Najat Vallaud-Belkacem : "Il faut impliquer les pères dès la grossesse"

Le Sénat examine en ce moment même le projet de loi sur les égalités homme-femme. L'heure de faire le point avec Najat Vallaud-Belkacem, ministre des Droits des Femmes, sur les modalités du congé parental qui va être réformé. Entretien.

Najat Vallaud-Belkacem : "Il faut impliquer les pères dès la grossesse"
© Ministère des Droits des Femmes

Suivant les conclusions de l'enquête qualitative de l'Unaf, avant même la question de congé parental du père, faudrait-il allonger le congé paternité ? Faut-il le rendre obligatoire ?
Dans l'absolu je suis en faveur d'un allongement du congé paternité, mais dans une période de finances publiques contraintes, il faut opérer des choix. Le nôtre a été de privilégier l'augmentation des places en crèches. Mais j'estime que dès que la croissance aura un peu repris dans notre pays, ce serait une mesure très utile et je défendrai l'augmentation du nombre de jours de congé paternité. Le rendre obligatoire, c'est une chose que nous avons expertisée. Elle est complexe à mettre en œuvre. Néanmoins, dans le protocole d'accord qui a été conclu dans la fonction publique le 8 mars dernier sur la question de l'égalité entre les hommes et les femmes, il existe une disposition sur le congé paternité qui permet de le systématiser : cela passe notamment par le fait qu'il soit explicitement proposé par le supérieur hiérarchique au salarié qui vient d'avoir un enfant.

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Najat Vallaud-Belkacem, ministre des Droits des Femmes © Ministère des Droits des Femmes

Pensez-vous à étendre ce type d'accord à l'entreprise privée ?
La signature aujourd'hui de notre convention avec l'observatoire de la parentalité en entreprise va en ce sens. Je souhaite voir les entreprises s'engager, par exemple, à travers la création de chartes du temps, ou la création de crèches d'entreprises et interentreprises... des démarches qui démontrent  qu'elles favorisent pour leurs salariés femmes comme hommes une bonne articulation de leur vie professionnelle et personnelle. Dans notre projet de loi, une mesure est d'ailleurs passée un peu inaperçue : elle permet aux salariés qui le souhaitent d'utiliser une partie de leur Compte Epargne Temps (CET) pour le transformer en Chèque emploi service Universel (CESU) pour avoir recours à des services à la personne plus facilement notamment en matière de garde des enfants.

Des consultations dédiées aux pères durant la grossesse permettraient-elles d'impliquer les papas dès le début ? Certains hôpitaux permettent une plus grande implication du père, qu'en pensez-vous ?
Je suis favorable à cela, et aussi au fait que l'on puisse donner un congé prénatal le jour de la consultation aux pères, car la meilleure façon de les impliquer, c'est qu'ils se sentent partie prenante le plus tôt possible, dès que la grossesse s'annonce.

Selon les conclusions de l'enquête de l'Unaf, une solution serait que chaque parent prenne un congé parental à 80 %, en même temps. Qu'en pensez-vous ?
Oui, c'est une solution, d'ailleurs permise par notre réforme ! Il faut comprendre que celle-ci est en deux points : nous ajoutons 6 mois de congé dans le cas d'un premier enfant et demandons à ce qu'à partir du deuxième enfant, 6 mois sur les 3 ans possibles soient réservés au deuxième parent. Mais dans notre réforme, il existe une grande souplesse : les modalités du partage de ce congé parental sont multiples. Le père peut choisir de ne prendre qu'un mois et demi sur les 6, ou de s'absenter un jour par semaine pendant 6 mois en prenant un congé parental à 80 %. Ce congé à temps partiel peut d'ailleurs être pris en même temps que la mère, chacun des parents s'absentant un jour par semaine... Nous créons seulement une incitation qui ensuite peut prendre plusieurs formes.

Valérie Pécresse nous avait dit en interview: "ouvrons le droit à un congé parental sur toute l'enfance de l'enfant et permettons au père de prendre ces 6 mois à n'importe quel moment de l'enfance", ne croyant pas au fait d'imposer 6 mois de congé parental durant la petite enfance (cf : les pères ne souhaiteraient pas changer les couches) : que pensez-vous de cette proposition ?
Il faut impliquer les pères dès le plus jeune âge. Car c'est quand les enfants arrivent que s'installe une répartition des tâches domestiques de type 80 % pour les femmes et 20 % pour les hommes. Les études montrent même que le père travaille plus ! Ce qui peut vouloir dire que parfois ça l'arrange de rentrer plus tard le soir pour ne pas avoir à gérer quelques contraintes... Quand la mère reprend son travail après son arrêt, des habitudes ont été prises dans le couple : ce qui relève de la sphère domestique dépend de la mère et pas du père. D'où cette inégale répartition des tâches qui s'installe dans la durée et sur laquelle il est difficile de revenir. C'est pourquoi il est important d'installer une égalité de répartition dès le début, et non pas d'attendre 10 ans.
Les études montrent par ailleurs que plus un père s'est impliqué dès les premiers mois de son enfant, plus leur lien est fort, ce qui est important aussi dans le cas de séparations de couples. Car ce lien est vulnérable et mène souvent à des situations où le père ne voit plus son enfant une fois le couple séparé. Les nouveaux pères revendiquent et veulent cette implication. Mais c'est notre société qui stigmatise et ne donne pas sa juste place au père. C'est aussi le regard trop souvent renvoyé côté entreprise. Comme le montre l'étude de l'Unaf, les pères ont peur d'être mal considéré à leur travail en s'absentant pour un congé parental. Nous ne voulons plus qu'ils soient mal considérés, nous envoyons donc un signal fort en inscrivant cela comme une normalité dans la loi. Vous verrez que le congé parental s'imposera pour le père : aux débuts du congé paternité, les mêmes arguments estimaient la chose impossible (" les pères ne le prendront pas ! "). Aujourd'hui nous atteignons 60 % de pères qui le prennent ! Côté objectifs, je souhaite voir les 3 % de congés parentaux pris chaque année par les pères monter à 20 % d'ici 2017 soit 100 000 congés parentaux. Cet objectif, nous l'avons établi en nous basant sur l'Allemagne qui a adopté une réforme similaire en 2007, et qui est effectivement passée de 3 % à 20 % de congé parental pris par le père. C'est donc possible.

A cause des inégalités de salaires entre hommes et femmes, les familles pourront-elles se permettre que l'homme prenne les 6 mois restants ?
J'entends la remarque mais elle n'est pas si fondée que ça. Bien sûr les écarts de rémunérations moyens dans notre pays sont de 27 %. Mais au niveau d'un couple, cet écart n'est pas de 27 % car les couples se forment dans les mêmes catégories sociales : un cadre épouse souvent un cadre, et un ouvrier une ouvrière. L'écart de rémunération est en réalité de 4.5 % quand les deux membres du couple travaillent à temps plein. Donc l'argument ne peut pas à lui seul justifier que 97 % des congés parentaux soient pris par les femmes. Les raisons financières n'expliquent pas tout, ce sont les représentations sociales qui sont en cause.

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Najat Vallaud-Belkacem, ministre des Droits des Femmes © Ministère des Droits des Femmes

Par ailleurs, pourquoi observons-nous des écarts de rémunérations entre hommes et femmes ? C'est notamment car les femmes n'ont pas la même carrière que les hommes, justement parce qu'elles s'arrêtent pour s'occuper des enfants ! C'est le serpent qui se mord la queue. La discrimination volontaire à l'égard des femmes est très rare en réalité. Ce qui est beaucoup plus fréquent, c'est le décrochage salarial et professionnel. Les femmes ne bénéficient pas de toutes les opportunités dont ont profité les collègues masculins car elles s'absentent le mercredi ou partent plus tôt le soir ou sont simplement " susceptibles " de le faire aux yeux des employeurs... Nous ne pouvons pas faire comme s'il s'agissait d'une fatalité, nous devons lutter contre ces mécanismes et c'est ce que nous faisons avec cette réforme.
 

Nous avons réalisé une étude en mars : 36 % des Françaises de 25 à 49 ans estiment qu'elles n'ont pas retrouvé l'intégralité des fonctions qu'elles occupaient avant de devenir mères. Près de 40 % des Françaises se sentent isolées au travail, mises à l'écart. 41 % des mamans sont moins sollicitées sur des projets intéressants. 23 % des mamans ont un poste différent depuis leur retour au travail. Un fait qu'elles attribuent, une fois encore, à leur maternité. 9 % des femmes interrogées disent avoir été licenciées en raison de leur maternité. Et elles se taisent de peur de représailles. Qu'en pensez-vous ?
Ce que dit cette étude très intéressante c'est une véritable souffrance des femmes au travail, c'est très difficile d'être confrontée en permanence à cette forme de suspicion qui pèse sur vous, d'être accusée de n'être pas suffisamment investie parce que vous devez aller chercher vos enfants à l'école, par exemple. Cela nous donne comme exigence absolue de faire évoluer les entreprises vers une meilleure articulation des temps personnel et professionnel. Tant que le congé parental sera aussi mal réparti, on observera un "effet réputation" : un responsable des ressources humaines jaugera une femme en fonction de la probabilité qu'elle ait un enfant et s'absente pour cela. Donc l'embauchera moins pour compenser par anticipation un éventuel congé parental. A partir de notre réforme, cet "effet réputation" sera réparti entre les hommes et les femmes. Ce qui a pour conséquence qu'il ne discriminera plus une partie de la population. Par ailleurs, parmi les femmes qui travaillent, une catégorie de femmes est particulièrement maltraitée car non protégée juridiquement : ce sont les collaboratrices libérales. Nous introduisons dans la loi les mêmes protections que pour les salariées : elles auront ainsi accès à la protection de 8 semaines pendant lesquelles on ne peut pas mettre fin à leur contrat, ce qui n'était pas le cas avant.

Dans le cas où le père ne peut prendre les 6 mois de congé parental, comment cela se passe-t-il ? Trouver un mode de garde pour 6 mois est compliqué.
Nous y avons pensé : pour la première génération de françaises et de français qui va être amenée à appliquer la réforme, cela va induire parfois des complications car cela bouleverse un système. Notamment dans les cas où le père ne pourra pas s'absenter 6 mois. Pour ne pas pénaliser ces familles, nous inscrivons la possibilité d'un accès privilégié à des places en crèche, contre une attestation expliquant la situation notamment économique de la famille.

Comment voir que les pères ne peuvent pas s'arrêter ? Ne craignez-vous pas les "fausses attestations" pour une place en crèche de 6 mois ?
Nous créons une incitation, pas une obligation. Ce type de contournement peut exister bien sûr, mais nous aurons au moins rempli un de nos objectifs : réduire l'éloignement des femmes du marché du travail, à défaut de remplir le deuxième qui est d'impliquer les pères dans l'éducation des enfants. Notre ambition reste de combiner les deux. Notre réforme apporte aussi des éléments nouveaux sur ce qui se passe à la fin du congé parental pour les femmes. A leur retour en entreprise, il y aura un entretien avec le responsable des ressources humaines qui permettra de faire le point sur les souhaits de la salariée et de lui retrouver soit le même poste, soit un poste équivalent. Elle profitera également d'une partie des augmentations moyennes qui ont lieu pendant son absence au sein de l'entreprise.

Quant aux femmes qui n'étaient pas en entreprise avant leur congé parental, elles sont particulièrement vulnérables et précarisées car à l'issue de celui-ci, elles ont un mal fou à revenir sur le marché du travail. Nous inscrivons donc dans la loi un droit à l'accompagnement par Pôle Emploi à la fin du congé pour ces personnes. Avec des incidences concrètes comme l'ouverture d'un droit à formation, le fait d'être contactée systématiquement par Pôle Emploi quelques mois avant la fin du congé parental pour un bilan de compétences... Il s'agit d'anticiper le retour sur le marché du travail. Pour enrichir cet accompagnement, on travaille en collaboration avec les régions pour que, par exemple, durant les périodes de formation, offertes, des solutions ponctuelles de garde d'enfants soient trouvées.


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