Irène Frain : "Contre les violences faites aux femmes, la priorité est d'éduquer les hommes"

Irène Frain, historienne et romancière féministe, nous a expliqué pourquoi éduquer les hommes s'avère indispensable pour éliminer les violences faites aux femmes.

Irène Frain : "Contre les violences faites aux femmes, la priorité est d'éduquer les hommes"
© ONG Care

Irène Frain est historienne, romancière et depuis toujours soucieuse de la condition des femmes. Cette Bretonne fait partie des premières à avoir pris la parole au Women's Forum, rendez-vous annuel qui a pour but de faire avancer la parité et d'éradiquer le patriarcat.
Après des années d'engagement féministe, elle s'est rendue dans les Balkans, région gangrenée par le machisme, où les femmes accusent les coups. Les rapports entre les sexes y sont complexes, la faute aux lois archaïques, violentes et figées malgré la modernité. Le tout aggravé par la guerre, puis le chômage, la drogue et le trafic d'armes.
En Bosnie, Irène Frain a constaté que le programme "Be a man", lancé par l'association Care, luttait avec succès contre les violences faites aux femmes en éduquant les hommes. Plus de 40 000 ados en sont sortis grandis et pacifiés en 10 ans. Elle nous explique pourquoi il devrait être un exemple à appliquer chez nous.

Qu'est-ce que le programme "Be a man" ?
Irène Frain : Son but est de faire prendre conscience aux ados que la virilité passe par le cerveau, pas par les muscles. Dans les Balkans, les jeunes hommes ne savent pas parler des rapports avec les filles à leurs parents, c'est un sujet tabou. Ils rejoignent l'association car ils y voient une opportunité de s'informer, de parler librement. On organise alors des séances de réflexion autour des conflits dans la famille, qu'ils connaissent quasiment tous. On évoque la soeur ou la mère battue, on se demande pourquoi on en est arrivé là. Il y a ensuite des jeux de rôles brefs au cours desquels l'animateur amène les participants à réfléchir à une solution pour résoudre la situation de violence, du racket au tabassage.

Pourquoi ça marche ?
Jouer les libère, ils comprennent vite le problème, ils choisissent la meilleure solution et prennent conscience. Une fois qu'ils ont appris comment canaliser la violence, ils deviennent formateur auprès des plus jeunes, c'est un training de l'intelligence sociale et humaine. Certains sortent de la délinquance grâce à ce programme.

Jeunes du programme © ONG Care

Qu'a-t-il à nous apprendre en France ?
"Be a man" nous montre que créer des groupes de parole via l'éducation nationale peut marcher. Quand on voit que dans nos écoles, collèges, lycées, il y a encore des injures, des agressions dans les toilettes jusqu'aux viols, on se demande ce que fait le ministère. En Bosnie, pays défavorisé, on a trouvé un système qui fonctionne. En France, nous restons dans le déni, dans l'arrogance. On continue de faire la morale alors que ça ne sert à rien. L'origine de la violence réside dans la peur de l'autre. Il est urgent de s'en occuper. Pour évoluer dans une société où chacun arrive à vivre avec l'autre, il faut se débarrasser des barricades autour de soi. Toute relation entre êtres humains nécessite un lâcher-prise, une confiance. Ca ne s'écrit pas sur un bout de papier, ça s'acquiert par la mise en situation.

Que penser de la condition féminine actuelle, dans son ensemble ?
J'ai vécu ses avancées exceptionnelles dans les années 70 et je suis effarée de constater un recul du respect des femmes dans nos années 2010. C'est lié à la crise, aux événements marquants. Les hommes sont frustrés alors ils règlent les conflits par la violence, dans le milieu domestique bien souvent, et les femmes deviennent les boucs émissaires. A chaque génération, il faut tout reprendre de zéro.

Comment ?
Les mères sont responsables, elles doivent éduquer leurs fils et filles de la même façon. Elles ne doivent pas transmettre les clichés machistes, mais cela ne se fait pas par décret ou par de soit-disant lectures bien pensantes, comme l'a supposé le gouvernement. C'est par le comportement qu'on éradiquera les violences et les stéréotypes. Il faut une mise en situation pratique, une prise de conscience, qui ne passe pas par ce catéchisme.

C'est-à-dire ?
Les enfants ont besoin de repères, mais ce n'est pas en décrétant qu'on ne donne plus de petites voitures aux garçons qu'on y arrivera. Ce problème de genre disparaîtra si on réfléchit aux origines de l'assignation de ce type de rôles. Et ça c'est la violence. Dès la maternelle, on baisse les culottes des petites filles... Il faut des mises en pratique pour expliquer pourquoi c'est mal.

Que pensez-vous d'une journée dédiée aux violences faites aux femmes ?
C'est très bien, mais il faut un comportement au jour le jour. Les plaisanteries qu'on lance, les comportements d'irrespect... On y pense pendant cette journée puis on passe à autre chose. Ca donne bonne conscience, mais ça ne suffit pas.