Comment parler de la mort à un enfant ?

Parce qu'il n'est pas toujours facile de trouver les bons mots, Patrick Ben Soussan, pédopsychiatre, vous éclaire pour parler de la mort aux plus petits.

Comment parler de la mort à un enfant ?
© Tatyana Tomsickova-123rf

Sujet tabou et douloureux, la mort intrigue les enfants. Quand sont-ils capables de comprendre cette notion, comment leur expliquer ce qu'on ne sait pas ? Les réponses de Patrick Ben Soussan, pédopsychiatre.

A partir de quel âge les enfants peuvent-ils comprendre la notion de mort ?

Patrick Ben Soussan : Plus un enfant est petit, plus il perçoit la mort d'un point de vue sensoriel. C'est la disparition physique qui marque son esprit. Le timbre de la voix, le toucher, l'image de la personne disparue lui manquent très concrètement. D'ailleurs, un nourrisson qui perd sa mère, vit cette mort comme une amputation, une perte d'une partie vivante de lui-même. Ce deuil, non élaboré psychiquement, ne s'inscrit pas dans la mémoire du bébé mais dans son propre corps. Il ressent des années plus tard, sans même pouvoir l'identifier, une manière d'être porté ou bercé, l'odeur d'un parfum. Cela peut laisser des traces indélébiles. Plus grand, l'enfant intègre l'idée de mort par les différentes expériences de perte qu'il traverse : celle de la perte d'une peluche fétiche, d'un animal domestique, la première séparation avec maman à la crèche etc. Puis, par tout ce qu'il apprend à l'école et auprès de ses aînés, il est forcé d'accepter la notion de mort. La réalité s'impose à lui exactement comme pour la "révélation" de la non-existence du père Noël. Entre ses 4 et 6 ans, il sort donc de son univers magique et perd son impression de toute puissance.

Comment parler de la mort à un enfant ?

Il ne faut surtout pas attendre qu'un drame survienne pour amorcer une discussion sur ce thème. En réalité, dans une famille où tous les sujets sont abordés librement, où l'enfant peut poser des questions sans craindre de fâcher ses parents, bref où le dialogue est une habitude de vie, la mort apparaît forcément dans les sujets de conversation. Le contexte n'étant pas particulièrement difficile, les parents trouvent alors les bons mots pour expliquer ce qu'ils savent et n'ont pas besoin de mentir. Si, au contraire, ils doivent répondre aux interrogations de leur enfant le jour de l'enterrement d'un proche, l'exercice devient plus délicat et certains parents cèdent légitimement à la facilité avec des phrases comme "Papi est parti au ciel. C'est l'étoile qui brille là-bas, tu vois". D'autres, tellement occupés par leur propre peine, ne trouvent pas le courage de dire la vérité et laissent croire à l'enfant que leur grand-père va revenir.

Mais les parents n'ont pas réponse à tout...

Ces réactions à chaud ne sont pas dramatiques, d'autant que les parents peuvent revenir sur ce qu'ils ont dit quelques temps après. Rien n'est jamais définitif dans l'esprit d'un enfant. Bien sûr, mieux vaut essayer d'éviter d'inventer des histoires car elles peuvent provoquer des déceptions et des angoisses. Ce qui compte, c'est surtout de ne pas exclure l'enfant de la problématique qui concerne l'ensemble de sa famille et de ne pas l'encourager, en voulant à tout prix le protéger, à nier la réalité. La mort est inéluctable et ce fait ne peut pas être enjolivé. En revanche, les parents ont le droit de dire "Je ne sais pas ce qu'il advient après la mort" ou s'ils sont croyant "Nous le retrouverons au paradis". Du moment que les parents acceptent de partager leur point de vue avec l'enfant et qu'ils lui transmettent un début de réponse et de réflexion, une base pour faire leur propre chemin intellectuel, alors, leur discours, aussi hésitant soit-il, peut devenir une aide.

L'enfant doit-il assister à l'enterrement ?

Associer l'enfant au deuil lui permet d'affronter la réalité tout en profitant du soutien du groupe familial. Au cours des funérailles, la présence d'êtres chers, leurs paroles réconfortantes et leurs gestes tendres abondent. Laisser un enfant seul à la maison pendant que toute la famille se serre les coudes à un enterrement ou le confier à des amis lointains pendant que tous les proches rendent ensemble un dernier hommage au corps du défunt, n'aurait pas de sens ! L'enfant a le droit de pleurer, de se fabriquer des souvenirs, de faire son deuil, sinon comment pourrait-il se construire ? Longtemps, on a véhiculé l'idée selon laquelle il fallait protéger les enfants des réalités trop dures de l'existence. Mais pourquoi ? Ce genre de réflexe ne fait que repousser le moment où l'enfant devra affronter la réalité. C'est exactement le même principe de fuite lorsqu'un parent rachète un doudou identique à celui perdu la veille !

Existe- t-il un processus de deuil spécifique à l'enfance ?

Non, l'enfant réagit différemment en fonction de son âge, de sa personnalité et de la proximité de son lien avec la personne défunte. Chez les bébés, la relation à l'autre est cruciale. La dépendance physique et affective rendent l'autre constitutif de soi-même et par conséquent, la disparition d'autrui peut s'avérer très destructrice. Pour le petit enfant, les proches représentent une sécurité, une protection. Si l'un d'entre eux disparaît, l'enfant se sent perdu. Livré à lui-même, il ressent une profonde détresse. L'amour de l'autre était la condition sine qua non de son existence. Lors de la phase oedipienne, vers 3-4 ans, les enjeux diffèrent. La culpabilité guette le petit garçon qui voulait tant que son père disparaisse pour enfin bénéficier de toute l'attention de leur mère et qui, maintenant que papa n'est plus là, a la terrible impression que tout est de sa faute. Pour les filles, c'est bien évidemment le schéma inverse, mais les effets sont identiques. De la même manière, l'adolescence et son lot de conflits représente une période particulièrement délicate. La disparition d'un parent majore à l'extrême les discordes entre les membres de la famille. La mort rend réel les fantasmes les plus inavouables provoquant chez l'enfant une terrible culpabilité.

Face à l'annonce d'une disparition, les enfants réagissent parfois bizarrement. Dans quel cas faut-il intervenir ?

Il arrive qu'un enfant saute sur les tombes au cimetière ou pique un fou rire pendant la messe. Parfois l'enfant ne réagit même pas à l'annonce de la mort de quelqu'un et retourne jouer dans sa chambre comme si de rien n'était. Ces réactions sont propres à son caractère et son vécu. Il ne faut pas imaginer qu'il puisse se comporter comme un adulte. Dans d'autres cas, les bambins se déclarent malades ou s'inventent un ami imaginaire. Tout ceci signifie qu'ils ont compris la mauvaise nouvelle et qu'ils encaissent tant bien que mal. C'est seulement si cette attitude persiste, qu'il faut aider son enfant à exprimer ce qu'il ressent. Les personnes les plus liées avec le disparu ne sont pas forcément les mieux placées. Si les mots des proches ne parviennent pas à désamorcer le blocage, une séance chez un thérapeute est envisageable. Mais les parents doivent garder à l'esprit qu'un enfant solide affectivement aura plus d'armes pour se défendre face aux malheurs de la vie. Et que, fatalement, la nature veut qu' il y sera confronté sans nous à un moment ou un autre... Cet objectif - donner confiance en soi à l'enfant - appartient donc à une démarche éducative globale.

Marie, la mort dans l'âme
© Editions Tutti Kids

Un livre pour aborder le thème de la mort

Les livres permettent d'aborder de nombreux sujets avec son enfant. Ce dernier est généralement attentif à l'histoire qu'on lui raconte, et s'identifie souvent aux personnages principaux. Dans le livre "Marie, la mort dans l'Ame", aux éditions Tutti Kids, Marie a tout juste 10 ans lorsqu'elle perd sa petite sœur. Cet événement terrible, elle parvient à le surmonter grâce à Outch, un drôle de cafard qui s'invite à ses côtés pour l'aider à traverser cette épreuve. Cette BD destinée aux 8-12 ans permet de poser des mots sur les maux et d'aider son enfant à mieux comprendre ce qu'est la perte d'un être cher, avec simplicité et bienveillance, mais aussi avec humour et poésie.

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