La Grande Sophie, saisissante, regarde le monde, sans le toiser

Rencontre marquante avec La Grande Sophie, une artiste aussi profonde que talentueuse, dans le cadre de la sortie de "Nos histoires", un album qui sonne comme une ode aux rencontres.

©Cesar Blay

Quand nous arrivons sur le lieu de la rencontre avec Sophie Huriaux dite la Grande Sophie, la chanteuse exécute un magnifique live promotionnel en guitare-voix de "Hanoï", un titre envoûtant qui nous emmène dans les rues de la capitale du Vietnam. C'est notre coup de coeur de l'album, ce qui ne gâche rien.  Solaire et décontractée elle nous salue et nous livre "son" histoire. Celle d'un septième album où elle manie les mots et les notes avec grâce et dextérité.

Le Journal des Femmes : Sophie, vous revenez avec "Nos histoires", trois ans après votre précédent album  "La place du fantôme". Pourquoi avoir attendu si longtemps ?
La Grande Sophie :
J'ai besoin de temps quand j'écris un album. Il m'est essentiel de prendre du recul sur ce que j'écris et compose.

Dans cet album vous évoquez des rencontres, des instants de vie, c’est un album davantage tourné vers les autres et le monde que le précédent, plus introspectif.
C'est vrai. Le précédent album était plus sombre aussi. D'ailleurs la pochette était en noir et blanc, ce qui  est assez révélateur. Là, j'avais besoin de luminosité, de m'adresser à l'autre. En faisant cela, on apprend à se connaître. La correspondance avec l'autre est quelque chose qui me parle beaucoup. C'est une sorte de miroir.

La transition entre les deux  disques a été difficile ?
Pas vraiment. La première chanson, Hanoï est venue assez naturellement. Je l'ai écrite après mon voyage dans cette ville du Vietnam où ma précédente tournée s'est achevée. Là-bas, rien ne s'est passé comme prévu. Je devais donner un concert dans un stade avec des groupes vietnamiens, mais il y a eu la mort du Général Giap qui est un peu l'équivalent du Général de Gaulle chez nous.  S'en sont suivis des jours de deuil dans tout le Vietnam et l'on a dû tout annuler. J'ai tout de même voulu rester là-bas et visiter le pays. C'était sans compter sur  l'arrivée d'un typhon.. . Je me suis laissée aspirer par cette ville où j'ai rencontré des gens vraiment charmants avec qui je corresponds encore et que j'espère revoir. Il y a une énergie là-bas. Quand je suis rentrée en France, instinctivement et naturellement,  j'ai eu besoin de garder une trace de ce voyage et j'ai écrit Hanoï.

Parmi toutes les rencontres que vous avez faites, si vous deviez n’en retenir qu’une, celle qui a le plus impacté votre vie, ce serait laquelle ?
Ma rencontre avec Delphine De Vigan a été importante. Elle est venue me chercher pour un festival littéraire qui s'appelle Tandem et qui faisait des lectures musicales. On a monté ensemble une lecture qui s'appelait L'une et l'autre. Il s'est tout de suite créé une grande complicité entre nous, si bien qu'elle est aujourd'hui devenue une amie. Delphine en est à son septième roman, et moi j'en suis à mon septième album et donc nous nous sommes rencontrées alors que nous étions en pleine écriture toutes les deux. Certains passages de ces livres faisaient écho à mes chansons. Mais ce n'est pas tout, son roman, Jour sans fin m'a donné envie d'écrire Je n'ai rien vu venir, que j'ai gardée. C'est un peu ma chanson pour Delphine.

Vous abordez dans "Les portes qui claquent" et "Tu dors", les liens sans réciprocité. Est-ce que c'est quelque chose qui vous angoisse ?
Cela fait partie de la vie malheureusement. Au début, il y a cet enthousiasme quand on rencontre une nouvelle personne qui parvient à éveiller notre curiosité.  On se dit qu'on aimerait bien revoir la revoir mais ce n'est pas forcément réciproque. C'est le thème abordé dans "Les portes qui claquent". En revanche, dans "Tu dors", c'est différent. J'aborde le fait de savoir réveiller cette rencontre qui est devenue un  lien amical ou amoureux. Parfois ce lien est toujours présent mais demande à être entretenu. C'est important de secouer son petit drapeau, et de réussir à surprendre l'autre, pour la longévité d'une relation. Ce qui m'émeut dans la vie ce sont les choses qui durent. Je suis touchée quand je vois un vieux couple dans la rue qui se tient la main. Je m'arrête, je les regarde. Je me dis que tout ce qui est sur la longueur, est quelque chose qu'il a fallu consolider et je trouve ça beau. A l'époque à laquelle on vit, où tout va très vite et où l'on passe vite à autre chose, je remarque que ce qui me plaît et me parle ce sont plutôt les liens qui s'étirent.

Il y a une sorte de mélancolie ambiante dans votre voix, on a l'impression qu'elle peut donner un certain poids à n'importe quel mot. Est-ce que ce n'est pas un frein quand vous avez envie de montrer une facette un peu plus légère de vous ?
Depuis quelques albums, cette mélancolie j'arrive à l'emmener où je veux. Dans mes premiers disques, ce que l'on retenait c'était plutôt la joie qu'il pouvait y avoir dans ma voix et elle était parfois un peu trop excessive à mon goût. C'est ce que je ressens en me réécoutant aujourd'hui.

Sur cet album, il y a votre premier piano-voix. Vous dîtes que vous ne l'avez pas fait avant, par pudeur...
C'est très inspirant de changer d'instrument. Bien que je ne maîtrise pas totalement le piano, j'ai pu composer ce morceau. Ensuite  il m'a fallu trouver quelqu'un qui pourrait l'interpréter comme je l'entendais et j'ai tout de suite pensé à Jeanne Cherhal avec qui j'ai une grande complicité. En plus d'être une très bonne pianiste, c'est une chanteuse que j'apprécie. J'ai été très heureuse qu'elle accepte ma proposition. Ce morceau je vais devoir le jouer sur scène.  J'appréhende car le piano-voix c'est très dépouillé. 

©Cesar Blay

Est qu’il y a des choses que vous regrettez de n’avoir pas pu faire dans votre vie à cause de ce trait de caractère (la pudeur, ndlr)?
Certainement. Je n'en ai pas toujours confiance conscience. Je pense que je me bride à certains moments. Par exemple, je déteste devoir expliquer mes chansons. Je trouve que j'en dis déjà tellement… Ce qui est beau avec une chanson, c'est que chacun va l'interpréter à sa manière,  se l'approprier et les mots ne seront plus les miens mais ceux des autres.  A partir de là, les chansons ne m'appartiennent plus.

En parlant de relations durables, est-ce que vous êtes toujours en contact avec Olivia Ruiz, Camille et Emily Loiseau avec qui vous aviez monté le groupe Les Françoises en 2011 ?
Régulièrement, on prend des nouvelles, les unes des autres. Je pense que chacune suit les projets des copines. On a peu le temps de se réunir toutes, mais quand on peut aller voir le concert de l'une ou de l'autre on le fait avec grand plaisir.

Dans la chanson Maria Yudina, vous mettez à l’honneur la célèbre pianiste russe, connue pour avoir été une fervente opposante au régime soviétique de Staline. Qu’est-ce que vous voulez exprimer ?
Quand je dis "je ne suis pas Maria Yudina", c'est une forme d'admiration. Evidemment que je ne suis pas elle, mais je comprends et j'entends sa lutte, sa résistance. Je l'ai découverte un peu par hasard il y a peu de temps. Elle a une histoire incroyable. C'était une opposante au régime de Staline, une résistante.  J'ai tout de suite imaginé ce petit bout de femme en train de se battre, juste avec ses idées et son piano. L'ironie c'est que bien malgré elle, elle était la pianiste préférée de celui qu'on appelle "le petit père des peuples".  Je me suis souvent demandée ce que j'aurais fait si j'avais été à sa place.

D’où vous est venue l’envie de faire de la musique ? Est-ce que vous avez grandi dans une famille d’artistes ?
Mon père avait formé un groupe quand il était jeune, avec son frère. Il y a avait donc une batterie à la maison, mais c'est mon frère qui s'en est emparé. Moi j'ai appris la guitare à l'âge de 9 ans environ. A 12 ans, j'ai écrit ma première chanson et un an plus tard, j'ai monté mon premier groupe, Entrée interdite avec mon frère. Tous les week-ends on répétait dans le garage de mes parents. C'était notre exutoire, notre passe-temps. On faisait des reprises. Notre premier concert c'était au collège. On avait eu l'autorisation de jouer dans la classe. C'était un grand moment.

Est-ce que votre éducation a influencé sur votre univers musical ?

Certainement oui. Il y avait d'un côté mon père qui écoutait de la musique anglo-saxonne : Les Beatles, les Rolling Stones, Mamaz and The Papaz, Jimmy Hendrix... De l'autre,  il y avait ma mère qui écoutait Anne Sylvestre, Georges Brassens, Georges Moustaki, Renaud..A l'époque, moi, j'étais  très "paillettes" (rires). Tout ce qui avait des strass m'attirait. J'étais complètement fan de Sylvie Vartan, de Sheila...

Est-ce qu’il vous arrive d’utiliser  votre art pour faire passer un message ou dénoncer des maux de notre société ou est-ce que vous faites partie de ces  artistes qui  ne souhaitent pas que leur musique soit engagée ?
Certains  artistes font très bien passer des messages à travers leur musique. Moi je privilégie l'émotion, le ressenti, voire la maladresse si elle est touchante.

Est-ce que ça veut dire que vous êtes moins sensible à toute cette nouvelle génération qui exerce ce métier d'une manière très calibrée ?
On est dans l'ère de l'image. Je remarque que la nouvelle génération d'artistes contrôle tout. La télé, le Net, elle a tout assimilé... Moi, quand j'ai commencé il n'y avait pas les réseaux sociaux, c'était le début de l'informatique. Imaginez...

©Cesar Blay

En clin d'oeil à votre nom de scène "La grande Sophie", voici des questions "grands moments" :

Votre plus grand bonheur ?
Mon plus grand bonheur ce sont des petits moments. Un détail, un rendez-vous, un dîner imprévu. On court faire les courses et élaborer le menu. Tout se prépare de façon spontanée et imprévue. J'aime profiter de l' instant présent.

Votre plus grand regret
Celui d'avoir remis ma grosse caisse à la cave (rires). Je me demande comment elle va le prendre (rires). Il y a des choses qui me rassurent sur scène. Avant c'était mes Doc Martins, mais j'ai réussi à m'en séparer...

Votre plus grande fierté
Jouer au piano sur la tournée. Quelque part je me dis que c'est une première pour moi donc je serai fière si j'arrive à aller jusqu'au bout. J'appréhende  énormément.

Votre plus grande peur
Je suis une grande trouillarde. Sans doute la maladie.

Votre plus grande honte
Très souvent, je créé des quiproquos. Au cours d'une conversation, il m'arrive d'intervenir au mauvais moment et par ma faute personne ne comprend plus rien. 

Votre plus grande bêtise ?
Je fais des blagues en permanence. Je peux passer des heures à me cacher et attendre que la personne arrive juste pour faire "Bouh".

Un prochain "grand" voyage ?
J'aimerais découvrir d'autres pays d'Asie et également retourner en Islande. J'ai eu l'impression de poser les pieds dans un aquarium vide à cause des décors : des rochers spongieux, des couleurs incroyables...