour enseigner.