"Quand la société va mal, c'est forcément la faute des femmes"

Dans "A mon âge je me cache encore pour fumer", au cinéma le 26 avril, la réalisatrice Rayhana fait suer les femmes au hammam pour mieux parler de leur oppression. Entretien éclairant.

"Quand la société va mal, c'est forcément la faute des femmes"
© Les Films du Losange

Dans les vapeurs du hammam, les rires des femmes résonnent plus fort que les coups qui leur sont portés. Huis-clos féministe, A mon âge je me cache encore pour fumer prend place en Algérie, pendant la guerre civile de 1995. Les extrémistes du FIS (Front Islamiste de Salut) imposent la terreur dans les villes entre attentats, intimidations et propagande anti-femmes. Derrière la porte du hammam, voisines et amies se dévoilent et confient leur malheur comme leurs croyances. Il y a les amoureuses, les blessées, les islamistes, les légères, les graves et celles qui doivent se cacher pour ne pas mourir.
Cette pièce de théâtre devenue film sonne incroyablement juste, réaliste. Mise à nu de la condition féminine, ce film signé Rayhana nous en apprend beaucoup sur notre société actuelle. Quand sa créatrice couche son histoire sur papier, elle vient de fuir son pays pour la France, au début des années 2000. "J'ai sorti le texte en un mois. C'est un cri des tripes plus que du cœur", nous a-t-elle confié. Un cri pour lequel tout le monde devrait tendre l'oreille. Entretien.

 

Le Journal des femmes : Vous parvenez à aborder les violences conjugales, la sexualité, les mariages forcés, l'islamisme…. quel était votre objectif au moment de l'écriture de la pièce ?
Rayhana
: Je voulais parler de cette sombre période de l'Algérie, mais surtout des femmes. J'ai écrit la pièce après avoir quitté l'Algérie et j'ai constaté que beaucoup de femmes vivaient la même chose en France. Elles étaient violentées par leur homme, complexées par leur corps. J'ai écrit en tant que femme, pas en tant qu'Algérienne. Mon histoire s'ancre pendant les années de plomb parce qu'il fallait prouver qu'en temps de crise politique ou religieuse, les droits des femmes sont sans cesse remis en cause. Nous devons rester vigilantes.

Comment expliquer que les femmes soient toujours les premières victimes ?
Les islamistes disent souvent que la femme, c'est Satan. Si une société va mal, c'est sa faute. C'est comme l'extrême droite qui explique que les immigrés sont le problème de la France. Ou que si les femmes rentraient chez elle pour élever leurs gamins, il y aurait plus de boulot pour les hommes. Pendant les guerres, tout le monde souffre, mais les femmes sont des butins. L'homme est humilié quand on les viole, la nation est bafouée quand on les violente.

Quelle est l'importance du hammam dans votre film ?
La nudité nous incite à être nous-même. Surtout, le hammam est un no man's land, un des rares lieux interdits aux hommes. Beaucoup le fantasment. On pénètre dans le monde de ces femmes pour comprendre comment elles vivent et oublient ce qui se passe dehors. Je voulais montrer ce qui s'y dit pour qu'on arrête d'imaginer que c'est un harem.

Malgré la nudité, vous n'abordez pas réellement le tabou du corps. Pourquoi ?
Justement parce qu'il n'y a pas le regard de l'homme, par qui naissent les complexes. Même pour le tournage, on a pris que des femmes afin que les actrices se sentent bien. Mais j'aborde le sujet de la sexualité. C'est aussi le rapport à son corps.

L'histoire amène une solidarité féminine inattendue. Cette camaraderie est rarement abordée au cinéma alors que les mouvements féministes répètent que la société serait moins machiste si les femmes se soutenaient...
Je suis totalement d'accord. Dans la pièce, les femmes sont solidaires jusqu'au bout. Dans le film, j'ai apporté un changement pour appuyer sur ce qui se passe actuellement dans le monde. J'attaque directement l'idéologie du terrorisme, mais je ne peux pas en dire plus...

C'est un film sur l'oppression des femmes, mais qui fait aussi ressortir leur force et leur sensibilité…
J'ai voulu montrer qu'on ne baisse pas les bras et que la dérision est une manière de survivre à son malheur. Je connais des femmes à l'humour incroyable. Je me souviens d'une connaissance qui venait de se faire tabasser par son mari et qui débarquait chez sa voisine pour nous faire mourir de rire. J'admire cette résistance.

Quelles sont les premières réactions du public ?
Ca me fait plaisir que des Européennes se reconnaissent dans A mon âge je me cache encore pour fumer. Je ne l'ai pas fait pour les arabes. Une militante féministe allemande m'a parlé du courage que j'avais eu de parler des règles sans tabou. On me dit qu'enfin, les corps des femmes sont montrés dans leur normalité, alors qu'on les représente toujours comme des mannequins.

Et des réactions moins positives ?
Je commence à me faire insulter sur les réseaux sociaux et sur Youtube. Des Algériennes me disent "tu ne me représentes pas, tu ne représentes pas ma religion, tu ne représentes rien". Ca me fait beaucoup de peine que ça vienne de femmes,

Avez-vous peur des réactions liées à la sortie du film ?
Oui, surtout que mes parents vivent en Algérie. Mais j'ai aussi envie que le film sorte là-bas. Le théâtre est réservé à une élite et n'est pas aussi populaire que le cinéma. Grâce à l'adaptation, je sais que mon pays pourra le voir un jour.

Il y a eu Much Loved, Mustang et maintenant votre film ou encore Je danserai si je veux qui prend place en Palestine. Peut-on parler d'un réveil du monde arabe sur la condition de la femme ?
On vit tellement de choses terribles en tant que femmes, il faut que ça sorte. Il y en a marre. Les films de femmes restent rares, mais c'est très bien qu'ils se multiplient.

A mon âge je me cache encore pour fumer, de Rayhana. Au cinéma le 26 avril 2017.