Perdre son bébé avant sa naissance

Après le récent drame de la maternité de Port-Royal, le Dr Hélène Romano revient sur le deuil des parents qui perdent un bébé.

Des bébés attendus

Si au XVIIIème siècle, 90% des enfants n’atteignaient pas l’âge de trois ans, aujourd’hui, dans les pays industrialisés, les décès périnataux sont devenus rares. Depuis ces 25 dernières années les progrès effectués en médecine anténatale ont été multiples, fascinants, et ont profondément bouleversé le rapport au savoir sur le fœtus, et les processus de parentalité. Auparavant l’embryon, puis le fœtus, représentaient un enfant imaginaire, un inconnu qui ne devenait réel qu’après être né. Désormais les progrès considérables des techniques médicales anténatales permettent d’avoir, bien avant la naissance, une représentation réelle de l’existence de ce petit homme à naître : le bébé virtuel prénatal prend vie avant même d’être né.

Si pour les professionnels le statut reste incertain, comme un entre-deux, ce qui se traduit par les termes «embryon» puis «fœtus» ; pour les parents il n’y a aucune incertitude : c’est «leur bébé», un petit être dans toute sa dimension, réelle, fantasmatique et symbolique dès que le test de grossesse s’avère positif. C’est cette représentation que les parents portent à cet embryon qui lui donne toute sa dimension humaine.

Devenir parent ce n’est pas avoir son nom inscrit sur un état civil, c’est aussi et surtout se penser parent, s’imaginer et se projeter dans la vie avec son enfant, (qu’il soit biologique ou adopté). C’est ce que nous appelons la parentalité, véritable processus psychique distinct de la parenté, qui en est l’inscription administrative. Autrement dit le «devenir parent» s’inscrit et s’élabore psychiquement bien avant la naissance de l’enfant, et sa reconnaissance par l’état civil. Cette précision permet de comprendre que les réactions des parents ne sont pas proportionnelles à l’âge du bébé décédé : faire une fausse couche à trois mois alors que le fœtus est déjà surinvesti, peut ainsi avoir des répercussions psychologiques tout aussi importantes que de perdre un bébé de quelques jours…. ce qui reste difficile à comprendre pour de nombreuses personnes qui pensent encore «petit bébé, petite mort, petit deuil».

La réalité est toute autre pour ces parents qui ont perdu leur bébé. Perdre son enfant avant sa naissance, est une épreuve insupportable, une douleur indescriptible, qu’il est bien difficile de partager et de faire comprendre.

Pour les professionnels la perte d’un bébé ou pour reprendre leur expression, «la perte d’une grossesse» est toujours une épreuve pénible, un échec de ce pour quoi ils sont devenus soignants : donner la vie, soigner et apaiser. Les progrès scientifiques laissent l’illusion d’une médecine certaine, sans aucun risque, aucune erreur envisageable, aucun aléa possible. Mais la médecine ne peut pas tout. Il y a des contextes ou, après enquête, des erreurs de prises en charge sont retrouvées, mais il y a aussi bien des situations ou aucune erreur n’est constatée. Ce qui est insupportable pour les parents, car cela les confronte à l’arbitraire et à l’incertitude. La mort fait partie de la vie ; les petites morts comme les grandes, peuvent s’imposer dans nos vies, violemment et de façon toujours injuste, sans que nous ne puissions toujours en avoir une explication scientifique.

La loi évolue

Dans ce contexte, il est important de rappeler que la législation évolue, ce qui modifie en particulier la reconnaissance administrative et de ce fait la possibilité de récupérer le petit corps et pouvoir faire des funérailles. Actuellement un fœtus est considéré viable dès qu’il entame la 25ème semaine (à partir de 24 semaines et 1 jour) et/ou qu’il pèse 650 g ou plus. En cas de décès d’un enfant survenant avant sa déclaration à l’état civil, les certificats de décès habituels ne sont pas indiqués. En cas de fausse couche précoce (avant 15 SA) ou d’IVG, aucun certificat médical ne peut, aujourd’hui, permettre aux parents de demander l’établissement d’un acte auprès de l’officier d’état civil. Mais la cour de cassation a émis un arrêt le 6 février 2008 permettant la déclaration à l’état civil d’un fœtus né sans vie, sans critère de poids et sans référence à un poids minimal. Pour les parents, cette jurisprudence est une véritable reconnaissance de la réalité de la perte de leur bébé et symboliquement, cette inscription leur permet de ne pas se sentir totalement rejetés et incompris dans leur chagrin.

Mais sans la reconnaissance des proches, l’administratif et le juridique ne sont pas suffisants. Si nous reconnaissons et portons toute attention à la perte d’un bébé, il nous faut ici préciser que les enjeux seront différents en fonction du contexte de ce décès : fausse-couche plus ou moins tardive, interruption médicale de grossesse, mort in-utéro, bébé mort né, réduction embryonnaire. Pour chaque mère, chaque père, les réactions seront multiples mais toujours chargées de l’émotion vécue. Avec pour chacun, une expressivité variable dans le temps, qui témoigne des aléas du travail de deuil, selon les ressources du moment.

Nous constatons combien le déni social reste fort face à ces décès anténataux. La mort de ce bébé qui n’est pas né, interroge ainsi les références culturelles et sociales face à la mort. Mais il pose aussi bien d’autres questions éthiques, religieuses, philosophiques, autour du statut de l’embryon et du fœtus. Les termes mêmes utilisés, témoignent d’ailleurs du décalage existant entre représentation scientifique et représentation parentale.

Cette précision sur les termes utilisés (embryon, fœtus, bébé), permet de mieux comprendre les réactions de certains proches, voire de certains professionnels, lors d’une mort anténatale. Pour ceux qui considèrent l’embryon comme une «non-personne», tant que l’enfant n’est pas né, il n’y a pas à parler de deuil, ni à éprouver une peine quelconque et ce, d’autant plus, que la perte survient très tôt en cours de grossesse. Cela est compris comme un «non-événement». Mais cette position n’est pas tenable pour les parents et les professionnels attentifs à ces questions : les répercussions sont en effet bien réelles et le suivi de ceux qui ont perdu leur bébé à naître, témoigne de l’impact traumatique que cette perte peut représenter.

Les proches (familles, collègues, amis) se trouvent souvent démunis, ne sachant pas que dire, que faire. Les parents endeuillés nous expliquent qu’ils ont l’impression d’avoir des réactions de gêne, d’indifférence, de mise à distance ou de pitié. Comme si le curseur émotionnel ne pouvait pas s’ajuster sur des réactions adaptées, protectrices, rassurantes. Les proches rivalisent ainsi souvent de maladresse avec une bonne volonté déconcertante. Certains propos peuvent être très blessants, comme ceux visant à banaliser la perte de ce bébé : «voyons ce n’est pas si grave, tu n’étais qu’à quelques semaines de grossesse… à mon époque…» ; «Au moins tu as déjà un autre enfant» ; «tu es jeune, tu en auras d’autres»  ; «Pourquoi te mettre dans un état pareil, ce n’était qu’une petite cellule, ce n’était même pas encore formé» ;  «moi aussi ça m’est arrivé, et tu vois je n’en suis pas morte» ; etc.

Pour les parents ces phrases sont ressenties comme un déni de leur souffrance ; une non-reconnaissance de leur deuil ; un déni du bébé à naître. Toute discussion autour du bébé mort devient impossible et les parents restent seuls face à leur douleur et leur chagrin. Les mois passant, c’est le silence et le non-dit qui entourent bien souvent cette histoire ; «tout le monde sait que j’ai perdu mon bébé, personne ne m’en parle».

Face à tant de douleur il pourrait être dit des mots tout simples mais qui témoignent de l’attention que l’on souhaiterait leur porter : «je ne sais pas que te dire, mais simplement que je pense fort à toi, que je suis là.»

Le deuil sans parole, sans soutien, sans attention, est une seconde mort, une autre blessure qui peut venir réactiver des souffrances antérieures, des conflits passés, des vécus d’abandon et de rejet. La reconnaissance par l’entourage et les professionnels reste essentielle pour que ces parents puissent mettre en mots leur chagrin. Reconnaître leur peine c’est reconnaître leur statut de parents, car même si leur enfant n’est pas né, ils sont parents. Parents endeuillés, parents dans la détresse et la peine, mais parents. C’est de cela, de cette reconnaissance, que pourra s’élaborer leur chagrin ; c’est cela qui les amènera à donner sens à cette mort, à supporter le deuil de leur bébé et à pouvoir continuer de vivre.