Burkini : débat en eaux troubles

POLEMIQUE - Après avoir défrayé la chronique, le burkini a été interdit dans certaines villes françaises côtières. Depuis, politiques et féministes se déchirent autour de ce vêtement. Mais pourquoi divise-t-il autant l'Hexagone ?

Burkini : débat en eaux troubles
© AP/SIPA

[Mise à jour du 26 août 2016, à 15h14] : Le Conseil d'Etat a invalidé le 26 août l'arrêté "anti-burkini" de Villeneuve-Loubet. "L'arrêté litigieux a ainsi porté une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales que sont la liberté d'aller et venir, la liberté de conscience et la liberté personnelle" précise l'ordonnance du Conseil d'Etat.

Tous se déchirent autour de lui : le burkini. En moins de deux semaines, politiciens, intellectuels, militants et citoyens ont eu le mot à la bouche et leur mot à dire sur ce maillot de bain couvrant tout le corps, excepté le visage, les mains et les pieds. Jeudi 25 août, le Conseil d'Etat s'est réuni pour trancher sur la légalité de l'arrêté anti-burkini à Villeneuve-Loubet, validé dans certaines communes littorales de France, alors que le débat ne cesse d'être alimenté. Deux jours plus tôt, les internautes ont pu découvrir les clichés publiés par le Daily Mail d'une mère de famille verbalisée sur une plage niçoise parce qu'elle portait non pas un maillot de bain intégral, mais un foulard et une tunique. Un événement qui fait suite à la rixe survenue le 13 août à Sisco, en Corse, ayant prétendument débuté à cause d'un burkini (bien qu'après plusieurs jours de rumeurs et d'enquête, aucun lien avec ledit vêtement n'ait été établi). Certains estiment que l'interdire sur les plages françaises est liberticide, d'autres considèrent que le vêtement est lui-même liberticide.

Le burkini, libérateur de la parole raciste ?

"Le burkini est sexiste, mais si nous interdisons aux femmes de le porter, nous ne sommes pas mieux qu'une dictature", peut-on lire sur le compte Twitter des Femen. Une pensée partagée par les détracteurs de l'arrêté anti-burkini, qui y voient non seulement un moyen d'empêcher les femmes de s'habiller comme elles l'entendent, mais aussi une stigmatisation de la communauté musulmane à la suite des attentats terroristes en France. Ce qu'a corroboré Najat Vallaud-Belkacem au micro d'Europe 1, arguant que ces arrêtés "libèrent la parole raciste". Et de poursuivre : "Rien n'établit de lien entre terrorisme, Daech, et tenue d'une femme sur une plage [...] En excluant, on aggrave le problème de la République."
Pire, ce débat houleux pourrait être du "pain bénit" pour l'Etat islamique, selon le journaliste David Thomson, spécialiste de la thématique. "Le récit djihadiste martèle depuis des années qu'il serait impossible pour un musulman de vivre sa religion dignement en France, a-t-il expliqué à France Info, à propos des photos de la femme verbalisée à Nice. Alors évidemment, dès leur diffusion, ces photos sont passées en quelques minutes à peine en tête des sujets les plus discutés dans la 'jihadosphère', où la tonalité générale était : 'La France humilie une pauvre musulmane'. [...] Certaines autorités françaises offrent de quoi renforcer ce contre quoi elles pensent lutter." Sans parler que pour les détracteurs de l'arrêté, d'autres sujets bien plus importants sont à débattre.

Cachez ce burkini que l'on ne saurait voir

Pour ses opposants, le burkini est synonyme de misogynie et de prosélytisme. Et même au sein du gouvernement, la question divise. Interrogée par Le Parisien, Laurence Rossignol y voit un "symbole d'un projet politique hostile à la mixité et à l'émancipation des femmes". La ministre des Droits des Femmes ajoute : "Le burkini est une version plage de la burqa, car c'est la même logique: il s'agit d'enfermer, de dissimuler le corps des femmes pour mieux les contrôler. Derrière cela, il y a une vision profondément archaïque de la place de la femme dans la société et des rapports entre les hommes et les femmes."
Pour David Lisnard, le maire de Cannes, l'arrêté municipal anti-burkini validé dans sa ville permet de faire valoir les principes de laïcité de la République. "Une tenue de plage manifestant de manière ostentatoire une appartenance religieuse, alors que la France et les lieux de culte religieux sont actuellement la cible d'attaques terroristes, est de nature à créer des risques de troubles à l'ordre public (attroupements, échauffourées, etc.) qu'il est nécessaire de prévenir", a-t-il fait savoir dans un communiqué. L'avocat de Villeneuve-Loubet, Maître Olivier Suarès,  qui défendait la mise en place de l'arrêté dans sa ville, s'est félicité de la validation par le tribunal de Nice de cette décision le 22 août, y voyant la "confirmation que l'arrêté ne limite en rien les libertés fondamentales et la liberté religieuse. Ce n'est pas en interdisant ce vêtement que l'on porte atteinte aux libertés", a-t-il confié au Figaro.

Le burkini, un "produit qui symbolise le bonheur"

À l'étranger, le débat sur le burkini suscite l'incompréhension, voire l'ironie, aussi bien chez les médias que chez les citoyens. Si bien, que le hashtag #WTFFrance s'est hissé en trending topic sur Twitter. Face à l'ampleur de la polémique, Aheda Zanetti, la créatrice du maillot de bain intégral, a publié une tribune dans The Guardian. Quel camp a raison ? Pour l'inventrice ni l'un, ni l'autre. Selon cette Australienne d'origine libanaise, les Français n'ont pas compris ce qu'était le burkini. Elle explique l'avoir inventé en 2004 pour "donner de la liberté aux femmes, pas pour leur enlever". Son souhait ? Imaginer un vêtement capable de "s'adapter au style de vie australien et des vêtements occidentaux, mais en même temps répondre aux besoins d'une jeune fille musulmane". À l'en croire, rien d'intégriste dans le burkini. De plus, le débat soulevé en France à son propos l'inquiète : "J'espère que ce n'est pas à cause du racisme. Je pense qu'ils ont mal interprété un vêtement qui est tellement positif : il symbolise le loisir, la joie, l'amusement, la forme physique et la santé, et maintenant on demande aux femmes de quitter la plage et de retourner à la cuisine ?" Et de conclure, à l'attention des politiciens de l'Hexagone : "Vous avez transformé un produit qui symbolise le bonheur en produit de la haine." Pour mieux régner ?

"Burkini: le Conseil d'Etat tranche dans un débat enflammé"