Marc Lavoine nous raconte l'aventure des Souliers Rouges

Marc Lavoine se lance pour la première fois dans la réalisation d'un conte musical, adapté de l'oeuvre d'Andersen, aux côtés de Coeur de Pirate et d'Arthur H. Rencontre avec l'artiste aux yeux revolver.

Marc Lavoine nous raconte l'aventure des Souliers Rouges
© IBO SIPA

En ce jour de sortie de l'album "Les Souliers Rouges", Marc Lavoine nous a donné rendez-vous à l'hôtel Saint Roch à Paris, entièrement décoré par sa femme Sarah Lavoine. Après des albums à succès, le cinéma, l'écriture ou encore le théâtre, Marc Lavoine ajoute une corde à son arc en écrivant les 15 chansons de ce conte musical, adapté de l'oeuvre d'Anderson et porté à l'écran en 1948 par les réalisateurs britanniques Michael Powell et Emeric Pressburger.

Aux côtés de son complice, le compositeur Fabrice Aboulker, il s'entoure de deux artistes de talent : Béatrice Martin alias Cœur de Pirate et Arthur H. Ensemble, ils interprètent un trio maudit : une danseuse qui rêve d'opéra pactise avec un chorégraphe diabolique (Arthur H), qui souhaite renouer avec le succès et la gloire. Celui-ci devient son pygmalion et leur relation est ambiguë. Mais celle qui porte les souliers rouges devra renoncer à l'amour au risque de perdre la vie. Sa rencontre avec l'auteur de ce ballet, incarné par Marc Lavoine, ne se fait pas attendre. Elle devra faire le choix entre la danse et ses sentiments. La malédiction prend forme : cette relation infernale la mène à sa perte et la jeune danseuse meurt sur les planches.

Les Souliers Rouges, album sorti le 9 septembre 2016 © Barclay 2016

Le Journal des Femmes : C'est la première fois que vous réalisez un conte musical, qu'est-ce que cela représente pour vous ? Comment a débuté ce projet ?
Marc Lavoine
: Cela représente sept ans de travail et un an d'enregistrement, mais aussi beaucoup d'humanité. Au départ, Jean-Paul Goude et Victor Bosh confient à Fabrice Aboulker le conte d'Andersen Les Souliers Rouges. Ce dernier me propose de les rejoindre dans  ce beau projet. Nous avons travaillé avec de grands musiciens (Valentine Duteil, Clément Ducol, François Delabrière, l'orchestre de Londres...). L'aventure collective a toujours été pour moi la plus intéressante. Le conte d'Andersen m'a bien sûr beaucoup inspiré. On parle d'une jeune fille qui rêve de devenir une star. Elle met ses chaussons et ne peut plus les retirer. En fait, ce n'est pas elle qui danse : c'est l'illusion des chaussons qui la fait devenir une star, jusqu'à l'épuisement. Elle finira par se faire couper les pieds par un bûcheron et mettra sa vie au service des autres. Nous avons donc adapté ce conte en une tragédie musicale, dans laquelle on retrouve un triangle amoureux où se mêlent l'ambition, l'amour et la trahison, comme dans l'Enfer de Clouzot. Romy Schneider, dévorée par la gloire, brisée par l'amour, est ici incarnée par la chanteuse/danseuse Béatrice Martin.

Travailler avec Cœur de Pirate et Arthur H sur ce projet : une évidence ?
Ce n'est pas moi qui leur ai proposé de participer à cette aventure, ce sont plutôt eux qui ont accepté. Je leur ai envoyé des chansons. Au départ, je n'étais moi-même pas distribué dans le casting. Je me suis donné le rôle du poète alors que je m'étais attribué celui de "Faust". Au départ, je ne voulais pas figurer dans ce trio, car il y avait à mon goût trop de batteries et de synthé. Mais lorsqu'on a tout retiré, ma fille Yasmine, qui n'avait pas entendu les chansons a fini par les écouter et les apprécier. Même chose pour Simon, mon fils de 30 ans. Ils ont enfin découvert un langage, une histoire, la bande-son d'un ballet imaginaire. Béatrice et Arthur, qui sont également des auteurs compositeurs, se mettent ici au service de leur personnage, et chantent différemment. C'est aussi ce qui m'a intéressé...

Dans Les Souliers Rouges, la danseuse est face à un dilemme : la succès ou l'amour. Quel est le choix le plus difficile auquel vous avez été confronté ?
Je n'ai jamais renoncé à l'amour, ni au partage. Je crois que l'on partage le centre des choses, que ce soit avec vos enfants, votre amour, votre partenaire de scène, vos copains musiciens et vos amis artistes. Ma construction personnelle, mon épanouissement dépend de mon rapport à l'autre. J'ai parfois des dilemmes de conscience, lorsque je suis en train de mentir par exemple ou que j'ai l'impression de mal agir avec une personne, mais je me bats contre cela.

Vous avez écrit les 15 chansons de l'album Les Souliers Rouges. Quel est le titre que vous préférez ?
"Qu'il est difficile" est une des chansons qui me touche le plus, pour des raisons personnelles. Quand on écoute le texte, on peut comprendre pourquoi.

J'aime beaucoup "Les Ailes des Anges", "Viens Danser" et celle que l'on interprète à trois "Vivre ou ne pas vivre", qui me bouleversent d'une façon différente. Chez Arthur, j'apprécie particulièrement le titre "Comme je sais". Il y a une sensualité dans sa façon de chanter et d'interpréter Faust, qui était nécessaire au personnage. Enfin, "Nijinski" fait sans doute partie de mes préférées. J'adore la façon dont Béatrice la chante et le côté un peu plus guitare de la mélodie. J'aime bien cette "petite femme" avec les yeux d'une fillette qui admire des posters dans sa chambre et qui s'imagine tout un monde. Cette vulnérabilité, la beauté de sa voix et l'harmonie des cordes, des guitares...

La danse tient une place importante dans ce conte musical. Est-ce un art que vous appréciez ?
J'adore tous les fragments que j'en connais, je suis un apprenti ignorant. La danse est une histoire, et lorsqu'on y entre, c'est une vocation profonde. Il s'agit certainement de l'art le plus difficile qui soit physiquement, où l'âme et le corps sont mis à rude épreuve. La danse reste un art face auquel je suis le plus désarmé. Le clip "Rêve d'Opéra" a été réalisé avec une danseuse dans un Paris entièrement vide, face aux marches de l'Opéra. Les gens absorbés par leur téléphone portable vont lever leur nez pour l'admirer, danser et applaudir. Ils quittent alors le numérique pour revenir à une réelle émotion à travers la danse classique.

Vous avez préparé ce projet durant 8 ans. Avez-vous eu des doutes ?
Oui, il arrive parfois d'être sur une mauvaise direction. Il y a donc eu des moments de doutes. Mais le fait d'avoir supprimé toutes ces choses qui ramenaient à la temporalité - c'est à dire les batteries, les synthétiseurs - a permis de suspendre la musique dans l'espace et de me redonner une grande respiration et de l'espoir. "Les Ailes des Anges", c'est finalement cette chanson qui nous a aidé à ne pas abandonner le projet. Fabrice Aboulker et moi avons travaillé ensemble dès 1978. Nous n'étions donc pas prêts à faire quelque chose qui ne nous ressemble pas.

Ce conte musical pourrait-il donner suite à d'autres projets, notamment une comédie musicale ?
Il s'agit avant tout d'une tragédie musicale qui pourrait éventuellement devenir un ballet si un chorégraphe s'y intéresse, ou une série de concerts avec Béatrice et Arthur H, accompagnés d'un orchestre classique... Mais l'album sort tout juste. Nous avons fait la bande originale du spectacle que chacun peut imaginer à sa manière en l'écoutant. A présent, d'autres chansons vont être mises en images, notamment "Oh mon amour", et pourquoi pas "Nijinski" ?...

Vos projets pour cette année à venir ?
Je pars au théâtre pour quatre mois, dès le mois d'octobre, pour jouer dans Le Poisson Belge aux côtés de Géraldine Martineau. Je préparerai ensuite l'adaptation de mon livre "L'Homme qui ment" à l'écran, à partir de février 2017. Le tournage aura lieu au printemps dans le Mans, avec François Cluzet. Dans le même temps, je sortirai un single et un album, suivi d'une tournée en septembre prochain...