Anaïs Romand : Entretien avec la chef costumière du film Saint Laurent

Après le succès de "L'Apollonide", le réalisateur Bertrand Bonello et la costumière Anaïs Romand ont de nouveau collaboré pour le film "Saint Laurent", en salles le 24 septembre. C'est sur la mezzanine du restaurant Le Jules dans le 3 ème arrondissement parisien que la créatrice de costumes nous a raconté son expérience de tournage.

Anaïs Romand : Entretien avec la chef costumière du film Saint Laurent
© 2014 MANDARIN CINEMA/EUROPACORP/ORANGE STUDIO/ARTE FRANCE CINEMA/SCOPE PICTURES/CAROLE BETHUEL

Le Journal des Femmes : Pouvez-vous nous expliquer comment vous-êtes devenue costumière pour le cinéma ?
Anaïs Romand : J'ai commencé en tant qu'assistante d'une grande costumière avec qui j'ai eu la chance de travailler dans toute l'Europe pour le théâtre et l'opéra. Puis, j'ai fait un premier film qui a eu un vrai succès, qui a été remarqué par des cinéastes et c'est comme ça que j'ai été catapultée dans le cinéma. Ce n'était pas ma première passion. Ma formation, c'est le dessin, la peinture, l'histoire de l'art et l'histoire du costume. Cela implique une création de costume et non du shopping de mode.

Comment avez-vous recréé de nos jours les costumes des années 60 à 70 pour Saint Laurent ?
D'abord, avec une très riche documentation, comme pour chaque film. À chaque fois, il faut définir l'ambiance générale, la base d'une gamme de couleur, de matières et à partir de là, on définit la garde-robe de chaque personnage. Le défi de ce film a été de reproduire fidèlement quelques collections de couture d'un grand créateur de mode. 

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Anaïs Romand lors de la 37ème cérémonie des César le 24 février 2012 © Briquet-Gouhier/ABACA

Justement, comment avez-vous choisi vos couleurs, vos matières ?
Avec la mémoire que j'avais des vrais matériaux. Par exemple, pour la robe Mondrian, je savais qu'elle était faite dans un jersey lourd, très raide de chez Emmanuel Racine. J'ai donc essayé de trouver le même tissu. J'avais une idée très précise des matières et de l'épaisseur de la soie, de la qualité des crêpes, des tweeds, des lainages... Le plus difficile a été de trouver les volumes justes et les coupes, mais comme les collections de prêt-à-porter de cette époque s'inspiraient directement des collections couture, c'était moins difficile.

Comment avez-vous fait pour reproduire le travail d'Yves Saint Laurent sans avoir accès aux archives de la fondation Bergé ?
J'ai eu accès à beaucoup de documentation, dont celle d'Olivier Châtenet qui possède tous les magazines de cette époque-là. Je connaissais la mode de Saint Laurent grâce aux nombreuses expositions que j'ai vues. Mais c'est grâce aux archives que j'ai pu être la plus fidèle possible. La plus grande difficulté a été de reproduire la collection de 1971. Il s'agissait de se mettre dans la tête de quelqu'un d'autre et de reproduire : "est-ce la couleur qu'il aurait choisi ou pas ?" ... Et par mes recherches, j'étais habitée par cet univers. Cela aidait à trouver les réponses.

Qu'avez-vous appris sur le style de Saint Laurent ?
Il s'intéressait vraiment au corps, à la façon dont on allait bouger, à l'attitude qu'on pouvait avoir dans un vêtement et que ce dernier pouvait donner. C'est LA spécificité de Saint Laurent. Il ne se préoccupait pas que des belles coupes ou des belles matières mais des gens qui allaient vivre dedans. C'est une chose que je savais superficiellement mais là, je l'ai vécue.

Quelle est votre pièce préférée du créateur ?
Je n'ai pas vraiment de pièce iconique. J'adore la robe en mousseline avec les plumes d'autruche. Je trouve que ça a l'air d'un souffle de rien alors qu'elle a une construction complexe. Elle est très osée : c'est nu et à la fois très habillé, très sophistiqué. Je trouve ça fascinant.

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La collection Opéra-Ballet Russe de 1976 dans "Saint-Laurent" © © 2014 MANDARIN CINEMA/EUROPACORP/ORANGE STUDIO/ARTE FRANCE CINEMA/SCOPE PICTURES/CAROLE BETHUEL

Comment fait-on pour habiller Saint Laurent, du moins celui qui l'interprète ?
J'habille d'abord un acteur et avant tout Gaspard Ulliel, qui cherchait à se réincarner en ce personnage avec plusieurs apports : son travail sur sa posture, sur sa voix, sur son attitude et sur le costume et la démarche qu'il aurait avec certains types de chaussures, de vestes, de pantalons. Le tout participe au travail de composition du rôle.

Et pour Léa Seydoux qui interprète Loulou de la Falaise ?
A nouveau, c'est l'actrice que j'ai habillée avant tout, puisqu'elles n'ont pas le même physique. J'ai vu beaucoup de photos de Loulou de la Falaise. Il fallait rendre crédible un personnage qui avait son propre look et un style différent de ce que dessinait Saint Laurent avant qu'il ne la rencontre. C'est elle qui lui a porté l'inspiration des années 70, elle chinait ses vêtements aux puces. Elle s'habillait avec beaucoup de classe, d'imagination et avec peu d'argent. Ce fut une découverte pour le créateur.

Y'a-t-il un personnage qui vous a davantage inspirée ?
J'ai adoré transformer Louis Garrel en Jacques de Bascher. Je n'avais pas d'archive. Je savais juste que c'était un dandy, entièrement habillé par Karl Lagerfeld et j'ai adoré le quasi-créer.

Comment s'est passée votre collaboration avec Bertrand Bonello, après avoir travaillé tous les deux sur l'Apollonide ?
La première collaboration a été un vrai bonheur, il fallait habiller des filles qui vendaient leurs corps : il s'agissait du corps bien plus encore que le vêtement. Ce que j'aime dans le costume, c'est de m'intéresser aux corps des gens et à une incarnation. On s'est bien entendus car on imaginait les mêmes choses. Et recevoir un César pour ce film, c'était très agréable (rires). C'est une belle reconnaissance parmi ses pairs !

Découvrez la bande-annonce de Saint Laurent, au cinéma le 24 septembre : 

"Bande-annonce, Saint Laurent"