Yolande Moreau, la tendresse

Le cinéma français l'a consacrée à trois reprises… et pourtant, jamais Yolande Moreau n'y a vu autre chose que de "la chance". Artiste à laquelle la célébrité n'a volé ni l'authenticité ni la bienveillance, c'est avec douceur et intelligence qu'elle nous livre ses confidences.

Yolande Moreau, la tendresse
© SIPA

Nassim, lycéen d'origine algérienne, dandy et arrogant, voit sa fausse insouciance fauchée par le suicide de sa génitrice qui a sombré dans la drogue. Chronique adolescente et autobiographique signée Chad Chenouga, "De Toutes Mes Forces" est un film subtil illuminé par la présence au casting de Yolande Moreau. La figure maternelle des Deschiens interprète Madame Cousin, directrice d'un foyer pour jeunes en difficulté qui soigne les blessures de l'adolescence à coups d'amour vache. "Si t'étais moins jeune et moins con, je t'épouserais !", balance l'éducatrice à son protégé… Cocasse, bienveillante et affectueuse, une bonne mère "à sa manière"...

Pourquoi vous dans ce film ?
Lorsque l'on m'a envoyé le scénario, j'ai remarqué qu'il était formidablement écrit. Il y avait beaucoup de justesse et de sensibilité, dans l'histoire -vécue par le réalisateur- comme dans les dialogues. C'est avant tout la rencontre avec Chad Chenouga qui m'a convaincue de jouer ce rôle.

Comment avez-vous abordé le personnage de Madame Cousin ?
J'ai essayé de lire entre les lignes... La préparation est de l'ordre de tous les possibles… dans la limite des envies du cinéaste. Chad a fait venir une directrice de foyer plusieurs fois sur le plateau. C'était une femme dotée à la fois d'une grande empathie pour les gens dont elle s'occupait et d'une autorité naturelle.

Chad Chenouga dit qu'il est important de se tourner vers le passé, suivez-vous ce conseil ?
On agit parfois comme des adolescents en essayant de mettre de vieux rêves en place... Même si l'on essaie d'être dans l'instant présent, le passé nous rattrape sans arrêt. Ce que l'on a vécu a forcément des répercussions sur notre actualité.

Quel est votre rapport à votre "profession" de comédienne ?
Il est ambivalent. En vieillissant, je suis plus exigeante dans mes choix, je me consacre davantage à ce qui m'amuse, à ce qui m'intéresse comme la réalisation. C'est un luxe immense. Avec l'expérience, on devient plus habile mais cela peut-être dangereux aussi car j'apprécie la sincérité des débutants, si difficile à retrouver...

Les récompenses vous ont-elles confortée ?
Enormément ! Elles sont venues suffisament tard pour ne pas me retourner la tête... Je me demande d'ailleurs si cette reconnaissance est vraiment méritée. C'est toujours un challenge de discerner le vrai du faux. Parfois, je me sens illégitime, comme si tout était à refaire, systématiquement : j'aime ce sentiment.

Malgré trois césars, vous semblez douter… Êtes-vous fière de ce que vous avez accompli ?
Je suis chanceuse, j'ai fait de très belles rencontres. Par le plus grand des hasards, je n'ai pas eu beaucoup d'efforts à fournir. A mon âge (elle a 63 ans), je suis heureuse de ne pas avoir pris de décisions dans ma carrière susceptibles de me mettre mal à l'aise, de me donner des regrets.

Devenir actrice, était-ce une évidence ?
Pas du tout. Adolescente, en Belgique, j'étais passionnée par la poésie et je projetais un retour à la nature.

Comment faites-vous pour avoir un si grand succès en préservant votre intimité ?
Je ne suis pas le genre de femme à faire la Une de
Paris Match, je ne les intéresse pas… mais je ne mets pas un point d'honneur à me protéger et je me suis déjà livrée à plusieurs médias. J'ai toujours perçu mon métier comme un artisanat et je vis à l'écart, dans la campagne normande…

Que trouvez-vous loin de la ville ?
Un rythme. Une lenteur qui n'est pas celle de notre époque. J'écoute de la musique classique, je fais de la couture. J'ai besoin de voir le temps et les saisons qui passent, ça me rassure. Je jardine, je cultive mon potager, je vais au marché, je fais à manger (en couple avec
Yves, machi­niste de cinéma, elle a 2 enfants -Héloïse et Nils- et 5 petits enfants, ndlr) et je joue aux jeux de société devant ma cheminée.

Quel métier exerçaient vos parents ?
Mon père était employé avant de reprendre une entreprise de bois. Ma mère était femme au foyer, elle s'occupait de mes trois sœurs et de moi.

Quel mot aimez-vous entendre ou prononcer ?
C'est banal : la phrase "je t'aime".

Qu'est-ce-qui peut vous rendre violente ?
Je ne suis pas sanguine, mais je peux me mettre en colère face aux injustices ou face à la montée du fascisme. Jouer sur scène ou devant la caméra est un moyen de conjurer mes angoisses et d'exprimer mes opinions, mes colères.

Quel personnage souhaiteriez-vous incarner ?
J'apprécie les personnages complexes, audacieux. J'ai besoin d'avoir quelque chose à défendre... Une tueuse, par exemple. Si je devais citer une femme en particulier, ce serait Catherine de Médicis.

Qu'aimez-vous chez vous ?
J'aurais préféré parler de mes défauts… Disons, que j'estime être quelqu'un de droit. J'ai un sens affûté de ce qui est honnête, éthique,moral. J'évite les compromissions.

En salles le 3 mai © Ad Vitam