Alimentation : "la corpulence est avant tout génétique !"

Le Professeur Patrick Tounian tord le cou aux idées reçues concernant l'alimentation des enfants et pointe du doigt les nouvelles "tendances alimentaires" liées principalement aux peurs des parents. Interview.

Alimentation : "la corpulence est avant tout génétique !"
© Iakov Filimonov-123rf

Les habitudes alimentaires des enfants ont beaucoup évolué depuis ces dernières années. "Ce qui prédomine aujourd'hui, c'est l'inquiétude des parents. Ces derniers ont peur de contaminer leurs enfants, de mal les alimenter au risque de les rendre obèses, voire de les intoxiquer", dénonce Patrick Tounian, Chef du service de Nutrition et gastro-entérologie pédiatriques de l'Hôpital Trousseau à Paris et auteur du livre "Réponses à toutes les questions que vous vous posez sur l'alimentation de votre enfant" (aux éditions Odile Jacob). Et pour cause ! Les messages sanitaires anxiogènes et les consignes de plus en plus nombreuses ne font qu'accroître leurs craintes. Pour le spécialiste, ces messages ne reposeraient sur aucun fondement scientifique.

De plus en plus d'enfants sont en surpoids, que conseillez-vous aux parents ?

Patrick Tounian : La plupart des parents ont peur que leur enfant devienne obèse et ont tendance à les mettre au régime un peu trop hâtivement. Parfois, ces derniers se restreignent eux-mêmes et l'on assiste à une multiplication des troubles du comportement alimentaire. Mais s'ils mangent mal, et de manière déséquilibrée, le seul risque est celui d'une carence (mais pas celui de devenir obèse). Il faut savoir que la corpulence est génétiquement déterminée et que l'obésité n'est que le reflet de cette prédisposition ! Certains jeunes peuvent manger deux pizza et boire des sodas à longueur de journée, tout en restant minces. Ainsi, s'il n'y a aucun antécédent, il y a moins de risque que son enfant devienne obèse. Ce n'est qu'avec l'âge que chacun est plus sensible à la prise de poids. En revanche, un surpoids chez l'enfant peut avoir des conséquences sociales. Il est donc essentiel de déculpabiliser les jeunes par rapport à leur poids. Si celui-ci souhaite tout de même maigrir, il n'a pas d'autre choix que d'aller contre sa nature, en mangeant moins. Mais s'il y a restriction, cela ne doit pas être au détriment des besoins en fer (deux produits carnés par jour), en calcium (trois produits laitiers par jour) et en vitamines.

Faut-il les inciter à faire du sport pour maigrir ?

Quel que soit l'âge et le poids, le sport est bon pour la santé. Il est toujours positif d'inciter ses enfants à bouger plus. Mais ce n'est pas en faisant du sport que l'on va maigrir. Lorsqu'un sportif de haut niveau a des kilos en trop, il diminue sa performance. Finalement, le sport est une bonne motivation pour se mettre en restriction. 

Faut-il s'inquiéter si un enfant refuse de terminer son assiette ?

La nature est plutôt bien faite, car les enfants sont principalement attirés par les produits carnés et le lait. Ils en mangent peu, mais suffisamment. Les parents doivent simplement s'assurer que l'équilibre alimentaire est respecté afin d'éviter toute carence. Mais rappelons qu'un enfant mange selon son appétit (qu'il soit mince ou en surpoids). L'appétit est en effet extrêmement bien régulé avec pour objectif d'atteindre le poids selon lequel il est génétiquement programmé. Rien ne sert donc de les forcer à terminer leur assiette. Parfois, les enfants se mettent à pleurer ou sont sur le point de vomir au moment de passer à table tout simplement parce que les parents les stressent autour de l'alimentation. Le moment du repas en famille doit avant tout être un plaisir pour l'enfant, et non pas une contrainte. 

Régimes vegan, sans gluten... Ces nouveaux régimes ont-ils un impact sur la santé des enfants ?

Parce qu'ils ont peur que leurs enfants mangent mal, les parents se tournent vers certains régimes alimentaires qu'ils estiment "tendance". Mais certains, comme le régime vegan (ou végétalisme) par exemple entraînent des carences en fer, en calcium et en vitamines B12 chez l'enfant, avec parfois, des séquelles irréversibles jusqu'à l'âge adulte. Une carence en calcium (en raison d'une peur de la qualité des produits laitiers) peut provoquer une mauvaise minéralisation osseuse, qui augmente (pour toute l'existence) le risque de fractures. Un régime sans viande entraîne des carences en fer, pourtant essentiel dans le développement cérébral. Cela peut entraîner par conséquent des troubles cognitifs ou neuropsychiatriques. Enfin, le manque de vitamine B12 (spécifique aux régimes végétaliens) peut avoir des conséquences sur les troubles neurologiques.

Le régime sans gluten a l'avantage de ne pas être dangereux car il n'entraîne pas de carence majeure. En revanche, il est difficile socialement puisque le gluten est présent dans de nombreux aliments. Quant aux produits bio choisis par les parents soucieux d'éviter les pesticides (bien que les végétaux bio en contiennent probablement autant), ils sont également sans bénéfices sur la santé des enfants. Ils sont purement marketing et tout simplement plus onéreux, mais aucun avantage sanitaire n'a été démontré. Le seul risque pour les parents adeptes du bio serait de côtoyer des professionnels ayant des idées un peu farfelues, et qui pourraient leur ouvrir la porte à d'autres régimes délétères.