Faut-il avoir peur de la cour de récré ?

A l'école, nombreux sont ceux qui attendent impatiemment l'heure de la récréation. Ces minutes de retrouvailles, ponctuées de jeux, de cris, de rigolades et parfois de conflits sont à la fois redoutées et espérées par les élèves. Mais, au fond, qu'apporte vraiment la récréation ?

Faut-il avoir peur de la cour de récré ?
© Sergey Novikov-123rf

La récré, pour se sociabiliser

La cour de récré est avant tout un espace de sociabilisation. C'est le moment où l'on se confronte à l'autre, où se nouent des amitiés et parfois aussi des inimitiés. Une chose est sûre : on apprend la vie en groupe. En effet, les enfants qui débarquent en petite section de maternelle ont souvent eu une expérience minime de la collectivité (s'ils ont eu la chance d'aller à la crèche). Ils connaissent quelques règles de base : ne pas piquer le jouet du copain, l'aider si besoin, partager des crayons de couleur... Mais l'essentiel n'est pas encore acquis. Si dès 4 ans, leurs rapports sont plus structurés, plus définis, ils vont devoir apprendre à nouer de vraies relations amicales et à véritablement jouer ensemble. Et pour y arriver, ils vont devoir "surpasser leur égocentrisme" selon Julie Delalande, ethnologue. "C'est d'abord la souffrance et le danger de rester seul, en sachant que les grands aiment bien jouer à embêter les petits. C'est ensuite l'attrait du plaisir ludique car le jeu à plusieurs permet de nouvelles idées. C'est enfin le besoin de reconnaissance sociale individuelle qui passe par l'appartenance au groupe", précise-t-elle. Plus tard, vers 10-13 ans, c'est l'âge "de la bande" et le groupe se forme "selon les affinités et par des codes bien précis" indique quant à elle Isabelle Martinez, éducatrice de jeunes enfants à l'hôpital Necker.

L'apprentissage des règles de vie

Apprendre à jouer ensemble, discuter, négocier, s'affirmer... la cour de récréation est un prélude de la vie en société. Les enfants se confrontent aux autres et nouent un lien social à travers le jeu. "Le jeu collectif suppose une distribution des rôles et crée un lien de dépendance entre joueurs. Il lie ensemble les participants mais suppose qu'ils s'accordent sur la place de chacun dans le jeu et au-delà : il rend visibles des relations de pouvoir. C'est, en outre, en trouvant sa place dans le groupe que l'on se fait reconnaître. Si ce groupe se contente, dans un premier temps, de mettre en commun une pratique ludique, il devient rapidement un lieu où s'établissent des règles et des valeurs qui dépassent les jeux, pour régir les relations entre copains. Il devient un espace d'expérimentation de la vie collective, où les enfants mettent à l'épreuve nos règles sociales et se construisent, au fil des années, une histoire commune." indique Julie Delalande, ethnologue.

Les jeux et phénomènes culturels de la cour de récré

Il y a eu les Pokémon, le slime, les Stringz, la folie des toupies ou encore les Hand Spinner... Tous ces jeux sont nés dans les cours de récréation. Ces véritables phénomènes culturels sont une façon pour l'enfant d'entrer dans la norme collective et de s'associer à la pratique de son école. Ils créent ensemble une identité commune. Peu à peu, toute la cour de récréation se met à échanger frénétiquement des cartes, des petits bracelets, des billes... Et ce phénomène a l'avantage de rassembler petits et grands, filles et garçons. Une belle façon de mixer les personnalités et de se confronter à la différence, à l'art de l'échange, de la négociation... Outre ces phénomènes culturels qui ne durent parfois qu'un temps, d'éternelles rondes, chansons, jeux d'élimination traversent les générations. Parfois déformés, améliorés ("Trois petits chats", "plouf, plouf"), ces jeux se transmettent entre frères et sœurs, aînés et cadets et même parfois, parents et enfants. Ils finissent par être connus de tous et permettent aussi de se rassembler, de se tester, de se distinguer.

Les bagarres dans la cour de récréation

Quel parent n'a jamais entendu son fils se plaindre d'une bagarre avec un ancien copain ? Une fillette pleurnicher parce que sa meilleure amie ne lui "cause plus" ? Et pour cause, la cour de récréation a aussi le don de cristalliser les conflits, de faire naître des inimitiés voire de violentes haines. Pourquoi ? Parce que plusieurs personnalités s'affrontent et des rapports de force s'installent alors. Béatrice Copper-Royer, psychologue, détaille les différents caractères que l'on peut retrouver dans une cour de récré : "Il y a d'abord le "chef de bande" qui sait mener son monde et s'adapte parfaitement à ce milieu. Ensuite, on trouve ce que j'appellerais "l'enfant tout puissant". C'est celui qui n'a pas assimilé les règles de la vie de groupe, peut-être parce que ses parents ont été trop flous sur celles-ci. Ainsi, confronté au désir de "l'autre" qui contredit le sien, il peut facilement tomber dans l'agressivité. Enfin, il y a le timide, celui qui est démuni face au groupe et qui ne se sent pas suffisamment fort pour répondre". Mais si ces jeunes personnalités vont évoluer avec le temps, il est important de veiller à ce que cela ne dégénère pas. "Quand un enfant a mal au ventre ou à la tête le matin ou pleurniche avant d'aller à l'école, c'est qu'il y a un souci. Un enfant qui n'a pas de copains, ce n'est pas normal non plus. Quand il est le souffre-douleur, il faut l'aider. Le rassurer en lui disant qu'on va intervenir, qu'en tant qu'adulte on est là pour le protéger. Dans tous les cas, la première personne à aller voir est l'instituteur ou le professeur principal." avertit la psychologue, spécialiste des enfants.

L'apprentissage des gros mots à l'école

Souvent, les parents se plaignent du langage fleuri de leurs enfants, dès leur entrée à l'école maternelle. Les plus jeunes se mettent à proférer des "cacas boudins" à tue-tête tandis que les autres vont opter pour des gros mots de plus en plus insultants. Une façon de provoquer les parents ? De tester les limites ? Ou juste une mauvaise habitude qui passera ? Pour Anne Bacus, psychologue, "les jeunes enfants ne connaissent généralement pas le sens des gros mots, des jurons et des insultes qu'ils répètent pour les avoir entendus à l'extérieur. A vous de leur expliquer que ces mots ont un sens très grossier, qu'ils peuvent être insultants, et que vous ne souhaitez pas le voir s'exprimer de cette façon". De plus, "L'enfant de cet âge est volontiers provocateur. S'il sent qu'il peut déclencher une réaction intéressante chez vous en disant des gros mots, il continuera". Mais rassurez-vous, cette mauvaise habitude passera avec les années, si vous restez ferme ! Et heureusement, l'enfant peut vite comprendre qu'une certaine façon de s'exprimer ne doit pas franchir le seuil de la maison familiale. "Au fil des années, l'influence des copains se fait prépondérante et l'enfant a vite tendance à adopter les règles du groupe. Il faut pourtant continuer à faire respecter les règles importantes à la maison, sans se décourager" conseille Anne Bacus.

Les mots qui heurtent. Outre les insultes, les enfants peuvent aussi être terriblement méchants entre eux et se lancer des critiques acerbes. L'enfant attaqué peut alors être véritablement vexé ou même choqué par ces remarques désobligeantes. Dans ce cas, il est important d'avoir une discussion avec lui, pour le rassurer et lui redonner confiance en lui. Vous pouvez également prendre rendez-vous avec l'instituteur et le directeur de l'école pour que des sanctions soient prises à l'encontre des élèves "harceleurs" si ce comportement continue.

Les jeux dangereux dans les cours de récréation

Les "jeux" dangereux qui agitent certaines cours d'école sont de plus en plus médiatisés, mais font toujours autant de victimes. Jeu du foulard, Momo Challenge... autant de défis donnés aux petits. "On a l'impression que les jeux dangereux ont cours chez les adolescents, mais, en fait, cela commence dès le début de l'école primaire. On ne sait pas bien ce qui déclenche cette vague. On pense à une transmission inconscient/conscient", précise la psychologue Hélène Romano, auteure du livre "L'enfant et les jeux dangereux" aux éditions Dunod. On distingue plusieurs types de jeux dangereux : 

  • Les jeux d'agression : il s'agit d'une bagarre sans raison, sans motif
  •  Les jeux d'asphyxie : ce sont les plus connus et ils consistent à s'empêcher de respirer
  •  Les jeux de mort : une situation où l'on risque de mourir comme traverser le métro
  •  Les jeux à connotation sexuelle : ils se passent dans les vestiaires, les douches...

Ce qui est complexe, c'est que les profils d'enfants qui en sont victimes sont aussi souvent les agresseurs... Mais généralement, on distingue : les suiveurs : ils font comme tout le monde, par peur de ne plus avoir de copains, sans plus de motivation. Ce sont les plus sensibles à la prévention. Les enfants dépressifs, suicidaires : au bout d'un moment, ils ne jouent plus. Et ceux qui cherchent à avoir du pouvoir sur l'autre et ça, c'est plus inquiétant..., précise la spécialiste.

Comment protéger son enfant ? 

C'est difficile pour les parents car il faut en parler mais pas de manière frontale. Évitez de poser directement la question à votre enfant "et toi, tu fais des jeux dangereux ?" mais parlez plutôt en général "il paraît que dans les cours de récré, il y a des jeux étranges... tu en connais, toi ?". Essayez de ne pas diaboliser, de ne pas vous sur-inquiéter tout de suite et surtout, parlez-en autour de vous. Il faut aussi apprendre à donner confiance en lui à son enfant en le valorisant. Rassurez les enfants sur le fait qu'ils ont de la valeur. Vous pouvez aussi prévenir ce type de dérive en travaillant sur l'importance du bien-être et de la santé. Par exemple, avec certaines classes de CP lorsqu'ils travaillent sur la respiration, on leur apprend qu'un cerveau qui ne respire pas met en danger la santé et ainsi, le jour où ils seront éventuellement confrontés à ces "jeux", ils sauront réagir et refuser. Enfin, lorsque votre enfant vous parle de l'existence de ces "jeux" dans son école, tentez de communiquer avec l'éducation nationale."

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