La femme malade alcoolique: plafond de verre et bouteille

Tirée à quatre épingles, maquillage et brushing impeccables, cette working-girl s'avance... et titube. La maladie alcoolique est un phénomène en hausse, non sans lien avec la pression qui pèse sur les wonderwomen, obligées de conjuguer vie professionnelle et familiale, selon le Dr. Bouvet de la Maisonneuve. Entretien.

Une femme sur dix a des problèmes liés à sa consommation d'alcool. Parmi elles, plus de 200 000 femmes seraient alcoolo-dépendantes, un fléau dont elles sont particulièrement sensibles à la toxicité. Les Dossiers de Téva proposent, samedi 8 novembre à 20h40, une enquête : "Alcool : Prêtes à tout pour arrêter".
Partenaire de l'émission, Le Journal des Femmes a interrogé le Docteur Fatma Bouvet de la Maisonneuve, psychiatre addictologue spécialisée dans la santé mentale des femmes actives, responsable de la consultation d'alcoologie pour femmes à l'hôpital Sainte-Anne à Paris et auteur du livre "Les femmes face à l'alcool, résister et s'en sortir".

Qui sont ces femmes qui boivent ?

 

Fatma Bouvet de la Maisonneuve : Ce ne sont pas celles de l'imaginaire collectif. Au diable la pochtronne SDF ! Les femmes malades de l'alcool ne sont pas débauchées, désocialisées... Elles sont les plus instruites, les plus diplômées, celles qui ont le plus de responsabilités managériales. Ce sont aussi majoritairement des femmes mariées (le mariage a un rôle protecteur pour les hommes, mais il est un facteur de risque pour les femmes) qui ont des enfants et qui travaillent dans le secteur des médias, des relations publiques, du commerce. Il y a beaucoup de femmes journalistes et médecins dépendantes à l'alcool, vous savez...

 

Pourquoi ce besoin ? Quel est l'élément déclencheur ?
L'alcoolisme féminin est lié à l'injonction faite aux femmes de "performer" dans notre société. Mamans et femmes actives, épuisées par leur double journée de travail, ne sont pas valorisées dans le monde du travail et souffrent de troubles anxieux.
L'alcool agit au départ comme un antidépresseur. Il rassure, euphorise, désinhibe. Il permet d'oublier, temporairement, les soucis, mais devient vite une mauvaise habitude. La décompensation alcoolique chez la femme se fait ainsi dans le cadre d'un conflit affectif. Les femmes ont un sens profond du sacrifice, s'occupent des autres et ont une capacité à endurer importante. Elles surinvestissent le travail, sont très perfectionnistes, en font plus que certains hommes malgré un salaire et une reconnaissance plus faibles. Le résultat est un acharnement à la tâche, puis un effondrement, un burn-out.

Les femmes ont-elles un alcool de prédilection ?
Elles sont davantage portées sur le vin blanc ou le rosé et les vins cuits comme le Martini. Moins vers le vin rouge et les alcools forts..., mais c'est en train de changer car elles sont les premières cibles du marketing : 75% des achats de boissons alcoolisées sont faits par les femmes. Les marques de rhum et surtout de vodka l'ont bien compris et les nouvelles étiquettes design des bouteilles sont hyper-séduisantes. Cela me révolte !

Quelles sont leurs pratiques ?
Les hommes ont des modalités de consommation conviviales et se retrouvent au bistrot pour s'enivrer avec quelques verres et "refaire le monde". Dipsomaniaques, les femmes boivent seules, à la maison, en cachette, dans un contexte de tristesse. Elles ingurgitent des doses massives pour s'assommer, s'anesthésier, s'endormir. Elles ne cherchent pas le plaisir lorsqu'elles se saoulent, mais un état léthargique.

Et elles culpabilisent ?
Enormément, mais elles sont aussi très douées pour faire bonne figure et tenir le coup devant leur famille.

Quelles sont leurs stratégies ?
Les femmes qui souffrent de maladie alcoolique ont une capacité hors du commun à assumer: elles se lèvent, vont travailler, assurent les tâches domestiques, élèvent leurs enfants sans rien montrer. Au quotidien, elles se maquillent et se parfument énormément pour cacher les signes de leur méthomanie comme la couperose et une sueur âcre...

Quelles sont les spécificités de l'alcoolisme féminin ?
La vulnérabilité de la femme face à l'alcool est scientifique, physiologique et physique. Le métabolisme féminin est plus enclin à développer une dépendance à l'alcool. Les complications somatiques, organiques et hépatiques sont huit fois plus rapides.
A consommation égale, les femmes sont exposées à des risques particuliers car l'alcool se dilue moins dans la masse musculaire. Elles subissent des fluctuations hormonales, sont davantage sujettes à des prises de poids, susceptibles, aussi, de développer une cirrhose, des tumeurs, un cancer du sein. Le cerveau aussi est plus fragile et plus rapidement endommagé. Outre les troubles caractériels, les risques de crises d'angoisse et de dépression sont accrus et près de 50 % des femmes alcooliques ont fait au moins une tentative de suicide. 

Quels sont les stigmates ?
Cette descente aux enfers porte vite un coup à leur santé et à leur aspect. Les femmes malades de l'alcool ont des cernes, le visage bouffi, les phanères (ongles et cheveux) cassés, les yeux injectés de sang et les paupière inférieures repliées. Leur foie est gonflé, ce qui entraîne une grosseur abdominale. C'est souvent le souci esthétique, l'altération de leur physique, qui pousse ces femmes à consulter

 

alcool rouge
Femme ravagée par l'alcool © ayelet_keshet - Fotolia.com

 

Comment s'en sortir ?
Les médecins généralistes se sentent peu à l'aise lorsqu'il sont confrontés à une femme qui aurait une consommation éthylique excessive. En gynécologie obstétrique, on pose la question de l'alcool pendant la grossesse, mais jamais en dehors de cette période. La première étape est donc la détermination individuelle à vouloir se soigner, à faire un premier pas vers la guérison. La femme doit trouver le thérapeute qui lui convient. L'échange dans une groupe mixte ne fonctionne pas toujours. C'est pour cela que dans mon service d'addictologie, nous avons ouvert des consultations exclusivement réservées aux femmes, avec des diététiciennes, des dermatologues.
La consommation d'alcool est souvent associée à des problématiques intimes, sexuelles, qu'elle ne sentent pas libres d'évoquer ou qui ne sont pas toujours prises aux sérieux dans un autre cadre.

Faut-il ensuite s'abstenir complètement ?
Après avoir connu l'ivresse, il est extrêmement difficile de boire "avec modération". Le cheminement autour du sevrage se fait de façon progressive, avec des calmants pour compenser le manque, puis un travail avec la famille, une psychothérapie, un groupe de paroles (AA), des consultations, un suivi...  

Un conseil pour nos lectrices ?
L'alcoolisme est une maladie, pas un vice, pas une tare. Il est normal de faire des rechutes. La rechute n'est pas grave, elle fait partie du traitement. Il est possible de sombrer dans l'engrenage, même vingt ans après... Il ne faut pas culpabiliser, mais retourner vers le soin. Son entourage, comme le personnel médical doit valoriser la patiente.

 Retrouvez Les Dossiers de Téva : "Alcool : prêtes à tout pour arrêter !", première diffusion, samedi 8 novembre, à 20h40

En librairie :
Enfants et parents en souffrance, Dyslexie, anxiété scolaire et maladies somatiques..., 2014, Fatma Bouvet de la Maisonneuve, Editions Odile Jacob.

 

 

Le Choix des Femmes, 2011, Fatma Bouvet de la Maisonneuve, Editions Odile Jacob.

 

 

Les femmes face à l'alcool. Résister et s'en sortir, 2010, Fatma Bouvet de la Maisonneuve, Editions Odile Jacob.