Elsa, sage-femme : "Je n'ai pas choisi ce métier pour ça"

Cet été, la France manquera de sages-femmes remplaçants à l'hôpital pour pallier les départs en congés des titulaires. Une nouvelle fois, la profession tire la sonnette d'alarme. Elsa, sage-femme en Nouvelle-Aquitaine, témoigne des conditions de travail et des répercussions sur les jeunes parents.

Elsa, sage-femme : "Je n'ai pas choisi ce métier pour ça"
© galina sharapova

Avec l'été, les maternités ont besoin de sages-femmes pour remplacer les titulaires durant leurs congés. Alors que 120 000 naissances sont attendues pour la saison estivale, pour la première fois cette année, les nouveaux diplômés ne sont pas suffisamment nombreux pour pallier le manque. En cause ? Un attrait pour l'exercice libéral. Justement, Elsa est diplômée depuis juin 2020. Elle a fait le choix de travailler en milieu hospitalier, et nous raconte son quotidien auprès des jeunes parents dans une maternité de Nouvelle-Aquitaine. 

Elsa a choisi ce métier par vocation, "accompagner les femmes dans ce moment était pour moi une évidence", mais elle prévient immédiatement : "je me dis déjà que faire cela toute ma vie me paraît impensable, surtout à l'hôpital, je ne m'y vois même pas quelques années tant c'est difficile". Dès la seconde année d'études, elle découvre la maternité en groupe hospitalier, de quoi "dégoûter" assez vite, confie-t-elle, tant les conditions de travail y sont dures, sans reconnaissance. Cela explique sûrement que 50% de sa promotion ait choisi de s'orienter vers le libéral. Mais Elsa voulait être là pour les urgences, être au cœur des suivis de grossesse et des naissances. Quitte à enchaîner les CDD à très courte durée, à dépasser largement les 50 heures de travail chaque semaine pour un salaire dérisoire.

Quatre mères en travail pour une sage-femme

Son quotidien à la maternité ? Jongler entre les mères en travail, les urgences, les consultations. "Il m'arrive de m'occuper de 3 à 4 dames en travail en même temps, en cas d'urgence on pousse à 5 mères en simultané", explique-t-elle. Dans l'idéal, "il faudrait que l'on soit une sage-femme pour deux femmes en travail, avec tout au plus une consultation en sus", précise-t-elle. Elle explique le fonctionnement de son service : "quand une mère arrive avec des contractions, on la met dans une salle avec un monitoring qui permet d'écouter le cœur du bébé" avant de passer à une autre femme en travail. Pour s'assurer que tout aille bien au niveau du rythme cardiaque, il faudrait pouvoir suivre le monitoring en continu, mais les écrans ne sont pas retransmis en dehors des chambres, faute de moyens pour en acheter davantage. Alors, elle tourne le plus régulièrement possible pour aller voir chaque patiente. "Mais lorsque le rythme cardiaque diminue, on n'a que 10 minutes avant que cela soit vraiment dangereux pour la vie du bébé. Il nous faudrait donc aller les voir toutes les 5 minutes. Dans les faits, ce n'est pas possible", illustre-t-elle. Des césariennes d'urgence découlent de cette organisation qui peine, elle se souvient, d'accouchements aux fins tragiques qui auraient pu être évitées. "C'est catastrophique. Quand un couple arrive à l'hôpital pour mettre au monde son bébé, il s'attend à être pris en charge de manière totalement sécurisée, et ce n'est pas le cas. Je n'ai pas choisi ce métier pour ça". 

Des gardes de 12 heures sans pouvoir aller aux toilettes

De fait, la boucle est infernale, les heures défilent sans que ce ne soit jamais assez. Quand il est l'heure de partir ? "Je reste, je dois finir le travail, transmettre les dossiers". Et lorsqu'elle n'est pas de garde ? "On m'appelle parfois en me suppliant de revenir travailler, alors que j'ai explosé mon quota d'heures, car je suis la seule option. J'y vais, je n'ai pas le choix, je ne peux pas les abandonner", confie-t-elle. Pour aider à comprendre la rapidité d'une journée, elle donne un exemple : "il est très rare que sur une garde de 12 heures j'ai le temps d'aller aux toilettes". 

Malgré un travail acharné, la sage-femme a peur de "négliger" les femmes. "En travaillant autant, comment puis-je être toujours à mon seuil de vigilance ?" interroge-t-elle. Elle déplore une incapacité à s'adapter aux demandes des femmes, qu'il s'agisse du projet de naissance difficile à tenir tant le temps manque, ou simplement de l'administration de la péridurale. "Il est déjà arrivé qu'une femme souhaite accoucher sous péridurale et qu'on n'ait pas le temps de s'en occuper. Une femme qui veut accoucher de façon physiologique, je l'entends crier dans la salle d'à côté pendant le travail, mais je ne peux pas m'en occuper et l'accompagner dignement, il y a toujours une urgence à gérer. Ce sont des violences, toutes les femmes devraient pouvoir accoucher comme elles le souhaitent et être aidées".

"Aurais-je pu mieux faire ? N'ai-je rien oublié ?"

Mais les effectifs sont loin d'être suffisants, les moyens financiers manquent pour avoir un matériel médical efficace, et si la sage-femme rogne sur son temps personnel pour son métier, elle raconte aussi la charge mentale qui lui est associée. Avant une journée de travail, la nuit est dure, "la boule au ventre" se fait sentir. Après, Elsa raconte ses doutes : "je rentre chez moi et je me refais le fil de la journée. N'ai-je rien oublié ? Aurais-je pu mieux faire ? Je pense à ces femmes que j'ai laissées trop longtemps seules, je suis déçue de moi-même, je sais que ça ne suffit pas". 

Les sages-femmes tirent souvent l'alarme sur leurs conditions de travail et sur le danger que cela implique pour les mères et enfants. "On nous promet des choses qui ne viennent jamais, des revalorisations salariales qui n'aboutissent pas, plus d'effectifs... Mais tout cela ne vient pas, parce qu'on se dit qu'on n'abandonnera jamais, qu'on a bien trop de conscience. Or tout ceci est essentiel pour pouvoir fournir un accompagnement de qualité, pour garantir la sécurité." Elsa raconte aussi sa passion pour ce métier, l'engagement des sages-femmes pour les futurs parents et les bébés. "Je veux garder espoir que la situation change. Je ne veux pas laisser ces femmes encore plus seules qu'elles ne le sont déjà dans ce moment-là", termine Elsa.