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Mode
25/08/2006

"J'aime détourner les classiques tout en faisant des modèles adaptés au marché"

Hermès, Lanvin, Inès de la Fressange : en 25 ans de carrière, Eric Bergère a laissé sa patte dans les plus grandes maisons. Aujourd'hui, le créateur devenu freelance a fait de la mode grand public son nouveau credo et revient avec une ligne très sixties créée pour Cyrillus.

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On vous connaît surtout pour votre collaboration avec Hermès. Pouvez-vous nous rappeler votre parcours ?
Eric Bergère : J'ai suivi le cursus de l'Esmod de 1978 à 1980 avant d'entrer chez Hermès en tant que responsable des collections femmes et accessoires jusqu'en 1989. J'ai ensuite travaillé à Milan pour la maison de couture Erreuno. Par la suite, j'ai opté pour la création en freelance, ce qui m'a amené à travailler avec Lanvin, à contribuer au lacement de la marque d'Inès de la Fressange, à dessiner une collection de chaussures pour Harel… En parallèle, j'ai exploité ma propre marque jusqu'en 1995. Depuis 2000, elle est vendue exclusivement au Japon. J'ai aussi été consultant pour les publicités Gérard Darel, j'ai dessiné une ligne de cuirs et accessoires pour Goldfine,le Hermès allemand et j'ai créé des lignes pour Aigle et La Redoute…

Parmi toutes ces expériences, laquelle a été la plus formatrice ?
C'est incontestablement Hermès car cette maison m'a tout apporté en termes de qualité et de conditions de travail. C'est là que j'ai appris le métier. J'ai toujours eu la liberté de faire ce dont j'avais envie pour les femmes et les accessoires. J'ai aimé m'inscrire dans la continuité de cette grande maison tout en relevant un défi d'avenir : Hermès se doit de créer pour une famille classique et traditionnelle tout en étant une marque évolutive. Elle doit développer une clientèle nouvelle, plus jeune, sous peine de vieillir avec ses acheteuses. C'est un clivage similaire qui m'a plu dans le projet de Cyrillus : j'ai pu travailler une collection moderne et classique à la fois, faire du traditionnel avec des touches d'humour, tout en travaillant la finition, la structure du vêtement. J'aime détourner les classiques tout en faisant des modèles adaptés au marché. Je ne suis pas un habitué des collections à thèmes, des délires créatifs importables. L'essentiel pour moi est de créer pour une femme qui a une belle allure dans des vêtements confortables.

Vous êtes un proche de Christian Lacroix. Que pensez-vous de son travail ? Vous a-t-il influencé ?
Non, nous sommes très amis mais nous n'avons pas du tout le même style. J'ai eu l'occasion de travailler en collaboration avec sa femme mais entre lui et moi, c'est plutôt une histoire d'amitié que de création. Christian Lacroix a véritablement marqué l'histoire de la haute couture au cours des 20 dernières années, il lui a rendu son éclat. Mais nous avons toujours travaillé dans des sphères différentes : mon style est peut-être plus austère mais c'est toujours dans le souci d'un minimalisme sexy.

Quelles sont vos sources d'inspirations ? On dit que vous êtes notamment un passionné de musique…
Il est vrai que j'ai été très marqué par les années 1970, la pop, la variété. Quand j'étais enfant, un écran de télé était une scène sur laquelle on apparaissait coiffé et maquillé. Il y avait un réel effort de mise en scène, avec un souci de représentation. Cela a été mon premier choc esthétique. Depuis, j'ai aussi été inspiré par les couturiers américains, comme Claire McCardell, qui créait dans les années 1940 des robes du soir en jean. Le côté vintage, la récupération et la sophistication sont des leitmotivs dans mes créations. Il y a aussi cette touche de cow-boy romantique que j'ai inclus dans ma ligne pour Cyrillus et qui a toujours été dans mes inspirations premières. Sinon, j'aime beaucoup Givenchy porté par Audrey Hepburn. D'ailleurs le cinéma de cette époque m'a beaucoup marqué. Katherine Hepburn, Bette Davis : ces femmes très fortes qui n'avaient pas peur de leur féminité font partie de mon imaginaire. Puis, je suis entré chez Hermès et j'ai eu Sophia Loren pour cliente : son attitude et son allure étaient incroyables.

En 1995, vous avez créé votre propre griffe. Etait-ce un projet que vous nourrissiez depuis longtemps ?

Non, pas du tout. J'avais envie de faire une petite ligne, qui n'avait pas vocation à devenir grande mais qui me donnait un espace de liberté, sans les contraintes commerciales ou stylistiques que l'on rencontre toujours en travaillant pour un client. J'ai commencé par lancer une petite collection de tee-shirts de luxe que l'on pouvait porter facilement puis j'ai réalisé les robes en maille trapèze, les vestes et enfin la collection complète. J'ai aussi fait de l'homme en partant de ce qu'il me manquait dans ma garde-robe. C'est d'ailleurs ce qui a eu le plus de succès. La marque marchait bien mais au bout de 5 ans, elle s'est essoufflée : nous avons eu une ou deux saisons difficiles, sans bénéficier d'aides. Je me suis vu m'endetter et vieillir avant l'heure. J'ai tout laissé tombé et réouvert un entreprise de conseil tout en conservant la licence "Eric Bergère" au Japon, ce qui était beaucoup plus léger.

Pourquoi avoir franchi le pas de la mode plus "grand public" avec des marques comme La Redoute ?
Cela me paraissait être un développement tout à fait logique. Quand on fait sa petite collection, on a une clientèle très confidentielle. Pour se faire connaître, la meilleure solution est de passer par ces grandes enseignes. Cela n'a pas du tout été un choc culturel : avec La Redoute, j'ai pu faire des modèles viables, adaptés à la VPC. D'ailleurs, on est toujours très bien promu par les vépécistes. C'est un véritable cadeau qui nous permet en plus de nous faire connaître à des gens que l'on n'aurait pas pu toucher autrement. Le projet de Cyrillus va encore plus loin : j'ai eu l'occasion de faire plus de modèles correspondant réellement à mon goût : des créations pour la famille traditionnelle avec une touche d'extravagance et de maternité.

Comment est née cette collaboration avec Cyrillus ? Qu'est-ce qui vous intéressait dans ce projet ?

A l'origine, je ne connaissais pas du tout la marque. Quand Cyrillus m'a contacté, j'ai visité les boutiques, repéré leurs best-sellers, les modèles récurrents avec lesquels je pourrais m'amuser. Le point de départ de la collection a été le manteau de petite fille en velours évasé. Il fait très Caroline Kennedy ou princesse des années 1950. Je l'ai retravaillé puis adapté à la silhouette de la femme pour qu'il puisse être porté avec un jean. C'est un modèle dans l'air du temps.

Cette collection pour Cyrillus vous a donné l'occasion de travailler pour l'enfant. Qu'en pensiez-vous ?
A l'époque, je ne travaillais pas sur des modèles pour enfants. Ce qui m'importait était de récupérer ce manteau de petite fille pour l'adapter à la femme. Puis j'ai travaillé sur la redingote homme et je l'ai ajusté aux mesures des petits garçons. Je voulais toucher ce côté presque animal du rapport entre le père et le fils, la mère et la fille, pousser la ressemblance, l'identification à l'extrême. Mais mon objectif était avant tout de faire des sosies dans des proportions intéressantes. Il fallait donc faire des propositions de matières adaptées, travailler les proportions enfantines sans les ridiculiser. J'ai aimé ce projet et si l'occasion se représente, je serais ravi de refaire de l'enfant. Ce n'est pas bien compliqué mais il ne faut pas tomber dans le déguisement ou la caricature et surtout penser à créer des vêtements qui ne les entravent pas.

Aujourd'hui, regrettez-vous de ne plus être aux rênes d'une grande maison ?
Non, travailler en freelance me convient mieux. Les conditions de travail sont idéales car les clients vous nourrissent, ils ont une grande ouverture d'esprit. Travailler dans une maison est plus sclérosant : on ne sait plus ce qu'on aime ou ce que l'on doit faire, le chiffre d'affaires est le guide de la création. Quand on travaille en freelance, il y a toujours un équilibre : on sait ce qui marche pour les uns et pour les autres, tout devient plus ouvert, plus visible. Si demain un maison vient me voir en me donnant la possibilité de m'exprimer, peut-être que j'accepterais, mais ce n'est pas sûr. Dix ans chez Hermès, ça compte, mais je l'ai fait et maintenant j'ai envie de faire des choses que je n'ai jamais pu expérimenter.

En savoir plus
- Le site d'Eric Bergère : www.smartpixel.net/ericbergere
- La collection d'Eric Bergère pour Cyrillus : www.cyrillus.fr


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