ASE : 60 millions d'euros par an consacrés aux jeunes majeurs

A 18 ans, les enfants placés à l'aide sociale à l'enfance sont livrés à eux-mêmes et manquent d'accompagnement. Pour prévenir les ruptures "sèches", Adrien Taquet a annoncé que le soutien financier de 12 millions d'euros par an serait augmenté de près de 50 millions supplémentaires.

ASE : 60 millions d'euros par an consacrés aux jeunes majeurs
© 123rf-Katarzyna BiaÅ‚asiewicz

"Un quart des jeunes de moins de 25 ans qui vivent aujourd'hui dans la rue sont passés par l'aide sociale à l'enfance" a rappelé le secrétaire d'Etat en charge de la protection de l'enfance Adrien Taquet. Pour leur éviter d'être livrés à eux-mêmes dès l'âge de 18 ans, le gouvernement compte augmenter considérablement le budget alloué à l'accompagnement de ces jeunes majeurs. Ainsi, le soutien financier de 12 millions d'euros par an (de 2019 à 2022) passera à 60 millions d'euros par an, soit 50 millions d'euros supplémentaires. Cette aide vise à permettre aux départements de prendre en charge ces jeunes au-delà de 18 ans. "Ce sont ainsi 60 millions d'euros qui seront mobilisés chaque année pour lutter contre les 'sorties sèches' de l'aide sociale à l'enfance (ASE)", a-t-il déclaré ce lundi 6 mai devant l'Assemblée nationale. Pour Brigitte Bourguignon, députée et présidente de la Commission des affaires sociales à l'Assemblée nationale, il faudrait créer davantage de "contrats jeunes majeurs" dont bénéficient près de 21 000 jeunes, et favoriser les "contrats d'accès à l'autonomie" qui présentent selon elle des "lacunes" et des "disparités entre les départements".

Qui sont ces enfants placés ? 

Lorsqu'un enfant est en danger, suite à un signalement ou à la demande des parents, l'enfant ou le jeune est pris en charge par l'Aide Sociale à l'Enfance (ASE) ou par la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Ces jeunes peuvent soit bénéficier de mesures éducatives : ils restent au sein de leur famille et sont accompagnés par un ou des professionnels, soit être placés dans une structure ou une famille d'accueil. En France, 300 000 jeunes bénéficient de mesures de protection de l'enfance, qu'elles soient administratives ou judiciaires, et 20 900 jeunes âgés de 18 à 21 ans bénéficient d'une prestation "jeunes majeurs". Par ailleurs, 57% des garçons sont placés contre 43% des filles, et la majeure partie des enfants placés (53%) sont âgés de 11 à 18 ans et 12% ont plus de 18 ans.

Un pacte pour l'enfance lancé à l'été 2019 

Invité sur France Info ce 12 mars, Adrien Taquet a réaffirmé son engagement pour la protection de l'enfance, en annonçant qu'un "pacte pour l'enfance" serait lancé d'ici cet été. Il prévoit notamment d'accompagner les parents, de lutter contre les violences faites aux enfants et de mieux prendre en charge les enfants placés. Un sujet de société qui mérite d'être davantage pris en considération d'autant que "l'inceste est encore un tabou dans notre société", précise-t-il. En outre, "un quart des SDF sortent de l'aide sociale à l'enfance, un enfant meurt tous les cinq jours dans son cercle familial et 20 000 enfants chaque année subissent des violences sexuelles", a-t-il déclaré. 

18 ans, un âge trop jeune pour être autonome

En juillet 2018, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) a livré ses recommandation sur la protection de l'enfance en ciblant à la fois les mineurs en difficultés multiples (souvent appelés "les incasables") et les jeunes majeurs qui quittent l'aide sociale à l'enfance à l'âge de 18 ans. Mais ces derniers sont souvent livrés à eux-mêmes lorsqu'ils quittent l'Aide sociale à l'enfance une fois majeurs. "Leur situation est alarmante !" déclarait le rapporteur Antoine Dulin, vice-président du CESE. "On leur demande plus d'autonomie, alors qu'ils ont moins de ressources que la majorité des jeunes de leur âge". De plus, à 18 ans, ils sont trop jeunes pour être autonomes, notamment pour trouver un logement ou un emploi, tandis qu'ils n'ont pas encore fini leurs études. En moyenne, l'âge auquel les ados quittent leur foyer familial est 23,6 ans, et leur premier emploi stable se situe entre 27 et 28 ans. Pour les aider à la sortie de la protection de l'enfance, le contrat jeune majeur peut leur être octroyé. Cette prestation sociale permet de les soutenir financièrement, au maximum jusqu'à l'âge de 21 ans. Le problème, c'est que cette aide soumise à condition n'est plus obligatoire et que seuls 20 900 jeunes en bénéficient (soit un tiers des jeunes majeurs placés). D'autant que les dates sont courtes : entre trois à six mois, et seulement 1% des contrats jeunes majeurs durent plus d'un an, ce qui accentue leur précarité. Conséquence : près de 30% des moins de 30 ans utilisent des services d'hébergements temporaires et de restauration gratuite en France. En outre, un SDF sur quatre a été placé en foyer ou en famille d'accueil dans sa jeunesse, "Ce manque d'accompagnement est alors vécu comme un sécateur à rêve et seulement 13% des enfants placés préparent un bac général, soit 5 fois moins que la population", précisait Antoine Dulin.

Rappelons par ailleurs que 10 milliards d'euros par an sont investis pour la protection de l'enfance. Pour le CESE, "il s'agit d'un véritable gâchis économique et d'un non-sens éducatif et social puisqu'il engendre souvent une perte d'estime de soi pour les jeunes, mais aussi pour les professionnels qui les accompagnentOn investit beaucoup d'argent dans le parcours de ces jeunes, mais la plupart d'entre eux connaissent une rupture brutale. On les laisse seuls pour se développer dans les méandres de nos institutions, alors que l'objectif de cette politique est de garantir les besoins fondamentaux de l'enfant et de soutenir son développement affectif, intellectuel et social", ajoutait alors le vice-président du CESE.

Les recommandations du CESE

Pour prévenir les ruptures dans les parcours en protection de l'enfance, le CESE livre une série de recommandations visant à alimenter les futures lois et stratégies à venir sur la protection de l'enfance et de l'adolescence, celles sur la parentalité et la lutte contre la pauvreté des enfants et des jeunes. Le CESE propose de faire évoluer le droit commun en garantissant un revenu minimal social pour les jeunes majeurs. Ou de garantir un droit spécifique avec une prise en charge, non pas jusqu'à 21 ans, mais jusqu'à la fin des études ou jusqu'au premier emploi durable. Il réclame également une meilleure coordination entre les acteurs, le renforcement de la formation des professionnels, et une prise en charge dès le début du parcours en agissant sur la prévention, ainsi qu'un accompagnement sur mesure. Enfin, le CESE propose la mise en place d'offres d'accueil spécifiques comme le développement de lieux de vie pour accueillir et accompagner les jeunes, sans préjugés. Le Colibri, situé dans les Yvelines par exemple, est un refuge qui permet aux jeunes en rupture avec la société, de les aider à se réinsérer.