L’afro-féminisme, le double combat des femmes de couleur

Né du mouvement américain des droits civiques du début des années 50 et du "black feminism" des années 70, l’afro-féminisme est un nouveau courant militant apparu pour pallier la sous-représentation des femmes noires dans les féminismes français classiques. Un combat encore indispensable selon ses militantes.

L’afro-féminisme répond à une double discrimination, que l'on appelle l'intersectionnalité : celle du sexisme et du racisme. Le terme désigne une personne simultanément victime de plusieurs formes de domination ou de discrimination. Le  plus souvent, le féminisme "classique" se focalise davantage sur l'inégalité sexiste vis-à-vis des hommes sans forcément prendre en compte la question de la couleur de peau.
Dans le livre Black Feminism : Anthologie du féminisme africain américain, 1975 – 2000, Elsa Dorlin, professeure de philosophie politique et sociale, explique que les afro-féministes militent pour "reprendre cette parole en leur nom pour parler de leurs propres expériences vécues du sexisme et du racisme, et essayer d’élaborer un agenda propre".  
On s’en rend compte tous les jours en France, la représentation de la "femme idéale" mise en avant dans les médias n’a pas la peau noire mais blanche et les normes esthétiques qui dictent nos canons de beauté sont racialisés. Ces militantes ne se reconnaissent donc pas totalement dans les féminismes actuels et estiment ne pas avoir vécu de réelle émancipation en tant que femmes. A titre d’exemple, Angela Davis, féministe afro-américaine qui appartenait au mouvement des Black Panthers dans les années 70, a été l'une des premières à montrer les enjeux de l’intersectionnalité en parlant d’une émancipation à double vitesse pour la femme en fonction de sa couleur de peau. A cette époque, les féministes blanches combattaient pour le droit à l’IVG afin de ne plus avorter en cachette, alors que les féministes noires étaient victimes d’un programme de stérilisation forcée lié à des théories racistes sur la "dégénérescence raciale". Cet exemple montre à quel point la lutte féministe a évolué et évolue toujours de manière inégale.

Redonner sa place à la femme noire 


Le collectif afro-féministe français MWASI ("femme" en congolais), fondé en 2014, dit ressentir un besoin de "fédérer, d’échanger et de s’exprimer sur les questions liées aux femmes noires". Bénédicte, membre du collectif, déplore dans un entretien accordé aux Inrocks en juin que le féminisme classique soit "représenté en majorité [par] des femmes non racisées" : "Pour elles, la priorité c’est la lutte contre le sexisme, elles ne prennent pas en compte nos spécificités." C’est ce que ressentent ces femmes noires qui ne se sentent pas en position d'égalité dans les cercles féministes et s'estiment sous-représentées et incomprises. L’auteure et journaliste Rokhaya Diallo l'affirme dans les colonnes du Figaro : "C’est une absence de prise en compte de problématiques spécifiques qui justifie l’existence de l’afro-féminisme aujourd’hui." Le collectif MWASI tente de faire évoluer cette situation en organisant des marches, des conférences, des tables-rondes et en créant sur son site des contenus concernant les femmes noires.     
Cette sous-représentation et la promotion d’un modèle caucasien de beauté, sans parler de la surmédiatisation de célébrités comme Beyoncé ou Rihanna qui adoptent ces codes, poussent certaines femmes noires à vouloir modifier leur apparence physique. Aussi, l’éclaircissement de la peau ou le lissage des cheveux sont autant de choix esthétiques qui montrent un rejet du corps. Les collectifs afro-féministes ont vocation à valoriser les femmes noires dans toute leur diversité, à médiatiser des figures auxquelles chacune peut s’identifier - comme l'actrice kényane Lupita Nyong'o,  révélation du film 12 years a slave - et à mener des actions pour enrayer les discrimations dont elles sont victimes.  

Angela Davis, aujourd'hui âgée de 71 ans© Roger Askew/REX/REX/SIPA