Femmes en Inde : déesses en colère et victimes silencieuses

Avec "Déesses Indiennes en Colère", le réalisateur Pan Nalin rappelle à tous l'importance d'éradiquer les violences faites aux femmes. Il promeut la force, l'indépendance et la beauté féminine dans une société où elles sont encore malmenées. De Bombay à Delhi, flagrant constat de misogynie.

Femmes en Inde : déesses en colère et victimes silencieuses
© ARP Distribution

Viols en réunion, meurtres de fillettes, mariages précoces et autres scandales… L'Inde fait rarement la Une de l'actualité pour bon traitement des femmes. Considéré comme le 4e pays le plus dangereux au monde pour ces dernières par Reuters en 2011, la patrie de Bollywood continue d'incarner une société dangereusement patriarcale.

Écartés les terribles faits divers qui minent la société, que se passe-t-il vraiment au pays de Gandhi ? Dans sa Constitution, l'Inde s'engage à respecter l'égalité des sexes, à éviter les discriminations sexuelles et à garantir la parité. Si ces engagements ne parviennent pas à sortir des lignes officielles, le Sous-Continent a connu quelques tressaillements intéressants pour les femmes. Indira Gandhi a ainsi été à la tête du gouvernement à deux reprises, de 1966 à 1977 et de 1980 à 1984. Aussi, en 2006, le pays votait une loi contre les violences faites aux femmes, avant d'élire la présidente Pratibha Patil, au pouvoir de 2007 à 2012.

Les Déesses Indiennes en Colère, au cinéma le 27 juillet © ARP Sélection

Parité manquée au pays du viol

Malgré ces quelques sursauts féministes, l'Inde reste une nation où il ne fait pas bon vivre au féminin. Dans un pays aux mentalités traditionnellement machistes, les femmes peinent à revendiquer leur place. Tiraillées entre une histoire qui les idolâtre et une actualité qui les violente, les Indiennes subissent un paradoxe dévastateur. Si certaines parviennent à s'émanciper et à faire valoir leurs droits, elles occupent seulement 30% des postes salariés en 2011 (source) et un peu moins de 8% des sièges des conseils d'administration. En 2014, les Nations Unies classaient l'Inde 130e sur 155 pays en matière de parité...

Voilà pour les chiffres "pro". Malheureusement, afin de se faire une idée plus réaliste de ce que peuvent subir les habitantes de "la plus grande démocratie au monde", il faut toujours se rendre à la rubrique faits divers. Pour les Indiens, la femme est inférieure à l'homme et doit avoir une conduite "exemplaire". Les dérives sont alors inévitables. Les mariages de fillettes, quand elles ne sont pas assassinées à cause d'une dot trop peu élevée, sont encore très fréquents. Sur cent Indiennes de plus de 25 ans, 48 ont épousé un homme avant leurs 18 ans, d'après les chiffres de The Hindu datés de 2014. Dans la rue, des femmes se font attaquer à l'acide pour le simple fait d'être femmes. Alors que le viol conjugal n'est pas reconnu, les agressions sexuelles collectives valent à l'Inde le surnom de "pays du viol".

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L'Occident est horrifié et le pays a le cœur soulevé. En 2012, le viol collectif qui entraîna la mort d'une étudiante de 23 ans a permis d'ouvrir le débat et de voter une loi "anti-viol" pour condamner plus fermement les agresseurs sexuels. Ils risquent désormais la peine de mort si leur victime succombe. Problème : face à une police composée à 93% d'hommes, d'après le Time of India, les femmes sont réticentes à l'idée de porter plainte. Surtout que dans les villages patriarcaux, une femme violée est une femme souillée, une honte pour la communauté et la famille. Cette prise de conscience et l'avancée qui a suivi n'ont pas permis d'endiguer le fléau. Selon l'ONG Dasra, le nombre de viols déclarés a augmenté de 35% en 2013 et d'encore 8% en 2014.

Prise de conscience et mise en scène

"En quelques années seulement, l'Inde a connu une croissance économique rapide et s'est vue confrontée au conflit entre modernité et tradition, explique Pan Nalin, réalisateur du très réussi Déesses Indiennes en ColèreLa femme indienne contemporaine est au cœur de ce conflit, celui d'une époque moderne troublée, ternie et partagée." Pour mettre en lumière cette dissension, le cinéaste lui a consacré son film, un plaidoyer féministe dissimulé derrière une comédie girly. Cette fresque belle et brutale aux 7 héroïnes a remué la société indienne. Par son message, mais aussi par son procédé. Au pays de Bollywood, là où la figure féminine se doit d'être jeune, jolie et amoureuse, voir des personnages féminins indépendants est une première.

Malgré la censure et les menaces de mort, le réalisateur est parvenu à ses fins : faire un film sur les femmes et dénoncer une société dangereusement misogyne. Grâce à ses Déesses Indiennes en Colère, Pan Nalin a créé un électrochoc. Le débat sur les violences sexistes dans le pays est réenclenché. Le début d'une (r)évolution ? Depuis peu, des victimes de viol témoignent de l'horreur qu'elles ont pu vivre sur Snapchat, grâce aux filtres de l'application qui leur garantissent l'anonymat. Pendant ce temps, une pub indienne de Nike pour l'émancipation des femmes lancée le 10 juillet comptabilise déjà 3 millions de vues. Transformer l'Inde en un pays moderne où règnent sécurité pour toutes et égalité des sexes ? "You can do it."

Déesses Indiennes en Colère, au cinéma le 27 juillet 2016.