Idées fausses sur les enfants doués

Pour comprendre un enfant, les adultes utilisent volontiers des grilles toutes faites où se mêlent les lectures, les paroles rapportées d’un spécialiste, pédagogues, médecins ou psychologues et leurs propres souvenirs d’enfance avec tous les glissements qui les ont peu à peu transformés. Arielle Adda fait le point sur ces grilles fausses appliquées aux enfants doués.

Les plus crédibles sont bien les pédagogues : ils voient des enfants toute la journée, ils ont fait des études à leur propos et ils acquièrent chaque jour un peu plus d’expérience. Ils ont aussi une certaine méfiance vis-à-vis des parents, aveuglés  par l’amour et rêvant de voir un jour leur enfant sacré polytechnicien. Leur parole est presque systématiquement mise en doute avec d’autant plus de bonne foi que les parents eux-mêmes disent ensuite "j’avais l’impression qu’on ne parlait pas du même enfant". Vif et curieux à la maison, il apparaît un peu sauvage, timide et tellement rêveur en classe.

 La notion d’enfant doué ne cesse de susciter des réactions éminemment passionnelles,  mais elles sont déguisées en données étayées par une raison scientifique ou autre.

Exemple de ce malentendu : un enfant s’ennuie en Maternelle, il a vite compris qu’il ne peut pas en attendre la révélation du savoir qu’il attend avec tant d’impatience. Comme il possède un heureux caractère, il cherche l’aspect positif de cette situation, afin de ne pas s’irriter d’une  perpétuelle frustration et il joue avec entrain ; il peut même se poser un peu en chef grâce à ses qualités d’initiative et d’organisation.

En réagissant de la sorte, il fait preuve de remarquables capacités d’adaptation : il a su déceler le côté plus agréable d’une situation globalement ennuyeuse : interprétation : "Vous voyez bien qu’il n’est pas mûr, il ne pense qu’à jouer !". Alors qu’il sait tirer le meilleur parti d’un état qu’il ressent comme affligeant.

Autre exemple : des enfants à l’esprit trop véloce par rapport à une norme  ne tardent pas à s’aligner sur l’ensemble de la classe, dans un état de désintérêt à peine éclairé par quelques lueurs fugitives quand une nouvelle donnée est évoquée, mais elle est ensuite tellement ressassée qu’elle en perd toute saveur.

Dans ce contexte brumeux, l’enfant doué travaille un peu pour donner le change et ne pas  attirer, sur lui et sur ses parents, des ennuis qui peuvent devenir graves (redoublement, orientation, suivi dans un centre où on tentera de le comprendre et de le rendre semblable aux autres. "On ne le remarque pas dans la classe". Cet enfant, qui se débat pour ne pas se sentir trop en deuil de ses rêves de connaissance vaste et riche, donne un exemple admirable de conformisme : il devrait recevoir le premier prix de conformisme.  Si ce prix existait il serait chaque fois remporté par un enfant doué qui donne de temps à autre un petit coup de pagaie pour ne pas sombrer et aggraver alors son cas.

Dans un congrès virtuel  organisé par l’AFEP sur la précocité, l'orthophoniste Isabelle Gamblin explique que l’enseignement de la lecture à 6 ans est trop tardif et trop ralenti. L’enfant doué apprend à utiliser très vite l’interprétation des mots qu’il anticipe sans se donner la peine de les déchiffrer syllabe par syllabe, il ne va pas acquérir la lecture rapide et efficace, il aura du mal à l’écrit, sa scolarité sera plus difficile.

Un enfant doué peut apprendre très tôt à lire tout en comprenant parfaitement la signification du texte, il sera alors un lecteur passionné, sachant tirer le meilleur profit de tout l’enseignement que prodigue la lecture.

On dit pourtant "laissez le jouer, ne lui volez pas son enfance" comme si l’apprentissage de la lecture et du calcul constituait un pensum à peine supportable alors qu’il ouvre la voie à tous les bonheurs de l’exercice intellectuel bien mené et bien maîtrisé.

Pourtant, cette  application dans la banalisation comporte tout de même d’infimes failles, de minuscules indices, provoquant parfois l’ombre d’un soupçon : et si cet enfant si neutre en apparence n’était pas ce qu’il semble être ? Quelques remarques, quelques attitudes, des commentaires surprenants énoncés lorsqu’on les lui demande,  et qu’il s’y sent donc autorisé, et même une lueur dans son regard, suscitent des interrogations, trop vagues pour  revêtir une véritable signification,  mais elles laissent planer une idée dérangeante. Il faut parfois beaucoup de perspicacité pour déceler les dons intellectuels d’un enfant trop discret : c’est un bon élève, il n’attire pas l’attention. Sa maîtresse est très surprise lorsque les parents lui disent qu’il a passé un test et que le psychologue a suggéré un saut de classe, qui serait même indispensable pour que  cet enfant commence à acquérir un peu le sens de l’effort. Cette préconisation  reflèterait une ambition démesurée chez des parents peu réalistes, leur enfant est très bien dans sa classe, il s’y plaît même particulièrement, bien qu’il n’y a pas beaucoup d’amis, son caractère sans doute…

Il arrive alors que l’enfant doué, pourtant si discret, attire sur lui une attention dont il se serait bien passé et il déclenche l’agressivité  d’un autre élève, réellement perturbé lui, ou bien d’un enseignant qui se sent dérouté, sans très bien savoir pourquoi.

Il ne s’agit pas d’une généralité, certains enseignants sont heureux d’avoir dans leur classe un enfant dont la finesse les ravit sans cesse, mais ces enseignants savent aussi rendre leurs cours passionnants et l’enfant doué passera une année enchantée dont il gardera longtemps le souvenir joyeux.

Sa curiosité bien nourrie, l’enfant doué se révèle un élève magnifique, mais il a besoin qu’on lui reconnaisse ses qualités propres. Le guider et l’accompagner sur le chemin de la connaissance devient un bonheur pour tous les protagonistes. Il deviendra un adulte heureux d’utiliser ses dons avec la générosité qui le caractérise.