"See now, buy now" : de Dior à Chanel, la mode française refuse la révolution des défilés

Tom Ford, Burberry ou Vêtements, face à certains dysfonctionnements, des créateurs veulent renverser le schéma actuel de la mode. Mais face à eux se dressent à Paris la Fédération française de la couture, Dior, Chanel ou encore Hermès. Décryptage.

"See now, buy now" : de Dior à Chanel, la mode française refuse la révolution des défilés
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Leurs noms ne vous dit peut être rien, mais ce sont eux qui tirent les ficelles de la mode française. Ralph Toledano, président de la Fédération française de la couture et du prêt-à-porter entouré d'Hermès et Kering, Sidney Toledano, PDG de Chritian Dior Couture et Bruno Pavlovsky, président du département mode de Chanel représentent l'envers business de cette discipline de prestige made in France. Dans un contexte ou de nombreux créateurs questionnent le bien fondé du calendrier actuel des défilés, Madame Figaro est allé rencontrer en exclusivité ces pontes fashion pour cueillir leur avis sur ce bouleversement. Inversement des saisons, mise en vente directe après les défilés, nécessité de se mettre au pas du digital, d'une même voix, ils se positionnent avec un grand "Non". Trois raisons à cela, qui enrichissent le débat :

Laisser le temps à la création

Dans l'ordre actuel, les collections sont imaginées, du premier trait au choix des matières, et conçues avant le défilé. Celui-ci présente ainsi une ligne aux professionnels invités (acheteurs, journalistes) et ce n'est qu'après que la production est lancée. Durant les mois qui précèdent la mise en vente, les vêtements sont donc confectionnés, la communication est pensée et la publicité qui l'accompagne est réalisée. Les acheteurs peuvent faire leur choix et les influenceurs modérer et analyser les tendances. La suppression de ce laps de temps compresserait considérablement la créativité des acteurs du milieu, forcés de réaliser toutes ces étapes avant le défilé si la commercialisation est immédiate. En faveur de ce processus créatif rodé, Ralph Toledano refuse de se plier à l'immédiateté au détriment de la qualité. À ce sujet, Bruno Pavlovsky de Chanel en profite pour réaffirmer la puissance d'une machine qui fonctionne très bien au rythme de 6 collections par ans : "nous présentons six collections par an et c'est notre façon de respecter nos clientes qui souhaitent voir, dans nos boutiques comme sur le digital, de nouvelles histoires, de nouvelles silhouettes, tous les deux mois.". Refuser de tirer le savoir-faire français vers le bas pour se plier à la consommation, oui. Ignorer un véritable problème de rythme, non. 

Respecter le désir

La première réaction aux changement d'horaires de Burberry, Tom Ford ou Vêtements, a été, pour la Fédération, de lancer une enquête de satisfaction. Selon Ralph Toledano, aucune des maisons interrogées ne font remonter des plaintes de la part de leurs clients à l'égard des délais d'attente entre la vision et la possibilité d'achat des collections. Un premier constat qui confirme un processus primordial dans l'industrie : le temps qui permet d'attiser le désir des clients. La sur médiatisation des pièces au moment de la présentation des défilés ne détériore en rien l'envie des consommateurs, qui ont compris et intégré la nécessité de ce laps de temps. "nos clients sont des gens avisés qui savent parfaitement comment le système fonctionne." affirme-t-il.  Au contraire même, selon Sydney Toledano, ce système a prouvé son succès en étant repris par un certain Steve Jobs pour dévoiler ses produits lors de ses keynotes. Résultat ? Toujours autant de tentes plantées devant les Apple stores du monde entier pour mettre la main sur le dernier iPhone. 

Préserver l'indépendance

Pour concrétiser l'idée de mise en vente sans délais après le défilé, il faudrait inventer un nouveau rendez-vous en amont pour les acheteurs. Ainsi, le show n'aurait plus qu'un but : toucher le public et la presse. Une conception "consumer driven", c'est à dire motivée et guidée par la finalité commerciale que refuse Ralph Toledano. D'une part, la décision de la composition du défilé risque inéluctablement d'être influencée par l'avis des acheteurs. "Comment voulez-vous mettre en valeur une singularité dans ce système ?" s'insurge Ralph Toledano. Une partie de la liberté créative de la profession s'envolerait ainsi. De l'autre côté, ce nouveau schéma orienterai les traditionnels défilés vers le grand public et non le corps de la profession. Une erreur qui reviendrait à annuler tout le travail de modération des experts aptes à distinguer un travail de qualité. "Croyez-vous qu'on va pouvoir observer ces détails dans un stade de 5 000 personnes pendant que telle rock star est en train de chanter ?", poursuit-t-il. Prend-toi ça Kanye. 

Soucieux de préserver l'exception française et un système viable et rentable pour les grandes maisons, les acteurs de la mode freinent des quatre fers et s'unissent de Paris à Milan. Pourtant, les créateurs semblent avoir décider d'agir seuls, et pas seulement de l'autre côté de l'Atlantique. Par exemple, le frondeur Demna Gvasalia, qui a annoncé ouvertement au magazine Business of Fashion son intention de suivre son propre rythme, défile avec Vêtements et bientôt Balenciaga à Paris. Quelles seront les conséquences d'un tel désaccord entre maisons et institutions ? En tout cas, la querelle des podium est bel et bien initiée.
 

Dior, comme Chanel et Hermès, disent "non" au changement de programme dans la mode © Imaxtree.com