Suicide des ados : pourquoi se donnent-ils la mort ?

Le suicide de ce jeune adolescent à Bourg-Saint-Maurice le 16 février, interpelle : comment est-il possible de se donner la mort si jeune ? Explications.

Le suicide est déjà une réalité insupportable quand il touche les adultes ou des adolescents déprimés, qu’il nous parait impossible pour les plus jeunes. Mais le suicide touche aussi les préadolescents, les enfants, les petits. C’est une réalité que nous prenons en charge de plus en plus souvent dans le cadre des Samu. L’idée de se donner la mort n’a pas le même sens selon l’âge, le sexe, la culture et les conditions sociales. Nadia qui, à 5 ans, a essayé de se pendre, voulait retrouver «papi» et son  «chien», morts dans les mois précédents. Mais en faisant cela, elle n’avait pas notion que si elle mourait elle ne reverrait plus ses parents et son grand frère : «je vais mourir et après je reviens à la maison». La notion de permanence de la mort n’est pas encore acquise à cet âge-là sauf chez des enfants qui ont déjà été endeuillés. Les enfants comprennent progressivement que se donner la mort est un acte définitif, mais bien souvent ils veulent davantage «ne plus vivre» pour «ne plus souffrir», comme Kévin, 12 ans, retrouvé pendu dans les toilettes de l’école et sauvé in extremis. Le sens de leur geste n’est pas le même que chez des enfants plus jeunes. Ces jeunes enfants et ces préadolescents qui tentent de se tuer ou qui y parviennent, traversent au moment de leur acte, une période de désespoir intense avec un sentiment d’être seuls au monde, sans aucune personne pour les comprendre. Ils savent que leur geste est radical et définitif, mais ils passent à l’acte car ils ne trouvent pas les ressources affectives pour les soutenir. Certains agissent de façon très impulsive (en se jetant sous le métro ou d’un pont), d’autres ont davantage réfléchi et élaboré un mode de passage à l’acte. Pour les proches, le suicide d’un enfante est un cataclysme. L’incompréhension est massive, la culpabilité intense et la recherche d’explication incessantes. À tous ces «pourquoi un tel geste ?» il n’y a pas de réponse facile et définitive. Il nous reste des progrès importants à faire pour comprendre tous les enjeux qui conduisent un tout jeune enfant à se donner la mort. Mais ce que nous savons, c’est l’importance de leur apporter un sentiment de sécurité et de confiance en eux et en l’adulte. Ce n’est pas que l’amour qui peut leur être donné, c’est bien au-delà la capacité des adultes à respecter cet enfant pour ce qu’il est, à le comprendre et à le soutenir. Beaucoup d’enfants suicidaires nous expliquent que leurs parents «ne leur parlent pas ; se moquent de ce qu’ils peuvent faire ; ne s’intéresse pas à eux»…ce que la majorité des parents ne comprennent pas car ils ont l’impression de  tout faire pour» leur enfant. Ces témoignages nous apprennent que le lien de confiance entre l’enfant et ses parents est un lien qui se co-construit : l’enfant a besoin de l’autre tout autant que l’autre a besoin de l’enfant. Lorsque le lien de confiance est rompu, les enfants se convainquent que leurs proches ne sont plus des ressources capables de les comprendre ; ils n’osent plus solliciter les adultes qui pourraient les aider par crainte d’être jugés, gêne ou honte. Quand aucun substitut affectif n’apparaît disponible pour l’enfant, quand l’environnement lui parait insécure et hostile, il pense ne pas avoir d’autres solutions que de se supprimer.

Mais dire tout cela et faire un tel constat n’est pas suffisant. Que faire ? Comment faire ?

Les parents se sentent souvent seuls, impuissants face à leur enfant qui semble ne pas bien aller. Certains ne voient pas son désespoir, d’autres banalisent et se rassurent en se disant que «c’est normal, c’est l’adolescence qui arrive», «d’autres tentent de communiquer en lui demandant comment il va, mais son vite rabroué par un enfant devenu un véritable «porc-épic» émotionnel ; certains essayent d'avoir une consultation auprès de spécialistes et se heurtent à des mois d’attente… Les formulations utilisées peuvent, involontairement, couper tout échange : par exemple «tu vas bien ? ou ça ne va pas ?» sont des questions qui comportent déjà la réponse et qui n’autorisent pas l’enfant à aller dans un sens contraire. Si ces questions sont posées avec inquiétude, bien légitime, l’enfant tente de rassurer son parent en lui disant que «tout va bien»….

Parler à son enfant peut devenir bien difficile, comme si nous n’avions plus le mode d’emploi… comme si nous étions subitement incapables de le comprendre… dans ces situations où l’enfant et l’adolescent ne parlent plus et manifestent un mal-être durable (renfermement sur soi-même, addiction aux jeux-vidéos, décrochage scolaire, agressivité, tristesse, troubles alimentaires, conduites à risque, etc.), le parent peut lui faire part de ce qu’il ressent, sans attendre que l’enfant le sollicite. « J’ai l’impression… je te trouve… je me demande… » sont autant de formulations qui ouvrent un espace de médiation entre le parent et son enfant. Ces expressions ne le stigmatisent pas mais permettent aux parents de témoigner de leur intérêt pour l’enfant. Le parent peut le rassurer sur sa valeur, le complimenter sur des choses qu’il a pu faire et lui dire que sa vie est bien trop précieuse pour qu’il se fasse du mal. Tous ces petits mots participent à construire ce que Boris Cyrulnik appelle une «niche affective sécurisante et protectrice pour l’enfant».

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