Le suicide de l'enfant : pourquoi en parler

Le Professeur Boris Cyrulnik s'est vu confier par le gouvernement une mission d'étude sur les mécanismes qui peuvent pousser un (très) jeune à se donner la mort. Pistes d'action pour éviter de tels drames.

Le suicide de l'enfant : pourquoi en parler
©  Viktor Kuryan

En France, le suicide est la deuxième cause de mortalité chez les jeunes de 15-24 ans (16,6 % des causes de décès) après les accidents de la route, et représentait, en 2008, 3,8 % des causes de décès chez les 5-14 ans. La multiplication et la médiatisation de ces actes désespérés a amené les pouvoirs publics à se pencher sur le phénomène. "Il n'est pas normal qu'une société riche comme la nôtre ne sache pas voir le malaise de ses enfants", a affirmé jeudi Jeannette Bougrab, la Secrétaire d'État chargée de la Jeunesse et de la Vie associative. "Je suis convaincue qu'il était vital d'agir et de proposer des solutions pour impulser une politique de prévention", a ajouté celle qui a commandé un rapport inédit au théoricien de la résilience, Boris Cyrulnik,

"L'enfant peut écrire une lettre d'adieu (...) mais le plus souvent, il se penche trop par la fenêtre ou descend d'un autobus en marche. Alors les adultes parlent d'accident", explique Boris Cyrulnik, qui évoque une centaine de morts de moins de 12 ans, assimilables à un suicide chaque année. 

Négligence affective

Le neuropsychiatre insiste sur l'importance de la parole et des gestes lors des "dernières semaines de grossesse" et des "premiers jours de la vie". Selon lui, "les carences sensorielles précoces" créent une vulnérabilité psychologique qui favorise le passage à l'acte. Il est donc nécessaire d'aider son enfant à verbaliser ses angoisses, de le protéger, de l'apaiser, dès sa naissance, en multipliant les interactions (tactiles, visuelles, auditives).

Si l'enfant ne rencontre pas, dès le plus jeune âge, un univers sécurisant -parce qu'il est "isolé", confronté à la détresse conjugale, à un deuil précoce, à des maltraitances-, toute "atteinte est pour lui insupportable" et peut constituer un facteur déclencheur. L'entrée à l'école, où il est confronté au jugement de ses camarades peut être particulièrement traumatique. Ainsi, explique Boris Cyrulnik, se faire appeler 'bouboule' ou 'bamboula' est douloureux pour un enfant 'sécure' mais insurmontable pour un enfant en état de fragilité émotionnelle. Une phrase blessante, humiliante, une petite frustration, une mauvaise note en classe ou le déménagement d'un copain peuvent provoquer une "déflagration exceptionnelle". Entre 6 et 9 ans, "une pichenette peut inciter" à commettre l'irréparable. Car l'enfant se sent seul, sans possibilité de comprendre ou de partager ce qui lui arrive

 

Peut-on détecter des signes annonciateurs ?

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Rassurer, protéger... ©  Viktor Kuryan

Difficilement selon le spécialiste qui reconnaît que seuls 20 % des petits expriment leur souffrance. Cela peut passer par une prise de risque inconsidérée, un décrochage scolaire, un repli sur soi, ou au contraire des cris et un comportement agressif... Autant d'indices compliqués à distinguer du comportement normal d'un gamin qui cherche à tester ses limites. Alors que les adultes et les adolescents sont en dépression, les bambins sont beaucoup plus impulsifs, ce qui rend leur geste fatal encore plus incompréhensible et imprévisible.

Autre point abordé : "les cultures modernes nous font croire qu'elles ne valorisent plus la violence (...). Ce progrès moral ne supprime pas la crainte de la mort. Alors les enfants, les garçons surtout, inventent des jeux initiatiques secrets", qui peuvent être dangereux (traverser brusquement la rue) ou érotisent la peur (jouer à s'étrangler avec un foulard).  

Nécessité d'échanger, d'entrer en contact

Boris Cyrulnik alerte sur l'importance des rituels d'accueil et de mise à l'épreuve dans la découverte des valeurs. Il met ainsi en garde contre les réseaux sociaux, où les amis ne sont souvent, malheureusement, que "virtuels", et donc dans l'incapacité de sonner l'alarme. L'expert prône comme mesure de prévention "une cohérence des métiers de la petite enfance", une adaptation des rythmes scolaires, une notation plus tardive et une lutte contre le harcèlement.

Mme Bougrab souhaite appuyer la création de "lieux de prise de parole et encourager les pères à prendre leur congé paternité" pour que bébé soit plus entouré. "Quand on voit que neuf millions d'adultes consomment des psychotropes de façon régulière, on peut penser que ce mal-être a glissé vers les tout petits", souligne-t-elle.

Vous voulez en savoir plus sur ce sujet délicat voire tabou ?

Le travail de recherche de Boris Cyrulnik repose sur une approche pluridisciplinaire mêlant neurobiologie, biochimie, psychologie, sociologie... Il prend la forme d'un livre de 155 pages, intitulé "Quand un enfant se donne 'la mort' -Attachement et Sociétés", publié aux éditions Odile Jacob et vendu 19 euros.