Charlotte Rampling : "Cela m'amuse de dégager cette froideur"

Rencontrer Charlotte Rampling, actrice ultime, cérébrale, sans compromis, est une expérience intense. Sa seule présence, son aura faite de mystère et ses yeux bleu acier suscitent le trouble. A l'heure du thé, dans les salons feutrés de l'Hôtel Chateaubriand, la plus magnétique des stars britanniques brise la glace. Forte d'une filmographie exigeante, d'un parcours de vie choisi et d'une joyeuse répartie, elle se révèle drôle, bienveillante, provocatrice aussi. Un plaisir !

Charlotte Rampling : "Cela m'amuse de dégager cette froideur"
© Jour 2 fête

Le film Hannah d'Andrea Pallaoro dresse le portrait intime d'une femme dont la vie bascule lorsqu'elle doit survivre, entre réalité et déni, à l'arrestation de son mari.

Le Journal des Femmes : C'est avec grâce et assurance que vous jouez Hannah. Pouvez-vous nous la présenter ?
Charlotte Rampling : Hannah est une femme de 70 ans que l'on voit dîner avec son mari dans leur maison, désuète, sombre et triste. Ils ne se parlent pas. Le lendemain, elle laisse son mari en prison… Pour quel méfait est-il condamné ? Quelle tragédie est à l'origine de ce silence, de cette peine ? Le combat quotidien d'Hannah va nous éclairer...

Vous êtes de tous les plans du film ; votre visage, votre posture expriment vos tourments intérieurs. Est-ce une pesanteur ou la finalité d'une comédienne d'être autant sollicitée ?
Je pense que c'est un exercice absolument fantastique d'incarner un personnage avec autant d'intensité, d'utiliser tout son être dans le jeu, dans la forme de l'expression. La caméra, au plus près du grain de peau, amène le spectateur à observer chaque détail, chaque expression, chaque mouvement. La rareté des dialogues encourage à écouter la moindre parole.

Privée de la présence de son mari, Anna se retrouve perdue, sans repères...
Est-ce que l'on peut comprendre ça de nos jours ? Jadis, les femmes vivaient pour un homme, par amour ou par mariage arrangé. Les épouses étaient la propriété de leur mari, selon le cadre formaté par la société...

La fidélité excessive voire l'abnégation, est-ce que ce sont des valeurs qui vous parlent ?
Je les ai ponctuellement, violemment, rejetées. Dans les années 60, ces représentations ne menaient nulle part. Et puis l'amour passion vous tombe dessus...

À force de soigner son mari, Anna a négligé ses propres désirs, ses besoins, son corps. Vous pensez que l'on peut aimer à son détriment, au point de s'oublier ?
Il y a une forme de réjouissance dans l'oubli de soi, y compris dans la négligence physique, le renoncement au contact… Regardez les religieuses : elles s'unissent à Dieu, se donnent à Jésus alors qu'ils n'existent pas en chair et en os, seulement dans une forme d'extase subliminale. Un dévouement total à l'esprit, aux rites, au passage du temps, s'il n'est pas maladif, peut-être un chemin pour justifier son existence.

Votre dévouement au 7e Art a-t-il été éprouvant, blessant, au point de vous faire renoncer à celle que vous étiez ?
Oui. Je suis une personnalité grise, protestante et complètement anglaise, je n'ai pas la fantaisie écossaise ou irlandaise... mais j'ai eu la chance fabuleuse de faire ce choix de me consacrer au cinéma. Chaque film est renoncement, et, je l'espère, une construction.

La dépendance d'Hannah est mise en parallèle avec celle d'un chien et d'une baleine échouée... Convoquer l'animalité vous serait-il familier depuis Max Mon Amour ?
C'est une part de moi. Je ne suis pas l'initiatrice des œuvres, mais l'interprète des désirs des autres. J'imagine que l'on me choisit parce que je véhicule ce potentiel bestial, charnel...

Charlotte Rampling dans Hannah, au cinéma le 24 janvier 2018 © Jour 2 fête

Au fil de votre carrière, avez-vous toujours réussi à préserver votre individualité ?
J'ai toujours veillé à ne pas abimer mon identité. Je me suis très souvent retirée, mise à l'écart du système, comme un animal qui s'isole pour lécher ses blessures. Cela plonge dans une solitude extrême. C'est épouvantable, mais nécessaire de s'extraire de ce monde, sinon on vous prend des bouts de chair jusque dans votre lit… Certains acteurs ne le réalisent pas. Lorsque je les croise, je me dis qu'ils ont vendu leur âme au diable...

Êtes-vous volontairement restée en marge des paillettes, de la gloire, du star-system ?
C'est une fierté pour moi de ne pas m'être brûlé les ailes et de pouvoir encore voler. J'ai gardé mes distances avec le show-business car j'avais peur de ce milieu. C'est à double-tranchant, au fond de moi j'aurais voulu être une célébrité, rassurée, admirée, mais je ne voulais pas en payer le prix.

Est-ce que vous diriez que physique et psychologie sont plus en harmonie avec le temps ?
Complètement et c'est important cette sensation que le corps, le mental, les connaissances sont connectés. Si on convient d'un univers, d'un cosmos là-haut, je suis soucieuse d'être dans la lumière, dans la clarté…

Vous apparaissez solaire... Pourtant, on peine à vous imaginer légère ou dans des plaisirs simples ?
J'intimide les gens. Cela m'amuse de dégager cette froideur... Je tiens cela de mon père, un militaire, colonel dans l'armée britannique, champion olympique d'athlétisme. C'était un homme formidable, pas sévère, mais il faisait très peur parce qu'il avait un regard impressionnant… 

Savez-vous profiter de l'instant présent ?
C'est nécessaire. Sur les tournages, il y a énormément d'attente. Vous êtes dans une caravane, figée dans votre costume, votre maquillage, dans un pays que vous ne connaissez pas... Vous ne pouvez pas lire, vous devez rester disponible. La méditation est très bien pour cela. Elle permet d'utiliser le vide, d'avancer, de rêver.

On parle toujours de vos yeux. Quel est, à l'inverse, le plus beau regard que l'on ait porté sur vous ?
J'imagine que c'est le regard de l'amour, celui d'un homme ou un enfant… Ou celui d'une personne affectée, touchée par vous...

Vous avez gardé ce besoin de reconnaissance ?
On ne dépasse jamais cela.... C'est le travail de toute ma vie de susciter l'émotion, de ressentir que le sentiment de mon interlocuteur, du public est sincère.

Charlotte Rampling dans Hannah, en salles le 24 janvier 2018 © Jour 2 fête

Quel est votre talent caché ?
Ne rien faire

De quelle chanson ne vous lassez-vous pas ?
Everybody Hurts par R.E.M.

Quelle est votre dernière recherche sur Internet ?
Un chanteur anglais qui s'appelle Baxter Dury

Votre dernier fou-rire ?
Je ris beaucoup, mais un fou rire ça fait très longtemps

De quoi avez-vous peur ?
D'avoir peur

Un péché mignon ?
Je les ai tous bannis. Je contrôle la nourriture. Je ne m'envoie pas en l'air de 5 à 7...

Quelle qualité aimeriez-vous avoir ?
La douceur

Qu'est-ce que vous aimez chez vous ?
Ma franchise, mon honnêteté. Je suis tout sauf fausse, je parle vrai.

Qu'est-ce que vous avez réussi de mieux jusqu'à aujourd'hui ?
Arriver jusqu'ici. C'était inespéré.

Quel mot aimez-vous particulièrement entendre ou prononcer ?
Te quiero

Quel compliment peut vous flatter ?
Quelqu'un qui me dit que j'ai révélé quelque chose en lui, dans mon travail, qu'il y a eu partage…

À qui mentez-vous le plus ?
Un peu à moi-même et aux autres

Quel est votre plus grand luxe ?
Être détachée de toute contrainte

Est-ce qu'il y a un objet auquel vous êtes attachée ?
Mon iPhone

Qu'est-ce que vous ne savez pas faire ?
Les mathématiques

Qu'est-ce qui peut vous vexer ?
Plein de choses. Je suis très susceptible, mais j'ai une arme : un humour extrêmement self-deprecating et je retourne la situation avec un jeu de mot ou quelque chose de très désagréable.

Un coup de cœur à partager ?
Le film Phantom Thread de Thomas Anderson, en lice pour les Oscars. J'ai trouvé ça très beau.

Un coup de blues ?
C'est régulier, mais cela passe heureusement alors que j'ai souffert de longues phases de mélancolie

Quel sera votre prochain coup d'éclat ?
Mon prochain sourire, my ultra-bright smile !