La génération "MOI JE"

L’obligation de réussir pèse sur les enfants. La société attend beaucoup d’eux et les met tout comme leur parents sous une pression énorme.

Il est devenu tout à fait normal que des bébés soient formés dès la naissance pour devenir des individus qui réussissent ce qu’on leur impose. Des cours à l’université pour fœtus, des cours d’anglais pour bébés ou des DVD pour apprendre plus vite à parler — le planning d’un bébé est aussi surchargé que celui d’un PDG. Les parents actuels sont très ambitieux… Peut-être trop ? Rarement c’est l’enfant qui choisit ses loisirs. Le choix se fait en vue de son avenir brillant et ce sont ses parents qui s’en chargent. Pourquoi ne pas laisser le temps à son enfant pour qu’il puisse se découvrir lui-même ? Pourquoi ne pas observer son petit enfant et de se dire, «Tiens, il prend souvent les crayons. Peut-être est-il doué pour le dessin ?» ou «Regarde, il adore jouer avec le tambour. Peut-être aimerait-il faire de la musique ?»

Dans la culture occidentale, seulement le plus fort réussit. Aussi, on souhaite que son enfant avance plus vite que les autres. Très vite alors, l’autre devient un concurrent. «Ah, le vôtre ne marche pas encore ?! Le nôtre le fait depuis deux mois !» — Dominique, 29 ans, mère d’un petit garçon de 9 mois est rentrée dernièrement d’un goûter chez des amies en disant sur un ton inquiet à son mari : «Tu sais, je crois que quelque chose ne va pas avec notre enfant. Tout ce que les autres enfants savent déjà faire !» Oui, la concurrence entre parents est devenue rude et «être dans la moyenne» est presque devenu une insulte pour beaucoup de parents qui espèrent avoir donné naissance au prochain Einstein ou Mozart.

L’enfant n’a plus le temps d’être juste un enfant qui aime jouer. Il est devenu un projet parental ! Et «jouer» n’est pas au programme. Sauf peut-être sur le PC ou la tablette. Une étude AVG révèle que les enfants maîtrisent même la technologie avant les gestes du quotidien :

  • 19% des 2-5 ans jouent avec une application de Smartphone alors qu’ils ne sont que 9% à nouer leurs lacets. Presque autant des 2-3 ans (17 %) que des 4-5 ans (21%) savent jouer avec une application.
  • Il est plus facile pour des enfants en bas âge de jouer à un jeu vidéo que de faire du vélo. 58% des enfants de 2 à 5 ans savent utiliser un jeu d’arcade. Ce taux grimpe à 70% au Royaume-Uni et en France. 44% des enfants de 2 à 3 ans sont capables de jouer sur un ordinateur. En comparaison, 43% des 2-3 ans savent faire du vélo.
  • Les enfants européens entre 2 et 5 ans maîtrisent mieux l’utilisation d’un téléphone portable que leurs homologues américains (44% en Italie contre 25% aux Etats-Unis). Même chose pour les jeux d’ordinateur (70% au Royaume-Uni contre 61% aux Etats-Unis) ou l’utilisation d’une souris (78% en France et 67% aux Etats-Unis).

Avant même d'apprendre à nager ou à lacer leurs chaussures, les petits savent donc utiliser une souris et jouer à des jeux sur ordinateur. Rien d’étonnant sachant que les bébés font leur entrée sur Internet même avant la naissance :

  • 13% des enfants français entament leur vie numérique avec la mise en ligne des échographies prénatales
  • 26% des enfants français se trouvent sur la toile dans les quelques semaines suivant la naissance, grâce à la mise en ligne de photos et d’informations.
  • 74% des enfants français de moins de deux ans ont déjà une sorte de profil ou d’empreinte numérique avec leurs photos mises en ligne
  • 7% des bébés français ont déjà une adresse Email personnelle et 2% ont un profil sur un réseau social

Vous trouvez cela inquiétant ? En Inde, on dit déjà que le portable est comme le sixième doigt pour un enfant. Mais si l’enfant passe plus de temps à jouer avec le PC ou les jeux vidéo — qu’en est-il avec ses compétences sociales ?

Une étude élaborée à l’Université du Michigan, qui évalue des recherches faites durant les 30 dernières années, a montré que la capacité d’empathie des étudiants américains des collèges actuels diminue nettement. «C’est depuis l’an 2000 que nous avons constaté le plus grand recul d’empathie», dit Sarah Konrath, chercheuse à l’Institut pour la recherche sociale de l’université du Michigan, dans une déclaration de presse. «Les tests standards pour mesurer ces caractéristiques de la personnalité ont montré que les étudiants des collèges sont de 40% moins empathiques que leurs collègues d’il y a 20 ou 30 ans.» Ils sont moins sensibles et soucieux envers ceux qui se portent plus mal. Élevons-nous actuellement une des générations les plus égoïstes, narcissiques, concurrentielles, les plus convaincues d’elles-mêmes, et les plus individualistes qu’il y ait jamais eu ?

L’augmentation de la consommation médiatique ces derniers 30 ans pourrait en être un facteur. Internet, jeux vidéo, facebook — au lieu de privilégier le développement des compétences sociales dans les premières années de la vie chez leur enfant, beaucoup de parents misent sur une meilleure connaissance des outils multimédias. Les petits passent alors plus de temps dans un monde virtuel qu’en jouant dehors dans le bac à sable — le lieu idéal pour tester ses compétences sociales.

On parle beaucoup d’intégration, mais comment demander aux jeunes de s’intégrer, si on ne leur apprend pas à vivre en communauté avec l’autre ? Comment peut-on demander aux jeunes de travailler en équipe, si l’autre n’est qu’un concurrent potentiel ? Et comment pouvons-nous continuer en tant que société si nous ne pensons qu’à nous-mêmes ?

Sources :

http://www.avg.com/fr-fr/actualites-articles-de-presse.ndi-284095

http://www.avg.com/fr-fr/actualites-articles-de-presse.ndi-672

http://www.sciencedaily.com/releases/2010/05/100528081434.htm

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