Diane Ducret : "Je n'écris pas avec mes ovaires !"

Diane Ducret s'est interessée aux épouses de dictateurs, de gangsters, mais aussi au sexe féminin. Cette fois, dans son nouveau roman basé sur sa vie et baptisé "La meilleure façon de marcher est celle du flamant rose", l'auteure livre un témoignage de résilience et de résistance résolument inspirant. Rencontre.

Diane Ducret : "Je n'écris pas avec mes ovaires !"
© Roberto Frankenberg - Flammarion

Le Journal des Femmes : La meilleure façon de marcher est celle du flamant rose est-il un roman ? Une autobiographie ? Un exutoire ?
Diane Ducret :
Tous les faits sont réels. Ce n'est pas une autobiographie et ce n'est pas non plus un exutoire, parce que ce ne serait pas la même énergie. La littérature n'est pas le lieu où l'auteur peut faire sa psychanalyse. C'est un exercice trop égoïste et ce serait prendre en otage le lecteur dans une histoire privée dont il n'a pas forcément envie de faire partie. C'est quand je me suis rendue compte que j'ai eu le parcours du flamant rose que j'ai pris mon envol, malgré mes boulets aux pieds. J'ai eu envie de transmettre cette histoire-là : je n'ai rien d'exceptionnel, si j'ai réussi, d'autres le peuvent aussi. C'est plus un roman d'inspiration ou d'initiation.

C'est aussi la première fois que vous vous livrez autant sur votre vie.
J'avais déjà fait un premier roman inspiré par ma vie, Corpus Equi, sur le ton de la poésie, qui était une ode au cheval comme métaphore de la liberté. Dans mon nouveau livre, Enaid est mon double romanesque. Là encore, le flamant rose est une métaphore de l'originalité, de l'invincibilité, de l'enfance, de la beauté qui résiste malgré les tempêtes. Un peu comme le roseau pensant de Pascal. Cet animal est monté à l'envers au niveau des jambes, on a l'impression qu'il sort d'Alice au pays des Merveilles, mais il est capable de voler jusqu'aux Caraïbes. Il est improbable ! 

L'héroïne se prénomme Enaid… soit Diane, à l'envers.
Enaid, c'est le personnage du roman intérieur que l'on se raconte parfois à soi-même. Que l'on soit auteur ou pas, on a tous ce double romanesque qui vit les mêmes choses en même temps, mais avec une superbe, un humour, une grâce que l'on n'a pas forcément. On connaît la loi de Murphy, celle de l'emmerdement maximum. La loi d'Enaid, c'est cette loi selon laquelle tout ce qui peut se passer se passera mal, et puis encore plus mal. Mon double romanesque a préféré en rire.

N'avez-vous pas peur que l'on vienne fouiller dans votre vie après en avoir autant dévoilé ?
Ce n'est pas très grave. Comme je suis aussi essayiste, je n'ai pas ce problème vis à vis de la vérité. En revanche, ce qui est intéressant, c'est le point de vue : l'histoire de cette personne dont on pourrait penser que les bonnes fées se sont penchées sur son berceau, alors qu'elles s'y sont plutôt endormies. C'est cet humour là qui prime. Les faits manquent d'humour. J'ai réellement été handicapée : on peut dire que j'étais boiteuse, ce qui est un fait, ou un flamant rose, ce qui est un point de vue. Cela fait la différence, qui fait qu'on s'envole ou pas. On peut guérir de tout si on a cette différence de regard.

Pensez-vous que nous sommes tous égaux face à la résilience ?
Cette obligation de résilience met une difficulté supplémentaire, surtout sur les femmes. On se demande : "Quand est-ce-que je vais être résiliente ?", comme si c'était une nouvelle norme. Ce n'est pas grave en soi : il y a des jours où on l'est, d'autres moins, ou pas du tout. Ce sont des phases de vie. Quand on les regarde avec bienveillance et qu'on en rit, c'est là qu'elle arrive. Il y a comme une sorte d'acceptation dans la résilience alors que parfois, la résistance intérieure est plus importante. Après avoir écrit mon livre, j'ai trouvé un autre mot : l'ardance, un mélange d'ardeur et de résistance, soit garder la joie de vivre, l'envie de rire. On n'est pas obligés d'être heureux. C'est un peu le début du livre : on nous impose de s'aimer soi-même. Comment fait-on ? Je n'ai pas la recette. En revanche, retracer mon parcours en décidant de changer mon point de vue, d'en rire et mettre de la beauté dedans, je peux le faire.

L'humour peut-il changer le monde ?
Il peut déjà nous changer nous. Ça permet de se réconcilier avec beaucoup de choses, de se rendre compte qu'on peut guérir de tout et qu'il n'est jamais trop tard. Ce qui nous fait souffrir, ce sont ces impossibles que l'on nous assène depuis l'enfance ou que l'on accepte. Beaucoup de femmes vont se retrouver avec un homme marié parce que pour elles il est "impossible" d'être aimées pour ce qu'elles sont ou qui restent dans un métier qui ne leur plaisent pas car c'est "impossible" de trouver mieux.

Avez-vous le sentiment d'avoir vécu une rennaissance ?
J'ai écrit qu'il m'avait "toujours manqué quelqu'un au plus profond de moi, jusqu'au jour où j'ai décidé que je n'avais besoin de personne". Je crois que c'est ce jour-là qu'on renaît. Les autres peuvent nous quitter, se comporter de manière décevante et ce n'est plus si grave, quand ils ne viennent plus combler un manque ou un besoin. Et depuis que j'ai décidé de ne plus attendre personne, beaucoup de gens sont revenus (rires).

Aujourd'hui, vous suffisez-vous à vous-même ?
Heureusement que non, je serais une vraie connasse (rires) ! En tout cas je n'ai plus ce sentiment qu'il me manque quelqu'un à l'intérieur de moi et ça, c'est beaucoup. Je suis capable d'être là pour d'autres personnes sans avoir ce vide, ce manque qui fait que la notion de s'aimer soi-même était comme une sorte de langue étrangère. 

Votre œuvre est majoritairement tournée vers les femmes.
Surtout sur celles de mauvaise vie ! Ce n'était pas volontaire. Avant d'écrire, je ne me considérais pas féministe. Je ne m'imaginais pas  écrire particulièrement sur les femmes. J'aurais même pu trouver ça sexiste. J'ai pris cette direction naturellement. Ça a commencé avec les femmes de dictateurs. Pour avoir été moi-même avec un homme violent, j'ai trouvé une proximité chez elles qui m'a beaucoup parlé. Comment peut-on aimer quelqu'un jusqu'à se faire détruire ? J'avais envie d'enquêter sur la femme face à l'amour et le niveau extrême de violence qu'elle est capable de tolérer.

Vous considérez-vous désormais féministe ?
Je ne pensais pas l'être. J'ai découvert ce qu'était le plafond de verre en fréquentant des féministes. Je ne savais pas ce que c'était avant. J'ai fait du saut d'obstacles à cheval, à peu près le seul sport mixte où l'on est jugé sur sa valeur, son courage, sa capacité de dressage. Le sexe, l'âge ou l'origine n'entraient pas en compte. Je crois que je suis devenue féministe en travaillant sur les Femmes de dictateurs et La chair interdite. J'ai récemment écrit un texte pour la Revue des Deux Mondes sur la langue maternelle. Je ne sais pas si je suis un écrivain ou une écrivaine... Je suis a writer. je fais un métier où la langue n'a pas à intervenir puisque je n'écris pas avec mes ovaires mais avec mon cerveau, ma chair, mon corps de femme. Je refuse d'y mettre un sexe. On peut gagner le cœur des lecteurs sans distinction de genre.

Que pensez-vous du mouvement #MeToo ?
Je suis plus pour la compréhension que pour la controverse. Balancer un porc est utile et heureusement qu'il y en a qui le font, mais il faut aussi qu'il y en ait qui creusent un autre sillon par l'éducation, par le fait d'expliquer d'autres réalités. Mon livre La chair interdite, sur le sexe féminin, s'est trois fois mieux vendu en Pologne qu'en France. Pendant les mouvements pro-IVG, les gens se prenaient en photo sur les réseaux sociaux avec. C'est un vrai livre coup de poing. Ça, c'est mon métier : la transmission par l'éducation, la compréhension. Je pense être plus utile là dedans, il faut qu'il y ait un équilibre.

Peut-on tout dire et tout écrire ? Doit-on dissocier l'œuvre de l'artiste ?
On fait de l'artistique et derrière ce mot, il y a artiste et évidemment le créateur. Pour moi, c'est impossible de dissocier. Une œuvre révèle le conscient et l'inconscient, le charnel et les obsessions, l'intime de son auteur. C'est une vision du monde et si elle est déformante, il faudrait être au courant. On ne peut pas vivre non plus dans un eugénisme. L'art dérange, choque. On peut avoir envie de regarder un film de Woody Allen tout en ayant envie de le foutre en l'air. On est ce qu'on écrit et on en est responsable. En revanche, je ne suis pas pour interdire l'œuvre de Céline. Elle peut avoir une fonction repoussoir, expiatoire. voire de réflexion. 

J'imagine qu'on doit vous dire que vous avez une tête bien pleine dans un corps bien fait.
Est-ce qu'on le dirait à un homme ? Pourquoi chez une femme cela devient remarquable ? On ne s'en étonnerait pas si c'était un homme. Ce sont plutôt les journalistes masculins qui me font la réflexion. "Elle est jolie et en plus…" Avec cette locution "et en plus"! Je ne me pose pas cette question. Et on ne s'en sort ni avec une tête bien pleine ni avec un corps bien fait.

Même quand on se sait surdouée ?
Ça amène beaucoup de complications et en fait c'est nul (rires). On s'ennuie à l'école, on ne sait pas quoi faire, ça rend un peu autiste. Les gens pensent qu'on peut faire des tours comme calculer des sommes astronomiques. Je suis nulle en maths ! En revanche ça a des utilités : je peux apprendre des langues étrangères en un mois ou deux. J'ai l'impression d'aller parfois trop vite, mais avec une très grosse machine donc on finit en tête-à-queue toute seule. Ce n'est pas si enviable et ça véhicule beaucoup de fantasmes. Quand on n'a pas appris à gérer, ça mène au contraire à des sentiments de différence, d'isolement.

Quels sont vos futurs projets ?
Mon livre L'homme idéal existe : il est québécois sera adapté au cinéma en 2019. Je suis en train de co-écrire le scénario avec Ken Scott, qui avait réalisé Starbuck. On vient de signer les droits audiovisuels pour mon dernier livre Les indésirables et j'essaye d'adapter Femmes de dictateurs au théâtre. C'est difficile à monter. Je l'ai adapté en one-woman-show pour une seule femme qui doit faire tous ces rôles, pour toutes les symboliser : celle qui découvre l'amour, la folie, la mort, le pouvoir... On attend de trouver la bonne interprète. Ça suit son chemin.

© Flammarion

La meilleure façon de marcher est celle du flamant rose de Diane Ducret (Flammarion), en librairies le 28 février, au prix de 19,90 euros. 

Résumé : Après avoir été quittée à Gdansk, Enaid se rend à l'évidence : les fées n'ont pas été généreuses avec elle. Elle découvre que ses parents adoptifs sont en fait ses grands-parents, que sa mère est danseuse de nuit déchue de ses droits, que son père a changé de religion. En quête d'une résilience, elle décide de résister, comme les flamants roses qui trouvent toujours la force de se relever.