Anne Le Ny : "Je me suis toujours sentie femme"

Avec "On a failli être amies", la réalisatrice s'intéresse à la crise du milieu de vie et aux rapports humains complexes. Dans la vraie vie, Anne Le Ny est une femme passionnée, drôle et révoltée. Rencontre.

Anne Le Ny : "Je me suis toujours sentie femme"

A l'occasion de la sortie en salles d'On a failli être amies, Le Journal des Femmes a rencontré sa réalisatrice, Anne Le Ny. Cultivée, drôle, elle "a de la conversation", comme on dit. Elle nous explique pourquoi elle s'est penchée sur le sujet du changement de vie et en profite pour nous donner son avis engagé sur la condition féminine.

Le Journal des Femmes : Comment avez-vous eu l'idée de ce film ?
Anne Le Ny : Tout a commencé sur le tournage de Cornouailles. L'assistante monteuse m'a raconté qu'avant, elle était formatrice dans un centre pour adultes. A force de constater que les gens allaient mieux en changeant de métier, elle s'est lancée. Probablement parce que j'ai moi aussi changé de métier, ça a fait tilt.

Comme Marithé et Carole dans le film, avez-vous vécu une forte remise en question ?
Anne Le Ny : J'ai l'impression d'en avoir déjà vécu 2 000 [rires] ! Mes remises en question ne sont pas forcément liées à des événements, comme dans le film. Je n'ai pas d'enfant, je ne me suis pas dit "je ne supporte plus d'être actrice". Les choses se sont faites plus en douceur. Quand on arrive à un certain âge, on sent qu'il faut arrêter de perdre son temps et de remettre les choses au lendemain.

Le temps qui passe vous angoisse ?
Anne Le Ny : Pas vraiment. A 50 ans, je me dis que ce que je vis est super et j'espère qu'à 60, 70 et 80 ans ce sera toujours aussi bien. Physiquement je suis en forme, mais je mesure que ça n'est pas pour toute la vie... Quand on est une femme, on sent aussi que la séduction physique passe ailleurs. Elle n'est pas moins forte, mais elle n'est pas immédiate. Les choses se déplacent, changent de terrain.

Pourquoi avoir raconté cette histoire de femmes ?
Anne Le Ny : Il y a peu de personnages féminins intéressants au cinéma, encore moins de duos. J'ai l'impression qu'on est passé d'un cliché de rivalité (les femmes sont jalouses, cruelles et ne peuvent pas être amies) à une impression de solidarité extrême. Sauf que, comme chez les hommes, il y a des gens loyaux et d'autres non. J'avais envie de montrer des rapports complexes, comme le sont les relations humaines en général.

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Anne Le Ny sur le tournage de "On a failli être amies" © Mars Distribution

Jane Campion dit que les femmes réalisatrices ont une vision différentes des choses et qu'il en faudrait plus, vous êtes d'accord ?
Anne Le Ny : Bien sûr, il faut plus de réalisatrices ! Ne serait-ce que pour que la représentation des femmes change. Je n'en peux plus qu'au cinéma, les femmes aient systématiquement 10 ans de moins que leur conjoint. Je n'en peux plus de voir qu'une femme de pouvoir est forcément masculinisée. La parole des femmes est encore ethnicisée, presque comme si c'était folklorique. Le language masculin est universel et le féminin reste particulier.

Ca vous révolte aussi en dehors du cinéma ?
Anne Le Ny : Ca me met dans une colère noire ! Je trouve qu'on n'écoute pas les femmes. Dans un dîner, les hommes ne nous prennent pas au sérieux. Les rayons de jouets me révoltent aussi ! Je pense qu'il y a un assez fort recul sur certaines choses, comme cette hyper différenciation des sexes. Je trouve ça nul. Ca m'énerve qu'on n'ose plus dire qu'on est féministe, comme si on perdait toute séduction.

Vous êtes féministe ?
Anne Le Ny : Bien sûr !

A quel moment de votre vie vous êtes-vous sentie femme ?
Anne Le Ny : Toujours. J'ai commencé l'école en étant séparée des garçons. Quand je les ai vus débarqués, je me suis dit "mais qu'est-ce que c'est que ça ? Ils sont incontrôlables !" J'ai réalisé que je n'appartenais pas tout à fait à la même espèce [rires]. J'ai toujours trouvé ça rigolo d'être une fille, même si parfois ça me met en colère de me dire je n'ai pas le droit aux mêmes choses...

Vous vous sentez femme par rapport aux injustices qui vous sont faites ?
Anne Le Ny : Un peu, probablement. Ca a aussi un côté joyeux : j'ai à y gagner, je vois les progrès qui ont été faits. Par exemple, être une femme réalisatrice aujourd'hui n'est pas plus difficile. Il y a même un petit engouement. Les personnages féminins, c'est un terrain vierge qui n'attend qu'à être exploré alors que pour les hommes, c'est plus compliqué, comme 90 % des films ont un personnage principal masculin.

Vous aimeriez faire un film féministe ?
Anne Le Ny : Je sépare assez la question artistique et mes opinions. Je trouve que les films militants, pour quelque cause que ce soit, sont rarement réussis. Je suis prête à clamer haut et fort ce que je pense, mais je me méfie du film à thème.

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Anne Le Ny © Mars Distribution