Bébés nés sans bras : résumé de l'affaire, quelle cause ?

L'affaire des bébés sans bras a été rendue publique en automne 2018. Elle fait référence à la quinzaine de bébés nés sans mains, avant-bras ou bras dans l'Ain et le Morbihan entre 2009 et 2014. Parmi les causes avancées : la présence de pesticides dans l'eau potable. Retour sur ce scandale.

Bébés nés sans bras : résumé de l'affaire, quelle cause ?
© kadmy - 123RF

Entre 2009 et 2014, plusieurs bébés sont nés sans mains, avant-bras ou bras dans une petite zone du Morbihan (Guidel) et dans l'Ain. Le terme médical est l'agénésie transverse des membres supérieurs (ou ATMS). Normalement, cette malformation congénitale est très rare en France (moins de 150 cas par an). L'alerte est donnée par Emmanuelle Amar, l'épidémiologiste du REMERA, le Registre des malformations en Rhône Alpes, mais il faut attendre l'automne 2018 pour que cette affaire des bébés sans bras soit connue du grand public. Que sait-on de ces maladies congénitales ? Quelles sont les causes possibles ? Des pesticides dans l'eau ?

Dates et chronologie de l'affaire des bébés nés sans bras

En 2010 : le Dr Laurin, un médecin généraliste de pont d'Ain (un village de 2 800 situé dans le département de l'Ain), signale, parmi ses patients, 3 cas d'enfants nés avec une agénésie transverse des membres supérieurs entre 2009 et 2010. Le généraliste fait état de ces signalements à Emmanuelle Amar, épidémiologiste et directrice du Registre des malformations en Rhône-Alpes (REMERA).

Entre 2012 et 2014 : les révélations du Dr Laurin entraînent dans la foulée l'identification d'autres agrégats d'agénésie transverse du membre supérieur dans l'Ouest de la France. Le REMERA fait état de 4 autres nourrissons nés avec une agénésie transverse des membres supérieurs, à Guidel, une commune du Morbihan (Bretagne).

En 2016 : le REMERA fait état cette fois de 7 nourrissons nés dans une zone rurale d'un rayon de 17 km dans l'Ain, entre 2009 et 2014 (par la suite, la naissance d'un 8e enfant est signalée à Villars-les-Dombes dans l'Ain). Le Registre réalise ainsi un rapport qui révèle un taux d'agénésie transverse des membres supérieurs nettement supérieur à la normale, dans un petit périmètre. Une fréquence 58 fois plus élevée que la normale, selon le rapport du REMERA. Estimant que ces cas ne sont "probablement pas dus au hasard", le Registre interpelle Santé publique France afin qu'elle réalise une enquête pour déterminer l'origine de ces malformations. Dans ce registre, une hypothèse est avancée : celle d'une exposition des mères à des pesticides ou à d'autres produits sanitaires pendant leur grossesse.

Le 4 octobre 2018 : les premiers signalements de bébés atteints de malformations des membres supérieurs sont rendus publics dans un communiqué de Santé Publique France (le rapport du REMERA était resté jusqu'à la confidentiel). Pour l'autorité sanitaire, ce cluster ne constitue pas un excès de cas par rapport à la moyenne nationale et aucune exposition commune n'est identifiée à la survenue de ces malformations. 

Le 9 août 2019 : L'origine de ces malformations reste toujours inexpliquée et inquiète les familles concernées. L'une des familles des victimes de l'Ain décide de porter plainte contre X pour "mise en danger de la vie d'autrui". Cette plainte, déposée au parquet de Marseille, est la première du dossier et intervient après la conclusion "d'une absence d'excès de cas" dans l'Ain et l'exclusion de toute investigation supplémentaire dans ce département. Elle a pour but d'obliger la justice à revoir leurs conclusions sur les malformations dans l'Ain et à mener de nouvelles recherches. 

En février 2019 : un comité de scientifiques est mis en place afin "de mieux signaler les cas suspects et se renseigner auprès des antennes nationales de surveillance". D'une part, ces chercheurs enquêtent sur les naissances groupées de bébés sans bras dans les départements concernés et essayent d'en trouver la cause. D'autre part, ils passent au crible, depuis maintenant 6 mois, toute la littérature scientifique existante, qu'elle soit française ou internationale. 

► Le 11 juillet 2029 : le comité de scientifiques présente leur rapport final à l'Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) et préconise de mener des investigations complémentaires dans le Morbihan, mais pas dans l'Ain en raison de "l'absence d'excès de cas". En effet, plusieurs cas pourtant signalés dans l'Ain n'ont pas été pris en compte par le Remera aux dates concernées, selon Emmanuelle Amar. Les familles restent insatisfaites des dernières réponses officielles. 

Le 16 mars 2023 : la journaliste et documentariste Mélanie Déchalotte (notamment pour Charlie Hebdo, France Culture) et le reporter-dessinateur Patrick Juin (Charlie Hebdo depuis 2015) sortent une bande-dessinée sur l'affaire des bébés sans bras "Bébés sans bras : un déni sanitaire" (Edition Les Echappés) et creusent les pistes envisagées par les différents spécialistes : la contamination de l'eau ainsi que la diffusion de pesticides. 

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Un Silence Toxique, livre d'Emmanuelle Amar © Seuil Editions

Qui est le lanceur d'alerte de l'affaire des bébés sans bras ?

L'alerte a été donnée par Emmanuelle Amar, l'épidémiologiste du REMERA, l'organisme chargé de surveiller les malformations en Rhône Alpes. C'est elle qui a révélé l'affaire des bébés sans bras à la presse. En 2019, elle raconte l'affaire et les heurts qu'elle a rencontré dans son livre "Un silence toxique" aux Editions du Seuil. 

Combien de cas de bébés nés sans bras ?

Plusieurs bébés sont nés avec une agénésie transverse des membres supérieurs (ATMS) en France :

► 8 cas confirmés dans l'Ain : Le Remera (le Registre des Malformations en Rhône-Alpes) a identifié 8 cas d'enfants nés sans bras ou mains dans l'Ain entre 2009 et 2014. Santé publique France a identifié 7 cas suspects de bébés atteints de malformations congénitales nés entre 2000 et 2008 et 3 cas suspects de nourrissons nés entre 2009 et 2014 dans l'Ain.

4 cas en Bretagne (Morbihan (Guidel)) entre 2011 et 2013 

► 3 cas en Loire-Atlantique (Mouzeil)  entre 2007 et 2008 (non retenus dans les rapports)

Quelle est la cause des bébés nés sans bras ?

A date, les autorités sanitaires n'ont confirmé aucune piste concernant l'origine possible de ces malformations congénitales. La lanceuse d'alerte Emmanuelle Amar avait pourtant constitué un groupe de travail afin de percer ce mystère. Après avoir mené des entretiens avec les familles, ces experts se sont tournés vers des causes environnementales, plus précisément vers l'eau. Ils ont en fait constaté que dans les villes concernées, "un captage de l'eau en amont, dans des zones potentiellement polluées, et une situation géographique en bout de réseau, pourrait expliquer pourquoi elles seraient les seules touchées" explique-t-elle sur France Inter. En cause dans cette pollution : un pesticide ou le mésusage d'un produit dans le cadre du nettoyage ou de la réparation du réseau d'alimentation en eau. Cela reste une hypothèse qui n'a, à date, jamais été confirmée. 

C'est quoi une agénésie transverse des membres supérieurs ?

L'agénésie transverse des membres supérieurs se caractérise par l'absence de formation d'un membre au cours du développement embryonnaire. Elle concerne un ou plusieurs membres supérieurs comme les mains, les avant-bras ou les bras. Il s'agit d'une malformation relativement rare : ces malformations ont une incidence en France de 1,7 cas pour 10 000 naissances, soit environ 150 cas par an, indique Santé publique France. Les causes possibles des agénésies sont nombreuses (génétique, mécanique, médicamenteuse...) et dans la plupart des cas, il est très difficile de déterminer l'origine précise d'une agénésie. Les professionnels de santé doivent signaler tout cas d'agénésie transverse. "Gynécologues, pédiatres, échographistes… Tous doivent signaler les cas suspects d'agénésie des membres supérieurs, dans l'objectif de recensement et de qualité des données. On a surtout besoin de la participation des citoyens et des familles", indique la Direction générale de la Santé (DGS). En cas de suspicion, les familles peuvent contacter directement Santé Publique France sur leur site Internet ou par voie postale.  

Sources :

- Santé Publique France : surveillance des anomalies congénitales

- Lettre ouverte à la ministre de la Santé : agrégats de malformations sur 3 territoires 

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