De la bonne utilisation du test comme grille de lecture pour les enfants doués

Un enfant doué doit impérativement être reconnu comme tel. Le test reste le seul moyen crédible, même s’il est contesté, critiqué, relativisé dans le meilleur des cas et vilipendé ailleurs.

La plupart des idées circulant à propos des enfants doués sont faussées d’une façon ou d’une autre. Les émissions qui s’appliquent sincèrement à donner une image plus nuancée de ces enfants ne rendent compte que d’aspects parcellaires : ces enfants sont saisis à un moment donné, leurs parents en parlent de la façon qui leur est habituelle puisque c’est un sujet familier qu’ils vivent au quotidien et qu'on trahit forcément en l'évoquant succinctement, mais une approche globale qu’on pourrait transmettre est peut-être pratiquement impossible à effectuer.  Ceux qui connaissent le sujet estiment que ces notions ainsi répandues restent trop superficielles et peu fiables, ceux qui l'ignorent s'effrayent de ces portraits trop schématiques.

L'image de l'enfant doué reste chargée de multiples fantasmes qui interdisent sa reconnaissance et surtout la façon de le guider au mieux.

Il est bien plus confortable de penser que tous les enfants du même âge se ressemblent, leurs petites différences tiennent à leur caractère, quelques manifestations d'une dextérité inattendue seraient dues au hasard, puisque, par ailleurs, un enfant, talentueux à l'occasion, présente des lacunes, des maladresses, des distractions : il est bien comme les autres, à quelques détails près dont il serait inutile, et même absurde, de tenir compte.

Les enfants doués sont tout en nuances, en complet contraste avec leurs côtés excessifs, toujours surprenants, même quand on y est habitué. Ainsi, on peut être déconcerté quand un enfant, qui fait si souvent preuve d’une sagesse admirable dans ses jugements, semble sombrer dans un abattement profond ou éprouver une inquiétude aiguë pour une peccadille, mais il avait pensé qu’elle annonçait des drames que les autres ne percevaient pas encore.

Les multiples facettes de leur personnalité échappent à toute définition exhaustive ; en revanche, si on isole un seul aspect de leur comportement, on a vite fait de s’en étonner, voire de s’en alarmer.  Ensuite parents et enfants sont lancés sur de fausses pistes, encore plus inquiétantes que les faits qui avaient alerté leur entourage.

La situation la plus banale, celle à laquelle peu d’enfants doués échappent au cours de leur scolarité, à moins d’avoir une âme de leader et un charisme d’enfer, est mentionnée comme une difficulté de relations avec les autres enfants. On le dit « asocial »  et certains aspects de son comportement, surtout dans la cour de récréation, seraient de l’ordre du spectre autistique.  En réalité, on voit un enfant charmant, pétri d’humour, d’une intense curiosité intellectuelle. Toutes les occasions sont bonnes pour qu’il l’alimente, si bien que l’étendue de ses connaissances est déjà surprenante tant il a vite et bien assimilé les bribes de savoir saisies au vol dès que l’occasion s’en est présentée. En résulte un décalage qui rend plus délicat l'échange avec les enfants de son âge.

Un tel enfant n’inquiéterait pas ses parents : ils apprécient sa compagnie, ils sont heureux de lui fournir des occasions d’enrichissement, multiples pour un enfant si curieux de tout et souvent passionné par certains domaines de prédilection.  Il sera au comble du bonheur en voyant des poissons, des animaux rares, des plantes exotiques, des voitures anciennes, des avions, des  chars de guerre ou n’importe quel domaine qu’il est possible d’explorer, qui a inspiré une littérature spécialisée et parfois même des groupes de passionnés.

En revanche, des parents étrangers à tous ces domaines, qui doivent consacrer leurs forces à lutter pour trouver leur place ou encore qui n’ont pas pu faire d’études risquent de se fier totalement au diagnostic des « spécialistes » et de s’égarer parmi toutes les interventions tentées sur un enfant jugé simplement trop différent. Dans de tels cas, le test, passé au milieu d’autres examens, ne sera pas considéré comme offrant une piste valable : il représentera une donnée parmi d’autres, permettant simplement de dire "il est intelligent, le problème n’est pas là".

Une compréhension de la nature profonde d'un enfant doué n'est pas automatique. Au contraire, un résultat significatif au test écarte seulement l'hypothèse d'un trouble cognitif, on n'imagine pas qu'il puisse modeler une personnalité,  orienter ses réactions, ses émotions et surtout sa façon de concevoir le monde.

Puisqu'il est plus doué que la moyenne, il sera capable d’entraîner les autres élèves en donnant l'exemple par son comportement zélé et assidu et on est ensuite surpris de constater qu'il aurait plutôt tendance à se conformer à une moyenne sans grand éclat.  Il s'y était bien essayé, dans son tout jeune âge, quand il était encore naïf et peu aguerri, pensant que tous les enfants étaient comme lui.  Il avait alors voulu leur faire partager son tout nouveau savoir, déjà un peu scientifique, mais les autres avaient ri et s’étaient moqué de ces idées bizarres à propos de domaines encore étrangers pour eux : les planètes et leurs scintillants mystères, le corps humain et ses merveilles  mécaniques leur semblaient faire partie d'un univers  abstrait, accessible aux grandes personnes et donc dénué d'intérêt pour les enfants. Ils auront bien le temps de l'aborder quand ces notions seront au programme de leurs études.

On s'attend également de la part d'un enfant doué que ses qualités lui permettent de s'adapter aux autres, il est suffisamment intelligent pour savoir comment éviter de les choquer et pour partager leurs intérêts sans chercher à les écraser de son savoir... En fait l'enfant doué ne sait pas que ces sujets qui le passionnent n'attirent pas les autres, il a voulu les aider, leur faire partager ses découvertes, il n'a pas compris les moqueries il n'a pas de mode d’emploi de la vie dans une société où il doit s'intégrer.  Il a beau se forcer à la prudence, il se trahit étourdiment par un éclat surprenant qui  a échappé à son contrôle.

On se plaît à rêver d'un monde où les enfants doués seraient vite identifiés, leurs caractéristiques  reconnues, appréciées et surtout prises en compte dans leur scolarité. Dans cet univers magique, ils pourraient évoluer avec bonheur,  satisfaire  leur curiosité d'esprit et  découvrir des savoirs qui ne leur seront plus interdits, révéler leur attirance pour des domaines spécifiques,  exprimer  leur jaillissante créativité nourrie d'une sensibilité qui ne sera plus ridicule.

On lit Platon, Montaigne, Rabelais, et on savoure la lumière que ces esprits déliés dispensent dans un monde qui saurait les accueillir.

La société toute entière progresse, et reçoit en cadeau les fruits bénéfiques dispensés par  les personnes douées avec la générosité qui leur est propre. 

Conseils : bien se garder de croire que toutes les difficultés seront aplanies, y  compris celles qui lui sont propres et demandent une attention particulière, si l'enfant est reconnu doué. Éviter la panique à l'annonce du résultat, mais ne pas s'imaginer que tous les problèmes seront résolus de ce fait : l'enfant doué reste un mystère pour le plus grand nombre.