Lana Del Rey : "J'étais bloquée dans le passé"

Après avoir envoûté le public du Lollapalooza, Lana Del Rey nous accueille chaleureusement en coulisses. A 32 ans, la chanteuse aux allures de vamp rétro affiche ce soir-là le même sourire que sur la pochette de son nouvel album, "Lust for Life". Un opus teinté d'espoir dans lequel sa voix captivante célèbre l'amour, l'avenir de l'Amérique et la liberté. Rencontre d'après minuit.

Lana Del Rey : "J'étais bloquée dans le passé"
© Neil Krug

Lana Del Rey nous ouvre la porte de sa loge après "un de ses meilleurs concerts" : son show pluvieux au festival parisien Lollapalooza. Pieds nus sur le canapé, un thé citronné à la main, le fantasme hollywoodien découvert avec "Video Games" laisse place à une jeune femme charmante, drôle et légère. Depuis qu'elle s'est muée en Lana Del Rey, Elizabeth Grant traîne l'image d'une starlette vintage, croisée quelque part entre Hollywood Boulevard et Mulholland Drive, aux alentours des années 30 ou 50. Une diva inaccessible, à la voix d'ange et aux yeux de biche, qui bat des cils pour éviter de trop en dire. Sur son sofa alors qu'elle répond à nos questions, la fascinante New-Yorkaise n'a d'intimidant que sa volumineuse chevelure, de laquelle elle rit. Avec son quatrième album Lust for Life, le cliché sépia d'un Los Angeles romantique s'étiole pour dessiner les contours d'un univers rêvé, un peu mystique et résolument lumineux. A l'image de la fille cool qui se marre face à nous : "Il est minuit et demi ! J'ai l'honneur de vous annoncer que c'est mon interview la plus tardive." Rayonnante Lana.

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Le Journal des Femmes : Quel est votre titre préféré sur Lust for Life ?
Lanal Del Rey : J'adore "Summer Bummer", le duo avec A$ap Rocky, que j'écoute en voiture. Et "Get Free" est très importante pour moi parce qu'elle amorce un changement de direction...

 

"Get Free" clôt l'album, juste après "Change". Le message semble clair : Lana Del Rey est en évolution...
Totalement ! Et je suis terrifiée à l'idée de savoir ce que je vais faire (rires) ! Je peux déjà annoncer que ce sera très différent de ce que je pense. Mes albums sont révélateurs pour moi. C'est étrange, je me rends compte à quel point ils font sens uniquement quand je regarde en arrière. Pendant sa réalisation, j'étais persuadée que Lust for Life allait sonner différemment des précédents CD. Finalement, pas tant que ça.

"J'aime agir à la dernière minute"

 

Donc vous ne savez pas quel sera votre prochain projet ?
Il y a tellement de chansons qui ont fuité que je pensais faire un CD avec mes préférées, mais je ne voudrais pas que ça détourne l'attention. J'ai aussi laissé de côté cinq titres prévus sur Lust for Life pour une raison précise. Je n'ai pas encore décidé si j'allais partir d'eux pour la suite. Et j'avais commencé une mixtape avec des duos, un truc hip-hop… mais je pense que je vais surtout me concentrer sur la tournée pour l'instant, vu que je suis déjà sur la route. Je préfère me laisser porter ! J'aime agir à la dernière minute. Je ne supporte pas la pression des choses planifiées à l'avance. C'est tellement plus simple quand on me dit "pourquoi pas demain ?" et que je réponds oui.

La célébrité vous empêche-t-elle d'agir comme vous le souhaitez ?
Elle peut rendre certaines choses compliquées, mais je travaille beaucoup sur moi pour que tout reste normal. Et je m'en tire bien ! Je sors tout le temps. Je réalise que je n'ai pas de problème tant que mon énergie est saine. Mes journées sont assez basiques, Je suis en studio de midi à 17 heures tous les jours, avant d'aller me balader.

Dans vos deux derniers clips, on retrouve votre touche vintage, mais avec un twist science-fiction, presque mystique. Alors que les gens vous imaginent comme une icône du passé, vous vous révélez tournée vers l'avenir...
Je suis mystique dans l'âme. L'histoire de l'ésotérisme et de la magie me parle. J'aime l'idée d'être sur la Lune pour Love ou dans une ambiance futuriste pour le clip de White Mustang, qui va bientôt sortir. C'était important de marquer symboliquement que je vais de l'avant. J'ai consciemment voulu orienter ma vie vers le futur. Ce renouveau devait aussi être allégorique. C'est amusant comme de nouvelles images vous apparaissent quand votre vision des choses évolue. Je me rends compte que j'étais bloquée dans le passé. Je n'aurais jamais pensé à ces univers il y a quelques années.

Le titre de l'album, qui signifie "joie de vivre", est évocateur de votre nouvel optimisme. Quel a été le déclic ?
Depuis la sortie de "Video Games" il y a six ans, je chante à propos de moi. Il m'a fallu plus de temps que la plupart des gens pour évoluer. Du lycée à aujourd'hui, il s'est passé beaucoup de choses ! Quand j'ai commencé cet album il y a un an et demi, je me suis sentie davantage observatrice, plus à l'écoute des autres. Et puis le changement de président aux Etats-Unis a créé un chaos impossible à ignorer.

© Neil Krug

D'où vos premiers titres engagés : "God Bless America" et "When the World Was At War We Kept Dancing"...
Oui, ce sont mes chansons les plus intentionnelles. J'ai commencé l'album avant les élections et les Women's March, mais quand c'est arrivé, j'ai été choquée comme tout le monde. Sur "When the World Was At War We Kept Dancing", je chante "is it the end of America ?"… Je n'étais pas sûre de mettre ce titre sur l'album parce que je n'aime pas m'entendre poser la question. J'adore l'idée de l'Amérique. mais l'interrogation était inévitable.

C'est aussi la première fois que vous sortez des duos (avec The Weeknd, A$ap Rocky, Sean Lennon...). Comment est née cette envie ?
Je voulais mettre un peu de feu dans l'album avec quelques titres sexy. A$ap Rocky et Abel (The Weeknd, ndlr) sont les deux personnes que je connais le mieux dans la musique. Ils ont le pouvoir de rendre un son sexuel juste avec leur assurance. Ils apportent de la luminosité à Lust for Life. J'ai aussi voulu collaborer avec Sean Lennon parce qu'il représente l'amour rien que par son héritage,

On vous entend déjà sur l'album Beauty Behind the Madness de The Weeknd, sorti en 2015. Vous vous connaissez bien ?
On s'est rencontrés en 2011. Il a été l'un des premiers chanteurs un peu connus à parler de ma musique, à la partager sur son Tumblr, sur Twitter… Je suis certaine que "Blue Jeans" et "Video Games" ont fini par passer à la radio grâce à lui. Si je faisais un duo, il voulait être le premier. Quand je l'ai appelé pour lui annoncer que j'envisageais d'avoir des collaborations sur l'album, il a immédiatement débarqué.

 

Dans "Summer Bummer", vous chantez "il n'est jamais trop tard pour être celle que vous voulez être". On peut dire que vous y êtes parvenue ?
Je suis fière de la personne que j'étais et de celle que je suis devenue. La vie reste un défi, qu'on soit célèbre ou pas. Je me suis demandé un million de fois comment j'allais surmonter certaines épreuves. J'ai le sentiment d'avoir fait plus que de mon mieux à chaque fois. C'est ce qui me rend fière.

"Je suis fière de celle que j'étais et de celle que je suis devenue"

Transformer la discrète Lizzy Grant en Lana Del Rey, icône tatouée aux ongles longs et aux cheveux bombés, vous a aidée ?
Oui… Même si je pense que je vais faire enlever mes tatouages. Je n'aime plus les plus foncés ! (Elle en montre des très discrets sur ses avant bras et au niveau de ses clavicules) : Ceux-là sont signés Mark Mahoney, une de mes personnes préférées sur Terre. Il est une grande inspiration pour moi, il apparaît d'ailleurs dans deux de mes clips : Shades of Cool et West Coast. Pour mes ongles, vous avez remarqué ? Ils ne sont même pas faits ! Je suis montée sur scène avec des ongles à moitié manucurés ! C'est là que je me suis dit : "T'as vraiment changé, t'es une épave" (rires).

Lust For Life, disponible depuis le 21 juillet 2017 chez Polydor.