Olivia Ruiz : "J'ai toujours l'impression de ne pas en faire assez"

Olivia Ruiz sort "A nos Corps-Aimants", un nouvel album où le désir et la chair dictent les mélodies pop. Devenue maman, la femme chocolat livre une partition sensuelle, piquante et poétique. Elle nous a parlé de libido, de maternité et du féminisme qui l'anime à 36 ans. Rencontre en tête-à-tête.

Olivia Ruiz : "J'ai toujours l'impression de ne pas en faire assez"
© Paul Morel

On l'a connue en panique, à traîner des pieds et évidemment en femme chocolat. Après 15 ans de carrière, Olivia Ruiz signe un cinquième album fidèle à son univers empreint de surréalisme. "A Nos Corps-Aimants" joue avec les mots, rythme des phrases crues telles que "je baise donc je suis" et nous embarque dans un tintement entre le cabaret et la fanfare.
Olivia Ruiz, toujours aussi pétillante, parle de ce nouveau projet avec entrain, sincérité, son charmant accent du Sud en prime. "On se tutoie, hein ?", nous lance-t-elle face à son thé à la menthe. Entretien avec une jeune femme au sang chaud, toujours aussi rafraîchissante.

Le Journal des Femmes : Quatre ans après votre dernier album, un spectacle de danse et un bébé plus tard, n'était-ce pas trop difficile de vous remettre à l'écriture ?
Olivia Ruiz : Non, parce que je suis très instinctive, j'écris tout le temps. J'ai le vertige de la page blanche. Je n'ai pas envie de me retrouver à la fin d'un album et de réfléchir à ce que je vais faire. Alors j'ai toujours de la matière que je développe. Ces chansons définissent elles-mêmes le thème qui les lie entre elles. Cette fois, l'idée c'était le corps, la chair.

© Christophe Acker

Et surtout le désir...
Dans "Nos Corps-Aimants", qui donne son nom à l'album, je parle du rapport entre l'âme et le corps. Tout le monde a déjà été hyper attiré par quelqu'un, tout en sachant qu'il ne fallait pas s'y risquer sous peine de souffrir. Mais quelque chose de plus fort nous appelle de tout notre corps à y aller. Et puis j'ai eu mon bébé et la chanson a pris un autre sens. J'allaitais, on était tout le temps collés, on ne sortait pas beaucoup... C'était une autre forme de corps aimanté au mien.

Y a-t-il d'autres chansons de l'album dédiées à votre fils ?
Ce n'est pas du tout un album de maman, mais de femme dans toutes ses formes : la femme fatale, la femme mère, la femme fille, héritière d'un patrimoine culturel... Celle de "Mon Corps Mon Amour" exprime son besoin de sexe. Elle n'est pas juste une victime en demande d'amour. Celle de "La Damoiselle" reste floue : on ne sait pas si elle attend la maternité ou ne peut pas avoir d'enfant. Oui il y a "Nino mi niño", mais si les gens ne savent pas que ça veut dire "Nino mon enfant…" on ne se doute pas que je parle à mon fils. Dans un instinct de protection, j'ai d'abord refusé de la mettre sur l'album parce que je ne voulais pas qu'on sache son sexe ou son nom. Puis je me suis dit que je ne pouvais pas renier ce bouleversement.

Votre premier album s'intitulait J'aime pas l'amour. Depuis, ça a l'air d'aller mieux !

"Les histoires à l'eau de rose avec un mec sucré qui nous rabâche qu'on est belle, on s'en fout"

Si le rapport à l'amour n'est pas compliqué, il est chiant. La chanson "J'aime pas l'amour" contestait les rapports mielleux qu'on nous servait à l'époque. Les histoires à l'eau de rose avec un mec sucré qui nous rabâche qu'on est belle, on s'en fout. On veut de la passion. Le sexe, c'est avoir un esprit sain dans un corps sain. La femme de ce nouvel album est féministe comme je peux l'être. Elle défend la parité, le fait de s'assumer seule, d'être une maman, une artiste, une auteure... qui a quand même besoin d'une épaule sur laquelle s'appuyer.

Donc le féminisme vous tient à cœur ?
Je trouve même que je ne me bats pas assez. Je me sens ingrate par rapport à nos mères et grands-mères qui nous ont obtenu le droit à la pilule et à l'avortement. Je suis profondément féministe car j'ai l'impression d'attendre une égalité et de tout faire pour montrer que je la mérite au même titre qu'un homme. C'est une aberration d'encore évoluer dans un monde misogyne.

Après 15 ans de carrière, vous ressentez encore le besoin de prouver votre talent ?
Absolument. Je m'affirme davantage, mais je sais qu'on se dit "elle a l'accent du sud, elle est haute comme trois pommes, c'est une fille et elle est autodidacte, on ne peut pas la prendre au sérieux". Je resserre mon cercle pour me protéger de l'extérieur alors ces réflexions ont moins d'influence sur moi. Mais ça m'a rendue malheureuse longtemps.

© Paul Morel

Dans votre album, "Eternité" aborde le temps qui passe. Cela vous inquiète ?
J'aime ne pas avoir le temps de m'en soucier. Je regarde plutôt vers l'avant, en me disant qu'il me reste encore beaucoup à accomplir. Je viens d'un milieu de cheminots, de viticulteurs. J'ai toujours l'impression de ne pas en faire assez. même si j'en fais trop.

À quoi est due cette envie de bien faire ?
Trois de mes grands-parents ont émigré pendant guerre de Franco. Je me sens porteuse d'un devoir de mémoire, j'ai besoin de poursuivre leur quête de légitimité. Ma grand-mère disait que j'étais la plus espagnole de la famille par mon caractère, ma manière d'être avec les gens, mon côté très sanguin. Je suis persuadée que plus on connaît son passé et celui de ses ancêtres, plus on peut avancer sereinement dans le futur.       

Que voyez-vous pour votre futur ?
J'aurais envie d'écrire une série, de réaliser un film, de faire des chansons pour d'autres, de créer un nouveau spectacle hybride pour Jean-Claude Gallotta [le chorégraphe avec lequel elle a fait le spectacle Volver, ndlr] ... Avant ça, il y a la tournée ! Je suis en train de créer les décors et j'essaie de mettre en place une appli pour interagir avec le public. Les spectateurs pourraient choisir ma tenue, les titres du rappel… J'aimerais aussi beaucoup lancer une sorte de "Tinderuiz" pour essayer de trouver son corps-aimant pendant le concert.

Tous ces efforts cachent-ils une peur de ne plus satisfaire vos fans ?
Je pars du principe que je n'ai pas de fans ou qu'il faut les reconquérir. Pour moi, personne ne m'attend, surtout par les temps qui courent. Je ne vais pas sur les réseaux sociaux parce que j'ai toujours peur d'y trouver des choses négatives, Je suis une grande fragile, une hypersensible.

Olivia Ruiz, À Nos Corps-Aimants (Polydor). Disponible depuis le 18 novembre 2016.

© Polydor