Consentement : touche pas à mon corps

Le baiser non consenti de Jean-Michel Maire sur la poitrine d'une jeune femme dans l'émission "Les 35 heures de Baba" sur C8 a provoqué une cascade de réactions, indignées comme complices. Cette agression remet sous les projecteurs la question du consentement et de la parole des femmes, trop souvent ignorés.

Consentement : touche pas à mon corps
© Capture d'écran C8

"Est-ce que ça vous dirait d'embrasser Jean-Michel Maire ?", demande Cyril Hanouna à Soraya, qui vient de se glisser dans la peau de Kim Kardashian pour les besoins de l'émission Les 35 heures de Baba, sur C8. L'intéressée secoue la tête, en signe de refus. "Si". "Non, quelqu'un me regarde". "On peut faire ça en coulisses. Elle a dit oui !", intervient Jean-Michel Maire. "J'ai dit non", répète la jeune femme. Jean-Michel Maire insiste. Cyril Hanouna s'impatiente : "Bon, on y va maintenant, un petit smack, juste un smack." La suite, on la connaît : Soraya tend la joue, le chroniqueur hésite, regarde son décolleté et l'embrasse sur le sein.

La séquence a choqué de nombreux internautes et téléspectateurs et pour cause... Deux hommes ont ignoré la parole d'une femme, qui a plusieurs fois exprimé son désaccord et clairement dit "non". Leur prétexte ? Faire rire leur audience, parce que "allez, on est à la télé, fais pas ta timide". Immédiatement, les réseaux sociaux se sont emballés, les internautes dénonçant une agression sexuelle commise en direct. Après la diffusion de cette séquence, dans la nuit du jeudi 13 au vendredi 14 octobre, le CSA a reçu plus de 250 signalements et a annoncé que le dossier allait être instruit prochainement. Moins d'une semaine après, le nombre de plaintes s'élève à 2 526 selon Marianne.

"Non" comptant pour "oui"

Et pourtant, faut-il être vraiment surpris par cette agression ? La négation du consentement n'est pas un phénomène nouveau dans Touche Pas A Mon Poste, où le terme "non" ne veut vraisemblablement plus rien dire depuis un moment. Les chroniqueurs se retrouvent souvent contraints de subir des "blagues potaches" contre leur gré. L'enquête de Society en a donné quelques exemples. Et on se souvient de la séquence durant laquelle Matthieu Delormeau "recevait" un bol de nouilles dans le caleçon. Lui aussi avait dit "non", il avait même supplié, mais Cyril Hanouna n'y avait pas prêté attention.

À propos de l'acte de Jean-Michel Maire, l'équipe de Touche Pas A Mon Poste parle d'une blague potache, les fervents défenseurs de l'émission fustigent la tenue de Soraya qui "après tout, n'avait qu'à pas venir habillée comme ça à la télé". De là à dire qu'elle est responsable de cette agression de par son apparence, il n'y a qu'un pas.

Pas de sanction pour les pulsions masculines

Pire encore, la jeune femme elle-même dédramatise auprès d'un journaliste de Slate, excuse Jean-Michel Maire, le décrit comme "un homme très respectueux" et assure qu'il "ne mérite aucune sanction malgré ses pulsions masculines". Au-delà du sous-texte dramatique que ce message contient – un homme vous tripote sans votre accord ? ce n'est que l'expression de ses pulsions masculines ! Et puis s'il le fait en étant aimable, ce n'est pas très grave –, il illustre parfaitement ce qu'on appelle la culture du viol. Parce qu'une femme porte une tenue jugée provocante, cela autoriserait les hommes à disposer de son corps, même si elle dit "non". Ce raisonnement est tellement intégré par les femmes aujourd'hui qu'elles ont le sentiment d'avoir fait quelque chose de mal et se sentent coupable du comportement d'autrui. La réaction de Soraya illustre parfaitement ce mécanisme, conséquence d'une société qui persiste à réifier la figure féminine.

Que dit la loi ?

L'article 222-22 du code pénal définit l'agression sexuelle comme toute atteinte sexuelle commise avec violence, contrainte, menace ou surprise. Une infraction passible de cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende. N'en déplaise à Jean-Michel Maire et à l'équipe de TPMP, le baiser effectué sur la poitrine de Soraya l'a bien été par surprise, après que Cyril Hanouna a fait comprendre à la jeune femme réticente qu'elle n'avait pas le choix.

Au premier rang des personnes outrées, à juste titre, par ce dérapage, Laurence Rossignol. La ministre des Familles, de l'Enfance et des Droits des femmes s'est indignée sur Twitter : "Même dans une émission de divertissement, quand une femme dit non c'est non. J'ai saisi le CSA de cette agression sexuelle #TPMP." Cécile Duflot est elle aussi montée au créneau ; "On peut hurler sur Trump et tolérer cela ? Cette femme dit non, clairement non. Et on l'y oblige... Il faut que ça change." Après le scandale lié à Denis Baupin, accusé de harcèlement et d'agression sexuels par plusieurs élues, cette nouvelle affaire renforce le malaise ambiant.    

Même la presse internationale, qui a sûrement découvert l'émission à cette occasion, a évoqué cet épisode peu reluisant. BuzzFeed est le premier à avoir titré "une femme a été sexuellement agressée pendant un jeu télé sur le braquage de Kim Kardashian". Le site IndiaTimes parle lui d'un "homme effrayant qui embrasse une femme sans son consentement". 

La violence des mots, la violence du geste 

Lundi 17 octobre, Jean-Michel Maire a présenté ses excuses, sur le plateau de Touche Pas A Mon Poste. Visiblement touché, au bord des larmes et la voix tremblante, il a déclaré : "Ça m'a blessé je le reconnais. Surtout la violence des mots parce que mes proches savent que je crois respecter les femmes autant que je peux. – Tiens, tiensDonald Trump a dit à peu près la même chose lors du deuxième débat qui l'opposait à Hillary Clinton – Que je puisse être un gros lourd ,je l'avoue aisément. Parfois je dépasse les bornes dans cette lourdeur et ça peut devenir un geste déplacé. Si ce geste a été déplacé, alors je m'en excuse une nouvelle fois. Je comprends très bien que des gens aient pu être choqués."

Jean-Michel Maire se présente en victime alors qu'il est l'agresseur

Il nie pourtant toute accusation d'agression et assure avoir été "énormément choqué" par l'usage du terme et "la violence des mots". Jean-Michel Maire se présente en victime alors qu'il est l'agresseur. C'est lui qui est choqué et blessé alors qu'il est l'auteur de l'acte. Se pose alors la question de la limite entre le "dragueur lourd" et le harceleur. A-t-elle seulement besoin d'être posée à partir du moment où elle suscite la gêne chez la femme qui en est victime ? N'en déplaise une nouvelle fois aux chroniqueurs de Touche Pas A Mon Poste, "la télé ce n'est pas que de la télé". 

Découvrez la vidéo des excuses de Jean-Michel Maire :

"TPMP : Jean-Michel Maire s'excuse"