Avoir un enfant : c'est tout un déménagement psychique !

Il m'a parut essentiel d'évoquer le bouleversement que provoque une naissance. Que peut-il se passer dans l'esprit d'une jeune maman ? Est-ce normal de ressentir tout un flot d'émotions tout aussi contradictoires les unes que les autres ?

"Alors ça y est tu es là. Mon enfant, mon tout petit. Mon bébé. Celui que j'ai porté durant ces fameux 9 mois.

Bienvenue.

Tout le monde vient, accourt, et se précipite autour de toi.

Au-dessus de ton berceau.

Parfois, j'ai envie que l'on te laisse tranquille, que l'on te laisse à moi. Pour que je te découvre, que je t'apprenne.

Mon bébé.

Car, là tout de suite maintenant, je ne sais pas comment m'y prendre avec toi. Je n'ai pas lu de manuels où j'aurais pu apprendre. Pourquoi n'y a t-il pas des cours de préparation au "devenir-maman" d'ailleurs ? On nous prépare bien à l'accouchement. On pourrait nous expliquer comment devenir une bonne mère ?

Ah... Cela ne s'apprend pas. Cela ne s'explique pas trop non plus d'ailleurs.
Je deviens mère à mon tour. Je ne suis donc plus seulement la fille de mes parents. Je les ai donc faits devenir grands-parents eux alors ? On change tous de place alors. On se transforme un peu. On est différent. Et celui avec qui je t'ai conçu devient Père. 
C'est ton papa. Je t'en ai d'ailleurs souvent parlé tu sais, tu as du entendre le son d'une voix plus grave que la mienne lorsque tu étais dans mon ventre.

Pourquoi tu pleures ? 
Oh, cela me fait tellement de peine de t'entendre comme ça. Attends, je vais essayer de te prendre d'une autre manière. 

Oh non tu pleures encore plus, attends calme-toi, ça va aller, je vais trouver ce qui va te faire du bien. Là, voilà. Calme toi. Je suis là. Je suis ta maman.

Je n'aime pas toujours que l'entourage te prenne dans les bras, car j'ai comme la sensation qu'il n'y a que moi pour t'apaiser, te comprendre, te nourrir et te bercer.

TOC, TOC, TOC.

Encore quelqu'un de la famille qui vient pour toi. Pour te rencontrer. Parfois j'aimerais bien aussi que l'on me demande si je vais bien moi aussi.

Oh et puis, j'ai pas le droit de penser ça après tout, je suis une mère maintenant donc la priorité c'est mon bébé, c'est toi !

Parfois j'ai envie de pleurer, et je sais pas trop pourquoi d'ailleurs.

Je me sens épuisée. 

Et j'ai mal aussi. Mais bon, c'est normal après tout. Et puis je t'ai voulu du plus profond de moi-même donc je dois tout assumer. Mais il n'empêche que cela me fait peur. Drôlement peur. Et si je n'y arrivais pas ? Et si je n'étais pas une assez bonne mère pour toi ?

Oh et puis j'ai pas envie de parler encore. 
Je me sens fatiguée et j'ai encore une nuit entière auprès de toi. A veiller. A te regarder dormir. Vérifier que tu ailles bien. Que tout se passe bien, car tout ça c'est nouveau pour moi, pour toi; pour nous.
"Tu verras tu seras tellement fatiguée que tu dormiras comme un bébé à la maternité, et d'ailleurs repose toi là-bas car après tu verras c'est la course contre la montre, tu n'auras plus de vie !"

Hein ? Quoi ? Mais je ne peux pas dormir même si je suis exténuée et vidée par l'accouchement. J'ai trop de questionnements, d'idées et d'images... J'ai donné naissance à un bébé. Et mon bébé il a besoin de moi. Je dois veiller sur lui.

Et voilà, je pleure encore.

Pourtant je suis heureuse ? 

J'ai ce bébé que j'ai tant espéré, désiré et voulu.

Mais, je pleure. Je ne suis pas triste pourtant. Je dois être heureuse car avoir un enfant c'est normal non ? Tout le monde a su avant donc pourquoi moi je n'y arriverai pas ?

Je ne suis pas triste. Non.Je ne suis pas triste. Non. Enfin...Un peu en fait. Je me sens vide. Mon gros ventre a disparu. J'aimais beaucoup te ressentir et te sentir bouger en moi. C'était super ! J'étais impatiente de te voir, mais maintenant que tu es là dans mes bras tu me manques. Mais de l'intérieur. C'est bizarre. Je ne dois pas être normale.En fait, j'ai peur et je suis un peu triste.

C'est ça qu'on appelle le baby-blues alors ?"
 

C'est au travers de ce petit récit que j'ai voulu rassembler certaines des angoisses que les toutes nouvelles mamans peuvent ressentir durant cette fameuse période des suites de couches. 

J'ai souhaité insister sur la confusion qui règne souvent dans le discours. Les idées et les questionnements toujours aussi singuliers se mêlent dans l'esprit des mamans; sans ordre, mais parfois avec violence.
C'est une parenthèse qui me semble tout particulièrement fragilisante pour la jeune mère. Certes, l'envahissement hormonal se veut massif et perturbe souvent les femmes. Mais il n'est pas uniquement question d'hormones.

Avoir un enfant est ce que je qualifie de "déménagement psychique". C'est un bouleversement corporel, psychique et identitaire. Naturel certes, mais bouleversant. La naissance est à la fois tout à fait banale (environ 139 millions de naissance en 2014) et si extra-ordinaire pour ceux qui la vivent. Cet événement mêle tout un panel d’émotions propre à chacun. Selon les propres histoires et les personnalités de chacun nous ne vivrons pas une naissance de la même manière qu'une autre personne. Cela n'est pas comparable. J'aime insister sur la notion de comparaison car elle est trop importante dans notre société alors que cette dernière peut s'avérer toxique pour les mamans. Dans notre pratique, il me paraît majeur que les professionnels de la périnatalité, nous mettions en exergue la singularité de chaque sujet. Avoir un enfant n'est pas simple. Ce n'est pas inscrit dans les gènes non plus, même si certains comportements s'imposent de manière totalement innée voire instinctive chez les nouveaux parents. Les émotions, les questionnements ainsi que les angoisses, sont naturels et tout à fait normal chez les femmes et les hommes (car je me suis centrée ici sur les mères, mais les hommes peuvent ressentir tout un tas de difficultés non négligeables). C'est avant tout un apprentissage. Une mutation. Une découverte. Une découverte de l'autre et de soi. De celui qui devient alors Père et de celle qui a alors donné la vie et devient mère. C'est devenir profondément différent tout en restant la même personne.