Asaf Avidan : "Je ne veux pas jouer les faux semblants"

L'artiste à la voix écorchée est de retour dans les bacs avec "The Study on Falling", un troisième opus aux sonorités folk-rock. Un disque dans lequel Asaf Avidan semble plus vulnérable que jamais. Rencontre.

Asaf Avidan : "Je ne veux pas jouer les faux semblants"
© OJOZ

"Je m'excuse par avance car mes réponses seront certainement longues et confuses mais je traverse une période assez sombre..." nous dit-il d'emblée. Il faut dire que dans The Study on Falling, son troisième opus, Asaf Avidan raconte sa dernière histoire d'amour en date qui s'est soldée par un échec. Un polyamour de près de deux ans envers Green et Blue - noms de code donnés à ces deux femmes qui ont partagé la vie de l'artiste - teinté de bonheur et douleur. Pour parler de ce chapitre de sa vie, l'artiste israélien a trouvé une nouvelle fois refuge dans la musique et est revenu pour cela à ses premiers amours, le folk-rock américain. Résultat : un opus tendre et plein d'émotions de 11 titres où la guitare et la voix d'Asaf Avidan sont plus que jamais au centre de tout.

C'est dans un café parisien que nous rencontrons l'artiste quelques semaines avant la sortie du disque. Alors qu'il nous dit traverser "l'une des pires périodes de sa vie", Asaf Avidan se livre sans tabous. Confidences. 

Journal des Femmes : Deux années se sont écoulées depuis la sortie de Gold Shadow, votre précédent opus. Qu'avez-vous fait pendant ce temps ?
Asaf Avidan :
Pendant ces deux années, j'ai essayé de comprendre ce qu'est l'amour et une relation sentimentale. Pour cela, je me suis ouvert et j'ai expérimenté de nouvelles formes de relations que je connaissais mais que je n'avais encore jamais testées. Je suis allé dans les extrêmes, j'ai dépassé certains tabous et tenté de comprendre comment les personnes se connectent entre elles.

Comment s'est construit l'album ?
J'ai écrit la toute première chanson The Study on Falling en juillet 2016. A l'origine, Study on Falling est une vidéo chorégraphiée réalisée par Marika Roux, en hommage au bondage. Je m'attendais à une forme de sadomasochisme mais j'ai découvert un chef d'oeuvre, créé par une véritable artiste, qui tente d'exprimer la fragilité, l'absurdité et la souffrance de l'être humain. Je suis tombé amoureux de cette image, et d'elle aussi. Comme dans toute histoire, il y a eu des hauts et des bas et c'est dans l'un des moments les plus sombres de notre relation que j'ai écrit ce titre. L'album parle donc d'elle et de cette autre femme - Green et Blue - avec qui j'ai partagé de bons moments... Il a été écrit avant de réaliser que ce polyamour était voué à l'échec. Ce n'est donc pas un disque de rupture mais il relate les difficultés rencontrées au fil du temps.

Ce n'est pas un disque de rupture mais certaines chansons sont tout de même très sombres…
Je pense qu'il fallait que je sois honnête envers moi-même et le fait est que je suis quelqu'un d'assez triste. En tant qu'artiste, je pense qu'il faut donner de la beauté et de la dignité à ce spectre d'émotions que l'on essaie de combattre et refouler comme le disait Leonard Cohen. Vous me rencontrez dans l'une des pires périodes de ma vie personnelle. Je suis profondément brisé. Mes amis et ma famille me disent de me relever, que ça va passer, mais, sincèrement, je n'ai pas envie de jouer les faux semblants. Il faut laisser ce processus de perte, de tristesse et de manque de confiance en soi se faire, pour mieux se reconstruire ensuite.

"Ecrire me permet de donner un cadre à mes émotions"

Ecrire est donc une thérapie ?
Toujours, même si cela sous-entend qu'écrire m'aide à me sentir mieux. Je le compare à la chimiothérapie que j'ai faite il y a quelques années… Le processus est long et douloureux, mais à la fin, il y a la guérison et tous ses bienfaits. Tu survis si tu tues assez de mauvaises choses. Je pense qu'écrire est thérapeutique mais le processus est incroyablement douloureux. Dans Different Pulses, je commence en disant "My life is like a wound I scratch so I can bleed, Regurgitate my words, I write so I can feed" (Ma vie est comme une blessure que je gratte pour pouvoir saigner, régurgiter mes mots, j'écris pour pouvoir me nourrir, ndlr). Je prends ces émotions pour les transformer en quelque chose de meilleur, créer une structure pour tenter de contrôler cette vie qui nous échappe totalement. Cela nous donne du pouvoir en quelque sorte.

Vous arrive-t-il d'écrire sur des sujets plus légers ?
Il m'est arrivé de parler de la météo et des oiseaux mais toujours comme métaphores de mes sentiments. Je suis brisé mais je ne veux pas être dramatique pour autant. J'ai réalisé qu'une grande partie de moi-même a besoin d'être regardé par quelqu'un d'autre pour se sentir exister. J'ai essayé de me soigner et j'aimerais que mon prochain album soit plus positif, mais, dans l'immédiat, je ne me sens pas de le faire... C'est la triste réalité et c'est ce que je ressens à chaque nouvel album. Quand je vais bien, je n'écris pas, je profite du moment présent à la place. Ecrire me permet de me comprendre... La conséquence est que mes albums sont assez sombres... C'est plutôt déprimant tout ça (rires). 

Le clip de My Old Pain : 

Vous avez enregistré cet album aux sonorités folk-rock aux Etats-Unis. Une façon de vous imprégner de l'atmosphère ?
C'est la première fois que j'enregistre en dehors d'Israël. Mon premier EP Now that you leaving contenait déjà ces sonorités-là. C'est un retour aux sources en quelque sorte. Tous les styles de musique me parlent, mais si je devais n'en choisir qu'un, ce serait l'Americana. J'ai toujours été influencé par Bob Dylan et ses premiers disques m'inspirent beaucoup. Pour The Study on Falling, je voulais pour la première fois me focaliser sur un seul genre de musique. J'ai même travaillé avec Mark Howard, qui a collaboré avec Dylan dans le passé. Pour mes précédents disques, je voulais retrouver ces sonorités de groupe auxquelles j'étais habitué en utilisant un clavier, un samplepad... Pour celui-ci, j'ai beaucoup voyagé avec ma guitare et ce son acoustique m'a suivi tout le long. Je pense que c'est lié à ça, c'est une affaire de circonstances.

Vous avez déclaré dans une interview en 2015 que The Mojos reviendrait peut-être un jour. Qu'en est-il aujourd'hui ?
Je ne pense pas… (Il réfléchit, ndlr) J'aime profondément ces personnes, je les ai longtemps considérées comme ma famille mais on ne se voit plus trop… J'en ai les larmes aux yeux ! Je sais ce qu'ils deviennent, certains sont en Israël, d'autres à Berlin ou New York… Le 23 mars 2018, ce sera mon 38e anniversaire mais aussi les 10 ans de la sortie de The Reckoning, notre premier disque. Ce serait génial de faire un concert à Tel-Aviv, là où tout a commencé... J'ai appris à ne jamais dire jamais mais cela semble peu probable. C'est triste mais c'est comme avec les ex. Tu les aimes, ils occupent une place dans ton coeur mais tu ne retournes pas dans leurs bras. 

"Sur scène, je m'abandonne complètement"

Pensez-vous déjà au prochain album ?
Pas encore... Après avoir quitté The Mojos, j'ai enregistré un disque de jazz que j'ai jeté. Je ne le trouvais pas assez bien mais j'aimerais le retravailler un jour. Ma carrière aurait sûrement été très différente s'il était sorti. 

Vous serez à l'Olympia les 16 et 17 novembre prochains et entamez une tournée en province. Que ressentez-vous sur scène ?
C'est un exercice très intense pour moi. En temps normal, j'essaie d'être le plus honnête possible et de faire en sorte que l'image que je renvoie corresponde à ce que je suis à l'intérieur. Sur scène, cela m'est plus facile. Les chansons, les paroles, la musique et les personnages me permettent un abandon complet. C'est parfois douloureux, ennuyant aussi, et cela ne fonctionne pas toujours, mais généralement, il y a au moins 5 minutes qui m'auront profondément touché. C'est thérapeutique. Ecrire des chansons l'est mais la scène l'est davantage car je ressens l'émotion du public.

© OJOZ

Comment savez-vous que vous avez écrit une bonne chanson ?
Quand je pleure (rires). Ça ne veut rien dire mais une bonne chanson a tendance à m'émouvoir. Il faut se demander pourquoi tu pleures : à cause de ce que tu vis ou de l'émotion suscitée par les paroles ? Il m'arrive aussi d'écrire des textes incroyables avant de réaliser qu'une personne les a déjà écrits avant moi. Dans ce disque, je trouve d'ailleurs que la chanson Holdin up to yesterday ressemble à un titre de Time out of mind de Dylan... C'est inconscient.

Vous n'aimez pas que l'on vous parle de votre voix. Pourtant, elle est porteuse d'émotion... 
Quand on me parle de l'émotion ressentie, cela ne me dérange pas. Ça me flatte plutôt. J'écoute moi-même de la musique que je ne comprends pas juste parce que la voix m'a interpellé. Honnêtement, je m'en fiche... Les mots, ma voix et la mélodie sont des outils qui forment un ensemble d'émotions.

The Study on Falling, 3e album d'Asaf Avidan, dans les bacs le 3 novembre 2017, Polydor/Universal