Amanda Lindhout : rencontre avec une ex-otage devenue auteure star

Amanda Lindhout a été séquestrée par des islamistes pendant 460 jours. Après plusieurs années passées à se reconstruire, la Canadienne a relaté son expérience dans un ouvrage devenu best-seller, "Une Maison dans le ciel". Elle nous a parlé de l'horreur, de résilience et d'optimisme. Un témoignage indispensable alors que France 2 consacre un documentaire aux "Revenantes" de Daech mardi 16 janvier 2018 à 23h15 dans "Infrarouge".

Amanda Lindhout : rencontre avec une ex-otage devenue auteure star
© Service de presse

Une maison dans le ciel se lit avec une certaine appréhension, entre l'envie de savoir ce qu'il se passe quand on est otage et la peur d'un récit trop dur à supporter. Mais c'est avec pudeur et style qu'Amanda Lindhout raconte comment à 27 ans elle a été kidnappée par des extrémistes somaliens, puis séquestrée, violée, torturée et finalement sauvée 460 jours plus tard. La Canadienne, ancienne journaliste autodidacte, admet avoir toujours été "intéressée par les histoires de survivants". Sans penser en devenir une un jour.

© Editions Seramis

"Il y a 2 ans, quand l'Etat islamique décapitait des gens en Syrie, mon syndrome de stress post-traumatique s'est déclenché. Moi aussi j'ai eu un couteau sous la gorge. Ils auraient pu me trancher la tête. Pourquoi ai-je survécu ? Pourquoi eux et pas moi ?" Voilà le genre de questions qu'elle continue de se poser neuf ans plus tard. Sauf qu'Amanda Lindhout est parvenue à transformer ces mois d'horreur, ces interrogations, ces blessures en succès littéraire, édité chez Seramis en France. Les droit ont même été achetés par Hollywood, qui prépare un film avec Rooney Mara dans son rôle et Megan Ellison (Zero Dark Thirty, The Revenant) à la production.
Pour nous, elle est revenue sur son histoire et sa manière de gérer l'après, entre médiatisation et cauchemars.

Le Journal des Femmes : Pourquoi vous être rendue en Somalie alors que vous connaissiez le danger ?
Amanda Lindhout : J'étais jeune, j'étais déjà allée en Irak et en Afghanistan... En quoi la Somalie aurait-elle été plus dangereuse ? Et j'étais tellement égoïste. Je n'avais pas conscience du nombre de personnes affectées s'il m'arrivait quelque chose. Je m'en veux encore, surtout depuis que ma mère a des problèmes de santé liés au stress de mon kidnapping. C'était naïf d'y aller, mais je ne peux pas changer ce qui s'est passé. J'ai vu la Somalie comme l'opportunité de raconter une histoire que peu de gens racontaient. Peut-être que je n'étais pas la personne la plus expérimentée pour le faire, mais j'ai essayé. Et j'en ai subi les conséquences.

Dans le livre, c'est troublant de voir comment vous essayez de comprendre vos bourreaux, à la limite de la compassion...
Penser de manière logique pour éviter la haine m'a aidée à traverser les moments les plus sombres. Il y a eu des jours où je les détestais tellement que je voulais leur mort, mais certains étaient des gamins de 14 ans. Mon esprit a fini par se demander s'ils auraient fait la même chose en allant à l'école, avec des parents éduqués. Je pense que non. J'essayais de m'accrocher aux faits : ils sont jeunes, non cultivés, ça reste un job pour lequel ils sont payés... Ils sont bourreaux, mais aussi victimes. Ce ne sont pas des monstres, ils sont le produit de leur environnement. Une personne ne peut en blesser une autre qu'à partir de ses propres souffrances.

"La résilience est un choix"

Vers quoi se tourne-t-on quand on ne peut se raccrocher à rien ?
En période de crise, on ne voit que le désespoir, pourtant la résilience est là aussi. A chacun de choisir sur lequel se concentrer. C'était tellement dur de ne pas baisser les bras que j'ai préféré tomber dans l'autre extrême, celui de l'optimisme. Nigel était dans une situation désespérée, mais pas autant que moi, alors il a pu se laisser aller au désespoir. Il n'avait pas à gérer la douleur physique. Il s'ennuyait à mourir et c'était terrible pour lui. Je ne me suis pas ennuyée, parce que j'avais peur. Sans arrêt. La résilience, c'est un choix qu'on fait, c'est l'espoir. C'est se dire que les prochains jours seront meilleurs.

La biographie de Nelson Mandela qu'on vous a envoyée pendant la captivité vous a beaucoup aidée. En quoi a-t-elle été importante ?
Je l'ai lue et relue jusqu'à être libérée. J'en avais besoin. La couverture est d'ailleurs encadrée dans mon bureau. Le fait que quelqu'un puisse survivre à quelque chose d'aussi injuste signifie beaucoup pour moi. Il a passé 27 ans en prison et à sa sortie, il ne s'est pas contenté de survivre, il a dirigé un pays. Quand j'étais retenue en otage, je me disais que peu importait la douleur et le temps, je m'en sortirai, je serai forte et je ferai de bonnes choses.

Amanda Londhout, aux mains de ses ravisseurs © Editions Seramis

Après avoir passé du temps à essayer de vous rétablir, vous avez décidé d'écrire un livre. Qu'est ce qui a été le plus compliqué ?
J'ai dû me projeter en Somalie, me rappeler les sensations, ce à quoi je pensais… C'était terrible. J'ai souvent pris des pauses de 10 jours après la rédaction des passages les plus douloureux, sur le viol ou la torture, Même après tout ce temps, je continue d'être suivie par de nombreux thérapeutes.

Comment gérez-vous la promotion, le fait d'être sans cesse ramenée à votre expérience ?
Chaque jour est différent. Certains sont faciles, d'autres plus difficiles. Hier j'ai fait une grosse interview télé, je me sentais plutôt bien, même si quelques larmes ont coulé pendant l'entretien. Puis je suis allée me coucher et les cauchemars ont commencé. Je n'ai pas pu dormir. J'ai pris la décision de raconter mon histoire et même quand c'est compliqué, je prends sur moi.

"J'ai découvert la force de l'esprit humain"

Pourquoi avoir fait ce choix ?
D'une part, c'était cathartique de faire sortir tout ça, même si personne n'avait lu mon livre. De l'autre, j'ai toujours pensé que cette expérience avait de la valeur par son intensité. J'ai découvert la force de l'esprit humain. Quiconque a traversé des épreuves, même un divorce ou un deuil, peut s'identifier à des questions comme "comment surmonter quelque chose quand vous ne savez pas jusqu'où et quand la douleur va s'arrêter ?"

Avez-vous trouvé la réponse ?
Oui, l'esprit. Comme ces pensées positives que j'avais tous les jours. Choisir la liberté, la paix, plutôt que la haine… Je me suis toujours dit qu'il fallait que je partage ça. Même en captivité, je pouvais me voir parler à d'autres de cette nouvelle partie de moi que nous avons tous en nous.

Amanda Lindhout en Somalie © Editions Seramis

Après une telle expérience, n'est-on pas tenté de devenir égoïste, de vivre pour soi ?
J'ai trouvé un bon équilibre. Je fais beaucoup de conférences parce qu'en Amérique, quand vous écrivez un livre, on vous demande d'en parler dans les universités. Chaque fois que je suis dans une nouvelle ville, j'en profite pour parler gratuitement dans un refuge pour femmes, en espérant les inspirer. C'est ma contribution, mais je fais aussi des trucs pour moi. Je pars en randonnée dans le Nord de l'Inde toute seule. Je marche avec un guide et j'en profite pour réfléchir. C'est important. Je dépense de l'argent pour moi, j'investis en moi. Je ne serais pas satisfaite si je ne vivais que comme ça. J'ai atteint un certain niveau d'accomplissement, parce que je sens que je contribue à quelque chose.

Votre première action humanitaire était dédiée aux Somaliennes. Pourquoi aider en priorité le pays qui vous a fait souffrir ?
J'ai appris tellement sur ce pays que ça m'a semblé normal de commencer là-bas. J'aurais pu oublier ces personnes et ces femmes, mais j'ai l'impression d'avoir la responsabilité de les aider. Je compte utiliser toutes les informations que j'ai recueillies pour parler, instruire sur ce qui se passe là-bas. La plupart des gens n'ont pas idée.

"Pendant la captivité, une partie de moi s'est réveillée"

Vous avez été violée et torturée parce que vous étiez femme. Cette injustice a-t-elle changé la manière dont vous vous percevez en tant que telle ?
Avant d'être kidnappée. j'étais au courant de la marginalisation des femmes dans le monde. J'ai visité des pays où elles sont terriblement maltraitées. mais je ne l'avais pas vu directement, pas subi. Pendant la captivité, une partie de moi s'est réveillée, motivée, inspirée et bien vivante avec l'espoir de pouvoir alerter sur le sujet, de faire partie d'un mouvement.

Vous vous étiez promis d'aller en Inde si vous vous en sortiez, c'est fait. Vous aviez aussi fait le pari de trouver l'amour...
Je suis célibataire, mais j'ai des rencards. Je veux tomber amoureuse et c'est quelque chose dont je suis fière. Avoir de nouveau envie d'une relation, de croire en la gent masculine. ça m'a demandé beaucoup de travail, psychologiquement parlant. Pendant 3 ou 4 ans, je ne voulais même pas d'un homme dans ma vie. J'étais focalisée sur le fait de guérir.

Amanda Lindhout s'investit auprès des Somaliennes © Editions Seramis

Le livre va être adapté au cinéma et vous êtes consultante sur le film. Appréhendez-vous de voir votre calvaire restitué ?
Je me dis qu'il y aura aussi quelque chose de thérapeutique dans le fait de prendre part à cette sorte de reconstitution. Je serai là pour le tournage, au Maroc. Ecrire mon histoire a été cathartique, la lire à voix haute pour le livre audio aussi, à un niveau supérieur, donc la voir devrait être encore plus efficace. Je sais que ça ne va pas être facile, mais je suis prête.

N'avez-vous pas peur que l'horreur que vous avez subie serve de divertissement ?
Je l'ai accepté. J'espère que le film sera un "bon divertissement" si on utilise le terme au sens large, comme quelque chose qui vous apporte beaucoup. Les producteurs ne veulent pas de sensationnalisme, mais un film spirituel. Quand je me tiens sur une scène face à 1000 personnes venues écouter mon histoire, c'est aussi de l'entertainment. Les gens achètent des tickets pour ça. Pour certains, ce ne sera qu'une anecdote à raconter à leurs amis, pour d'autres ça aura un sens. Je ne le prends pas personnellement quand les gens ne parviennent pas à s'identifier. C'est même normal.

Une Maison dans le ciel, d'Amanda Lindhout. Edition Seramis. 21 euros.

Revenantes, documentaire diffusé dans Infrarouge sur France 2 mardi 16 janvier à 23h15.