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Interview

Pascale Molinier : "Les femmes actives doivent apprendre l'égoïsme"

Pourquoi vous être intéressée aux femmes actives ? Pascale Molinier Il y a dans ce terme un paradoxe qui m'intéresse : dans la tradition savante, l'activité est considérée comme une vertu masculine ; la femme est passive. Femme et activité sont donc des termes contradictoires. Du coup, aujourd'hui, tout le monde connaît le terme de "femme active"… mais sans avoir les bases philosophiques pour le penser.

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Quel est le paradoxe que rencontrent ces femmes actives ?
Le problème, c'est que dans le monde salarial comme dans l'espace domestique, on se rend compte que tout ce qui requiert de l'altruisme est réalisé par des femmes. Dans le monde du travail, ce sont elles qui occupent majoritairement les professions de soins aux autres comme les infirmières, les puéricultrices, etc. Ce sont elles aussi, à la maison, qui dispensent le plus de soins aux enfants.

Du coup, les femmes ne sauraient pas penser à elles-mêmes…
Il y a beaucoup d'activités qui impliquent de faire tout le contraire de ce que font les femmes, c'est-à-dire de laisser tomber les autres, de ne pas penser (au moins pendant un moment) à soutenir le mari, à résoudre les problèmes des enfants, etc… Ces activités de création requièrent un certain égoïsme. Et c'est cet égoïsme qui est vécu par beaucoup de femmes ordinaires comme une transgression majeure. Les femmes actives doivent apprendre l'égoïsme. Elles doivent se rendre compte que malgré le fait qu'elles aient été élevées dans l'attention aux autres, elles doivent pouvoir s'autoriser une certaine autonomie, un espace à soi, une "chambre à soi" comme disait Virginia Woolf.

Comment les femmes actives arrivent-elles à concilier la vie familiale et professionnelle ?
Difficilement. Le cas idéal, celui où on laisserait une femme à la fois gérer son activité professionnelle et aménager son temps avec ses enfants, n'existera que quand les hommes et les femmes seront vraiment à égalité dans l'entreprise. Ce qui n'est pas encore le cas.
Par exemple, j'ai discuté de cette question avec des jeunes femmes diplômées, issues d'écoles de commerce. Elles disaient que, dans certaines entreprises, on considérait comme normal que les femmes avec enfants passent à temps partiel. Si elles ne prennent pas d'horaire aménagé, on les soupçonne de ne pas être des bonnes mères. Dans d'autres endroits au contraire, on demande aux femmes de tout faire pour faire oublier qu'elles ont des enfants : prendre des baby-sitters et être aussi disponibles que leurs collègues masculins.

Et à la maison, comment les femmes actives se débrouillent-elles ?
Malheureusement, il y a encore beaucoup de clichés sur les hommes et les femmes qui perdurent dans ce qu'on apprend aux enfants, dans les livres de lecture par exemple. Il y a donc des enfants qui reprochent à leur mère de travailler trop, parce que "une maman", ça doit être à la maison.

Faut-il cloisonner les deux vies ?
C'est très difficile d'arriver à construire une cloison étanche entre les vies personnelle et professionnelle. Mais c'est ce que les femmes doivent faire pour réussir. C'est d'ailleurs ce que font les hommes, et pourtant la plupart aiment leurs enfants aussi. Mais ils ont trouvé le moyen de déléguer. Alors que les femmes, souvent, ont du mal à confier leurs enfants à d'autres femmes : il y a une question d'usurpation affective.

Dans la conclusion, vous écrivez "je suis toutes ces femmes que j'ai décrites". Avez-vous déjà été confrontée à des dilemmes de femme active ?
Oui, cela correspond à ce que j'ai vécu, et en particulier la contradiction entre élever un enfant dans la vie privée et travailler. Investir le privé et la sphère professionnelle, c'est conflictuel. Après, on résout le conflit comme on peut. Il y a des femmes qui, pour le résoudre, vont renoncer à l'une des deux parties : arrêter de travailler… ou ne pas avoir de vie amoureuse, ou ne pas faire d'enfant. Les gens qui s'en sortent le mieux sont ceux qui arrivent à renoncer à le moins de choses possibles.
Très souvent aussi, le travail et les petits enfants prenant tout leur temps, les femmes doivent renoncer à leurs loisirs, leurs passions. Eh bien l'exercice nécessaire de l'égoïsme, ce serait aussi que les femmes actives essayent de préserver -ou de reconquérir- cette part d'identité, ce fameux "temps pour soi".


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