Leslie Bedos : "Je suis contre les cases et les jugements trop rapides"

INTERVIEW - Leslie Bedos a réalisé le documentaire "Belle en travaillant", diffusé dimanche 5 mars à 9h25 sur France 5. Cette fresque dépeint avec originalité les difficultés auxquelles les femmes ont dû faire face dans leur route vers l'accès à la vie professionnelle.

Leslie Bedos : "Je suis contre les cases et les jugements trop rapides"
© Leslie Bedos

Aujourd'hui, il semble évident que les femmes travaillent au même titre que les hommes. Vraiment ? Le documentaire Belle en travaillant réalisé par la journaliste, écrivain et chroniqueuse radio Leslie Bedos démontre les obstacles auxquels a dû et fait toujours face la gent féminine pour avoir une vie professionnelle à l'image de son homonyme masculin. En tête, la pression de l'apparence et du physique, ou quand être jolie et apprêtée devient une condition pour obtenir un job et s'y épanouir. Le Journal des Femmes a interrogé Leslie Bedos sur ces luttes féministes toujours en cours pour l'égalité sur le marché du travail. 

Le Journal des Femmes : Pourquoi vous êtes-vous intéressée à ce sujet ?
Leslie Bedos :
C'est parti d'un petit livre très kitsch des années 1970 qui s'appelait Belle en travaillant, avec des photos de femmes coiffées d'une choucroute à l'aide de kilos de laque sur la tête ou encore la garde-robe idéale d'une secrétaire et d'une patronne… Ça m'a fait beaucoup rire et j'ai senti que ça pouvait m'inspirer.

Comment avez-vous effectué votre recherche documentaire ?
Cela fait plus de dix ans maintenant que je travaille avec des archives. Ma documentaliste m'envoie des images, je fais une sélection et j'arrive au montage avec trois heures d'archives pour un film de 52 minutes. Le mur de la salle de montage est envahi de post-it ! Parfois, on est obligés de se détacher de choses auxquelles on croyait tenir et qui ne sont pas essentielles.

Quels sacrifices avez-vous fait pour Belle en travaillant ?
J'ai choisi de garder le cas des actrices et pas celui des mannequins. Ce sont deux métiers dont la beauté fait entièrement partie, mais les comédiennes en parlaient mieux. C'est ainsi que dans le documentaire on voit Jeanne Moreau dire des choses magnifiques sur lesquelles elle a totalement raison. Elle dit que la beauté, ce sont des moments. On peut être magnifique un instant puis être plus terne celui d'après et puis ensuite ça revient. La beauté n'est pas une histoire d'âge.

"La beauté, ce sont des moments"

Quelle serait votre définition de la beauté ?
Je n'ai pas de définition véritable à donner, mais il est vrai que certaines beautés, incontestables, vous laissent bouche bée. Si bien que quand elles rentrent dans une pièce, les conversations s'arrêtent et tous les regards sont portés vers elles. Heureusement pour les autres, il existe différentes formes de beauté. Certaines personnes sont très belles physiquement, mais n'ont rien dans la tête, certaines seront tellement intelligentes et pétillantes que cela les rendra belles à l'extérieur... C'est ça qui est magnifique dans la vie : on laisse une chance aux gens aux physiques plus ingrats, car ils ont du charme. Être beau est un cadeau car cela fait gagner du temps, mais ça n'apporte pas que de la bonté.

Les femmes trop belles dérangent-elles ?
Elles peuvent en souffrir. Les gens trop beaux agacent, comme ceux trop riches ou trop heureux. Nous n'avons malheureusement pas que des bons sentiments en nous et il y a une forme de jalousie qui peut s'installer. Je n'ai pas eu ce problème-là (rires), je fais partie de ces gens qui s'auto-flagellent assez facilement et j'ai beaucoup besoin d'être rassurée. C'est pour cela que pour moi, c'est un vrai sujet, car au-delà de la beauté, cela implique l'image que l'on a de soi-même.

© schuch productions

Vous employez un ton souvent humoristique dans le documentaire. Est-ce pour signifier qu'il faut aborder ce diktat de la beauté avec détachement ?
Fondamentalement, je suis quelqu'un qui n'aime pas les carcans et la beauté en est un. Il faut toujours être comme ceci ou comme cela. Je suis contre ce principe, j'aime la beauté vraie, pour moi une fille vraiment belle l'est aussi quand elle n'est pas maquillée. La beauté est associée au naturel.

Mais la confiance en soir ne passe pas aussi par ces artifices ?

Si bien sûr. Je suis partisane d'être apprêtée un minimum, surtout lorsque l'on prend de l'âge car les traits commencent à fatiguer. On doit faire des efforts pour avoir l'air pimpante et cela passe par un peu de tricherie. Mais je trouve dommage de juger les gens uniquement sur leur apparence. Surtout en voyant ces images d'un entretien d'embauche où la candidature d'une belle fille apprêtée intéresse beaucoup plus que celle d'une fille qui est moins jolie, alors que les deux sont sans doute largement aussi qualifiées... Quand il est dit dans le documentaire que le milieu du travail est "normatif et raciste", c'est vrai. Je suis contre ces cases et ces jugements trop rapides.

"Je suis contre les cases et jugements trop rapides"

Vous avez déjà été victime de ce jugement à l'apparence ?
Je me rappelle que pour une émission de télé, j'étais arrivée en doudoune et à peine maquillée, juste après une journaliste très apprêtée . Il y avait un tel décalage que j'ai senti que j'avais perdu des points ce jour-là. Il m'est déjà arrivé d'être distraite et ne pas faire trop attention à mon apparence et je l'ai payé car les gens font très attention à cela. Trop.

Vous êtes journaliste. Quel regard portez-vous sur l'image des femmes dans ce métier ?
Pendant des années, je n'étais pas du tout dans la séduction dans mon travail car je suis très timide. Je pensais avant tout à bien travailler. Et comme cela marchait bien pour moi et que le téléphone sonnait, je ne me sentais pas du tout dévalorisée en tant que femme. Je n'y pensais même pas. Et puis avec les années, quand j'ai essayé de ne plus être juste chroniqueuse et avoir ma propre émission, j'ai bien vu que c'était compliqué car je ne correspondait pas aux critères attendus, contrairement aux filles que l'on voyait à l'image. Quand je vois une émission présentée par une animatrice qui n'est pas très bonne, mais qui est jolie, je me dis que c'est dommage car une autre personne avec davantage d'épaisseur aurait pu être à sa place.

Cette pression au physique existe-t-elle aussi pour les hommes à votre avis ?
Oui, de plus en plus. C'est quelque chose qui a changé et heureusement, quitte à souffrir, autant que tout le monde y passe. Les hommes font beaucoup plus attention à eux. Aujourd'hui, on voit chez les hommes médiatiques de plus de 40 ans des physiques qu'on ne voyait plus, extrêmement minces, affûtes et élégants. Prenez Macron, Valls, Gilles Bouleau, Laurent Delahousse... C'est quelque chose de nouveau, alors que les femmes ont toujours dû faire attention à leur apparence.

Vous parlez de votre mère à la fin du documentaire. Quelle idée de la beauté vous a-t-elle donné ?
Je suis la fille d'une très belle femme. Quand elle rentrait dans une pièce, les conversations s'arrêtaient. Je pense que je me suis aussi construite par rapport à ça, sans que cela n'affecte notre relation car je l'aimais plus que tout. Ce n'était pas de la compétition ou de la jalousie. Ma mère ne me donnait pas de conseils, c'est en la regardant vivre que j'ai compris à quel point cela demandait du travail d'être impeccable, même si elle avait une beauté naturelle. Elle faisait des exercices pour rester mince, elle avait une alimentation saine, elle a arrêté de fumer au bon moment... Et j'ai réalisé à quel point tout cela n'était pas un hasard, elle faisait attention à tout, mais sans en parler.

"Ça me paraît fou que deux personnes puissent ne pas avoir la même fiche de paie car l'un est un homme et l'autre est une femme

Quelles luttes reste-t-il à mener pour arriver à une égalité entre les femmes et les hommes ?
Le rapport à l'argent m'intéresse beaucoup, ce sera d'ailleurs le thème d'un de mes prochains projets. J'ai appris quand j'étais chroniqueuse à la radio qu'une fille qui faisait simplement des interviews était payée deux fois plus que moi... Mais je n'ai jamais vraiment su si un homme qui ferait le même travail gagnerait plus ou non. Ça me paraît fou, que deux personnes qui se lèvent le matin à la même heure, passent la même journée et sont fatiguées de la même façon puissent ne pas avoir la même fiche de paie car l'un est un homme et l'autre une femme. C'est ahurissant.

Belle en travaillant, dimanche 5 mars à 9h25 sur France 5. Produit par SCHUCH PRODUCTIONS en coproduction avec L'Ina & avec la participation de France Télévisions.